Très beau livre sur la place du médecin et de la médecine, qui donne à voir les progrès accomplis et les défis qu'il reste à relever.

* Cet ouvrage a été publié avec l’aide du Centre national du livre.

 

Aux origines de la médecine, ouvrage collectif dirigé par Didier Sicard et Georges Vigarello, se présente sous la forme d’un recueil d’articles, richement et pertinemment illustrés, dont les auteurs viennent d’horizons très différents. Didier Sicard, Professeur de médecine, est connu pour être le président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique. Georges Vigarello, quant à lui, est directeur de recherches à l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique. Ils ont su rassembler historiens, philosophes, médecins, biologistes, psychologues, économistes, chercheurs en sciences sociales, pour nous livrer un recueil aussi complet qu’éclairant.

La variété des approches est très certainement ce qui fait la richesse de cet ouvrage qui, tout en étant destiné au grand public, ne verse pas dans la vulgarisation simpliste, bien au contraire. Nous regrettons d’ailleurs que la spécialité de chaque auteur ne soit pas toujours précisée, tant cela éclaire la lecture. En effet, l’ambition de cet ouvrage est de donner à voir autant que de questionner la médecine dans toutes ses dimensions. Ainsi, il ne s’intéresse pas seulement à la technique médicale, aux connaissances sur le fonctionnement du corps et sur les maladies rassemblées aux différentes époques d’un passé plus ou moins récent. Sont aussi envisagés le médecin lui-même, sa place dans la société, et la personne, son rapport à son corps, à la maladie, au médecin, à la médecine. Le but de l’ouvrage est clairement affiché dans l’introduction : “il doit favoriser la compréhension des profonds déplacements qui ont eu lieu au cours des décennies récentes dans la culture du geste médical. Il doit enfin aider à faire mieux comprendre les enjeux et les défis d’aujourd’hui.”   .

Ces enjeux sont multiples. L’un d’eux se révèle évidemment dans la bioéthique, cette confrontation entre le “scientifiquement possible” et “l’humainement acceptable”, pour reprendre les propos des directeurs de la publication   , mais ils tiennent aussi à la prise en charge globale de la personne : de son psychisme, des rapports entre son esprit et son corps, de sa douleur, qui doit être soulagée même s’il n’est pas possible de la guérir   . L’un des enjeux, majeur, est aussi celui de la préservation du système de santé, de son adaptation aux nouvelles techniques et aux nouveaux besoins, des choix économiques qui doivent être faits   . La diversité des sujets abordés implique que, même si chaque article, marqué du sceau de la rigueur scientifique, attisera la curiosité du lecteur, chacun verra, en fonction de sa sensibilité, son attention plus particulièrement retenue par l’un ou l’autre. Relevons d’ailleurs que si le recueil peut se lire d’un bout à l’autre, il se prête également à une lecture ciblée, concentrée sur un article indépendamment des autres. On aura quoiqu’il arrive plaisir à le reprendre, le feuilleter, relire quelques chapitres pour approfondir une question   . En raison de la densité et du volume de l’ouvrage, nous en dresserons seulement un rapide panorama, en nous arrêtant sur ce qui a suscité notre propre intérêt. Nous suggérerons ensuite quelques réflexions personnelles.

Une approche pluridisciplinaire

On trouve dans Aux origines de la médecine ce que l’on s’attend à y trouver : une approche historique de la science médicale. Celle-ci est très complète. Elle débute avec la préhistoire, convoquant la paléopathologie. Si le mystère reste épais, on apprendra des choses étonnantes ou émouvantes sur nos ancêtres les plus lointains : le fait qu’il pratiquaient des trépanations auxquelles le sujet survivait, ou encore qu’il existe des preuves incontestables de l’existence d’une compassion entre les membres d’un groupe, notamment tirées de la survie, impossible sans l’aide d’autrui, d’individus lourdement handicapés   . Le chapitre consacré au Moyen-Age   met à mal nombre d’idées reçues. On y apprend par exemple que l’anesthésie a existé dès le Xe siècle et, qu’au XIIe siècle, l’ensemble de la population bénéficiait d’un accès aux soins, les plus pauvres pouvant recourir à des médecins publics, payés par les municipalités. Il ne faut donc pas seulement retenir de cette période la violence des épidémies, même si cela en est un élément incontournable, que l’auteur ne passe évidemment pas sous silence.

La deuxième partie de l’ouvrage, qui couvre la période s’étendant du XVIe au XVIIIe siècle, nous guide à travers l’évolution des connaissances, notamment anatomiques. Elle est composée de quatre chapitres, dont la confrontation est des plus intéressantes. La même période est abordée selon différentes approches, par différents auteurs, et la lecture de cette partie offre une perception nuancée des mêmes évènements ou personnages   . Nous avons été particulièrement intéressée par l’article de Stanis Perez intitulé “Le surgissement de la figure du médecin”. L’approche est celle des sciences sociales et donne à voir l’évolution de la place du médecin dans la société, partant d’une grande méfiance à son égard au XVIe et dans la première moitié du XVIIe pour arriver à un certain prestige sous le règne de Louis XIV. Les services du médecin sont alors réservés à l’élite de la société et la pratique médicale est soumise aux effets de mode   , et si la connaissance médicale est diffusée vers les plus pauvres, le médecin ne va pas jusqu’à eux. C’est au XVIIIe siècle, d’après l’auteur, que la médicalisation de la société commence à s’opérer et que le médecin des Lumières, attentif au bien de l’ensemble de la population, se préoccupe de santé publique.

La troisième partie, entièrement consacrée au XIXe siècle, aborde tous les aspects de l’art médical de l’époque, offrant une mise en perspective éclairante et variée de ce qui alimente nos débats actuels. La dimension sociale de la médecine est abordée selon plusieurs approches : celle des hygiénistes   , dont le rôle a revêtu une importance particulière à cette époque de révolution industrielle, celle des relations entre médecine et pouvoir   , entre médecine et hôpital   , entre la médecine et le peuple   . Sont aussi envisagés l’obésité ou encore l’expérimentation sur l’animal, et les résistances qu’elle a rencontré dans la société, alimentées par la théorie de Darwin   .

La quatrième et dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux problématiques contemporaines. L’histoire est toutefois représentée, dans un article particulièrement intéressant consacré à ce que les connaissances actuelles en biologie sur les microbes, les virus, le génome, peuvent nous apprendre de l’histoire des maladies   . Le propos est ici assez technique, mais tout de même accessible au profane. On sent encore, dans cette partie, la recherche d’une certaine exhaustivité. Le traitement de la période actuelle ne s’arrête pas à la seule technique médicale, même si elle est évidemment abordée. Quand elle l’est, elle est d’ailleurs mise en lien avec les problèmes éthiques qu’elle soulève   et c’est bien le rapport de la société et de l’individu à la médecine qui est questionné. La médecine est en outre entendue au sens large, et englobe aussi le psychisme, avec des développements consacrés à la psychiatrie   à la médecine psychosomatique   , à la santé psychique   ou aux médecines alternatives   . On apprend aussi, non sans un certain étonnement, voire une certaine consternation, que la rationalité, vertu de notre médecine moderne, est parfois battue en brèche. Par “La résistance des croyances” qui s’appuient sur la science, et se font passer pour des sciences pour mieux convaincre, comme par exemple la scientologie, qui se réclame d’une approche scientifique et prétend proposer des thérapies   . Par le culturalisme aussi, qui pousse parfois à rechercher, dans les mœurs de certaines populations, l’origine de pathologies pourtant liées à leurs conditions de vie, engendrées par leur statut social et économique bien plus que par leur culture   .

L’ouvrage se ferme sur deux articles du Professeur Didier Sicard, l’un prospectif, dédié à ce que l’on peut attendre ou craindre de “La médecine de demain”, l’autre relatif aux enjeux sociétaux et éthiques de celle d’aujourd’hui.

Cet ouvrage est donc particulièrement riche, et nous ne pouvons qu’en recommander la lecture. C’est un livre que toute personne, intéressée de près ou de loin par la médecine et par les questions qu’elle pose, et qui se posent à elle, aura plaisir à avoir dans sa bibliothèque. L’apport des sciences sociales est éclairant, mais nous relèverons seulement qu’à notre sens il en manque une : la science juridique   . Le droit est évoqué, notamment par Didier Sicard, qui nous livre ses impressions sur “la médecine et la justice”   . Si les questions qu’il soulève dans ce développement sont sans nul doute pertinentes, et si les décisions de justice qu’il évoque sont présentées de manière tout à fait exacte, nous ne pouvons nous empêcher de penser   , que le sujet de la médecine et des juges, mais aussi celui de la médecine et du législateur auraient utilement pu être traités, à l’échelle d’un chapitre, par un juriste. Aussi nous permettrons nous un commentaire et un complément.

Le regard d’une juriste

Un commentaire sur la façon dont Jean-Claude Ameisen, Professeur d’immunologie et membre du Comité national d’éthique, traite du consentement de la personne à l’acte médical, pierre angulaire de la législation relative à l’acte médical, tant lorsqu’il s’exécute dans la relation entre un médecin et son patient que dans le champ de la bioéthique   . Il définit d’abord le consentement “libre et informé”   par la formule suivante : “c’est dire oui après avoir pu dire non”   . Cette formule est employée à propos de la recherche biomédicale, dans laquelle le consentement occupe une place véritablement centrale, mais elle est certainement transposable à tous les actes médicaux, quelle que soit leur fin. Elle est particulièrement limpide et percutante, et témoigne fidèlement de notre droit médical  en même temps qu’elle en éclaire l’esprit : la personne décide de l’atteinte à son corps, et porter une telle atteinte malgré son refus est une violence. Cependant, pour que la personne décide, il est indispensable qu’elle détienne tous les éléments qui lui permettront de prendre sa décision. C’est au médecin qu’il appartient de lui délivrer ces éléments. Autrement dit, il n’appartient pas au médecin de prendre la décision pour la personne. Cela renvoie à l’épineuse question du refus de soin.

Cette question est aussi abordée par le même auteur, médecin donc, exactement à rebours de la façon dont l’aborderait un juriste. L’auteur écrit que “la loi du 4 mars 2002   autorise la personne à refuser un traitement qui pourrait lui sauver la vie à condition qu’il n’y ait pas urgence, que la personne soit clairement informée, qu’elle soit capable de réfléchir et puisse prendre le temps de le faire”   . Le refus apparaît alors comme exceptionnel. En réalité, ce qui est exceptionnel, du moins d’après la loi, c’est que le médecin puisse intervenir sans le consentement de la personne. Il peut le faire à condition que la personne ne soit pas en état de consentir (c’est-à-dire inconsciente), qu’il y ait urgence, et que l’acte médical soit rendu nécessaire par son état. C’est ce qu’impose l’article 16-3 du Code civil, issu pour sa part non pas de la loi du 4 mars 2002, mais de celle du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain. Ajoutons que la loi n’autorise pas la personne à refuser un acte médical, elle reconnaît son droit à ne tolérer que les atteintes à son corps consenties ou, autrement dit, elle interdit tout acte médical qui serait accompli sans l’accord préalable de l’intéressé. Faut-il voir, dans cette présentation inversée de la loi, un paternalisme médical résiduel ? On comprend aisément que le médecin soit désemparé face à un patient qui refuse un traitement pourtant nécessaire. Mais ce que la loi du 4 mars 2002, évoquée par l’auteur, dispose, c’est que face à un refus opposé par la personne, le médecin “doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables”   .

Enfin, un complément semble nécessaire. En effet, entre la mise sous presse de l’ouvrage et aujourd’hui, la loi de bioéthique a été révisée, par un texte du 7 juillet 2011. Relevons ce qu’écrit Didier Sicard à propos du don d’organe consenti par une personne vivante : le don est possible dans la famille “sans que le cercle des receveurs puisse s’étendre à des amis ou des tiers inconnus, afin d’éviter les transactions financières immorales.”   . Il apparaît que ce verrou a sauté à l’occasion de la révision de 2011, puisque peut donner un organe de son vivant “toute personne pouvant apporter la preuve d’un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur”. Ajoutons que cette loi, toujours en matière de don d’organe, a rendu possible le don croisé. Cette pratique consiste, lorsqu’une personne souhaite donner un organe à un membre de sa famille ou, maintenant, à un ami, mais que cela est impossible en raison d’une incompatibilité, à rechercher un autre couple donneur-receveur dans le même cas, le donneur de chaque couple étant compatible avec le receveur de l’autre. Précisons pour finir que les conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation se sont assouplies pour les couples non mariés, qui n’ont plus à faire la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans   .

L’exhaustivité en la matière est évidemment hors d’atteinte, mais Aux origines de la médecine s’en approche et une chose est sûre, l’objectif fixé, celui de permettre au lecteur de comprendre et de saisir les évolutions et les bouleversements, passés ou présents, de la médecine, est rempli, et nous souhaitons que ce superbe ouvrage rencontre un succès à la hauteur de sa qualité