Une étude pointilleuse et en pointillés sur le rôle du masculin dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar.

Des docteurs spécialistes de Marguerite Yourcenar ont été convoqués en nombre pour élaborer Marguerite Yourcenar et la culture du masculin, sous la direction de Marc-Jean Filaire. Cet ouvrage collectif prend sa source dans un colloque organisé à Nîmes en juin 2010, à l’occasion du trentième anniversaire de l’élection de l’écrivaine à l’Académie française. C’est à un véritable dialogue d’initiés que se livrent les quelque dix-sept contributeurs de cet essai, qui est davantage un document universitaire qu’une lecture de plaisir.

Allant jusqu’au bout des notions et des analyses, les textes proposent de se pencher sur l’œuvre yourcenarienne dans son intégralité, ou de se concentrer sur des corpus plus restreints, parfois même un seul chapitre. Le principe même du colloque, qui rassemble les points de vue de spécialistes sans définir précisément la place de chacun, entraîne un effet de redondance, certes inévitable, mais lassant.

“Première Immortelle parmi les Immortels”, pour reprendre les mots de Bernard Derosier, Marguerite Yourcenar se distingue largement par son statut de première femme à l’Académie française, et donc de femme parmi les hommes. Pourtant, force est de constater que, dans l’œuvre d’un écrivain dont le sexe a marqué un tournant dans la vie littéraire, politique et sociale française, les figures féminines ne sont que très peu représentées. La plupart des romans de Yourcenar ont en effet pour personnage principal des hommes, ce qui a souvent fait penser que son écriture elle-même, ainsi que sa vision du monde, étaient profondément masculines.

Les contributeurs de cet essai vont à l’encontre d’une telle thèse, qui ne rend compte que très partiellement de l’œuvre et de la personnalité de Marguerite Yourcenar, dont la construction est bien plus complexe et surtout bien moins figée, fluctuant au fur et à mesure des évolutions de la société dans laquelle elle s’inscrit, mais aussi de ses rencontres et de ses voyages. C’est surtout aller à l’encontre des convictions yourcenariennes que de plaquer ainsi une sexuation sur l’écriture de celle qui affirme que l’écrivain doit se départir de ses considérations tranchées pour atteindre une forme d’universalité.

Marguerite Yourcenar est en effet à la recherche d’une communion de valeurs qui passe par l’interaction entre les sexes. Cette communion de valeurs forme la complétude et l’intérêt d’un individu, lui fait gagner le droit, en quelque sorte, d’être un personnage. Yourcenar rejette le clivage entre personnalité masculine et personnalité féminine, et affirme que seul un homme capable d’adopter et d’assumer certaines qualités essentielles communément considérées comme féminines, se révèle un homme à part entière. Cette idée de complémentarité est au cœur de la construction de ses personnages, et explique également la prédominance du genre masculin au sein de son œuvre.

Les axes principaux autour desquels s’articule le contenu de l’ouvrage sont bien évidemment les représentations du masculin face au féminin, mais aussi la confrontation entre tradition et modernité dans la représentation de la masculinité, le ou les sexes de l’écriture, le genre masculin d’ici et d’ailleurs, les convergences du genre chez Yourcenar et les auteurs étrangers contemporains, et enfin l’adaptation filmique.

Le Décameron de Boccace, Vintila Horia, Yukio Mishima, Genji et Don Juan, Ulysse, André Delvaux... autant d’œuvres, de personnes et de personnages convoqués au sein de ces études. Diversité et unité, tels sont les maîtres mots de cet ouvrage dans lequel on se perd souvent avant de se raccrocher au fil rouge qui relie toutes les interventions, cette culture du masculin, ces figures d’hommes et, immanquablement, de femmes, qui émergent de la création yourcenarienne. Nathanaël, Zénon, Hadrien, sont souvent placés au cœur des réflexions. À tel point que l’on a rapidement l’impression de tourner en rond.

Le thème est donc abordé sous de nombreux angles, qui restent très proches du texte ou au contraire s’en éloignent jusqu’à le perdre de vue parfois. Les références sont minutieuses et nombreuses, l’œuvre est passée au crible, et il n’est pas concevable de s’y retrouver sans un minimum de connaissance des textes. On ne saurait donc se tourner vers ce livre pour y découvrir l’œuvre de Yourcenar avant de plonger dans ses écrits.