Une approche simple et imagée du logement social contemporain.

 Lorsqu’on propose, aujourd’hui, à des élus ou à des populations de construire dans leur commune du logement social, leurs appréhensions sont souvent motivées par des représentations récurrentes, mais datées : l’image de la barre des années 1950-1960 est en effet restée prégnante, et avec elle l’idée d’une ghettoïsation sociale et ethnique irréversible. Changer ces représentations, en montrant que le logement social peut aujourd’hui être caractérisé par sa qualité et son originalité, est un enjeu majeur pour les constructeurs et les gestionnaires de logements sociaux. C’est essentiellement à cette mission que participe l’ouvrage Habiter 2011, réalisé par l’un des principaux bailleurs français, le groupe 3F.

 

Changer une image

 

Habiter 2011 se présente avant tout comme un témoignage. Il correspond certes à la volonté d’un groupe de montrer et de mettre en valeur certaines de ses réalisations, mais il porte aussi, et surtout, un réel discours sur ce qu’est le logement social contemporain. En effet, dès les premières lignes de l’ouvrage un enjeu apparaît clairement, qui n’est plus d’ordre quantitatif. Il s’agit, pour le constructeur, de "promouvoir la qualité et la créativité architecturales mais avec le souci constant d’une réponse correspondant aux besoins réels [des] locataires"   . Dès l’abord, le logement social se définit, ainsi, par ces deux caractéristiques : il est divers et humain. 

L’ouvrage se donne donc clairement l’objectif de montrer comment on peut réaliser, aujourd’hui, du logement social qui n’est pas celui des années 1950-1960, souvent considéré comme répétitif et démesuré. Pour ce faire, Habiter 2011 est organisé en quatre parties, qui mettent chacune en évidence les différents facteurs pris en compte aujourd’hui par les concepteurs : une attention, tout d’abord, aux contextes territoriaux ; une volonté, ensuite, d’adapter les logements aux usages de leurs habitants ; un soin apporté, bien sûr, à l’architecture ; un souci prononcé, enfin, pour le détail. Au sein de ces différentes parties, l’ouvrage se présente comme volontairement vulgarisateur. Il croise les points de vue de professionnels, d’élus, mais aussi d’habitants, à propos de diverses opérations dont la présentation est plus ou moins détaillée. Ces discours sont accompagnés de grandes photographies de qualité, de cartes de localisation et de fiches techniques relativement exhaustives. 

L’ensemble ainsi produit, quoique disparate, est facile à lire, et surtout à feuilleter. Le travail d’illustration donne une idée de la qualité architecturale des réalisations et souligne le fait qu’elles ne sont, d’extérieur, pas différentes d’opérations de logements destinés à la vente. La confrontation des points de vue permet de plus de comprendre la complexité de la conception d’une opération à vocation sociale et la multiplicité des enjeux à prendre en compte, en termes notamment de confort, de coûts ou de durabilité. Les études de cas plus précises, enfin, montrent quelles solutions peuvent être apportées à des problématiques et des contextes très spécifiques, et comment se manifeste l’inventivité des urbanistes et des architectes, mais aussi des habitants qui s’approprient leurs productions.

 

Montrer des réalisations

 

L’ouvrage n’est, cependant, pas uniquement une célébration du logement social contemporain. Il se présente aussi comme un outil largement publicitaire. Sa portée critique reste donc très limitée. N’y sont visibles, à de rares exceptions près, que des réalisations dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par le groupe 3F. Les différents discours, malgré le fait qu’ils soient tenus par des acteurs très divers, sont globalement dans le registre de l’autocongratulation. Les seules véritables critiques des opérations présentées concernent toujours des points de détail, et elles proviennent en général des gardiens et gardiennes interrogés, qui soulignent par exemple des problèmes liés aux nuisances sonores. L’ensemble des opérations étudié est par ailleurs très récent : il est parfois difficile de s’imaginer comment celles-ci pourront vieillir et s’adapter aux besoins de leurs habitants successifs. La rapidité des présentations, enfin, ne permet pas toujours de saisir l’ensemble des enjeux des opérations, et par conséquent de bien comprendre et d’évaluer les choix urbanistiques et architecturaux.

Un autre élément qui vient perturber la lecture de l’ouvrage tient à sa conception, volontairement fragmentaire. Elle permet certes le feuilletage et rend Habiter 2011 très facile d’accès, du fait aussi d’un réel soin apporté à la mise en page. Cependant, ce choix donne parfois au recueil un aspect de magazine, voire de catalogue : le lecteur est souvent amené à tourner les pages sans forcément retenir autre chose que la succession des images. Parfois, c’est même le rapport aux grands thèmes de l’ouvrage qui se perd. Habiter 2011, ainsi, n’est jamais loin de ne rester qu’un recueil d’exemples disparates plutôt que le porteur d’un message fort et facilement intelligible.

Ces éléments posent, au demeurant, une question fondamentale. A l’heure où la compréhension de ce qu’est le logement social passe par le décryptage d’une foule d’acronymes ainsi que par la découverte de modes de financement et d’attribution complexes, l’approche du groupe 3F est-elle la seule qui puisse permettre à tous de s’approprier ces questions ? Un travail de pédagogie semble inévitable, de façon à ce que le logement social puisse redevenir un enjeu politique et urbanistique accessible à tous. Il n’est cependant pas certain que ce travail doive prendre la forme, parfois trop simpliste, proposée par Habiter 2011. Il est toutefois intéressant de constater que cette vulgarisation ne suffit pas à dissimuler les grands enjeux contemporains de la création et de la gestion d’un parc social, qui apparaissent clairement dans l’ouvrage. 

 

Souligner des enjeux

 

La mise en résonnance de témoignages, d’images et de plans, si elle ne parvient pas à organiser un discours, n’en met pas moins en évidence de nombreux thèmes autour desquels se joue la conception contemporaine du logement social. L’architecture est, du fait des choix faits par les concepteurs de l’ouvrage, l’enjeu qui se manifeste le plus clairement. Si chaque réalisation est, à sa façon, une manière de montrer que l’on ne fait plus de logement collectif de masse, Habiter 2011 ne se contente pas de montrer des pavillons individuels. Au contraire, l’ouvrage relaye des tentatives parfois audacieuses de faire de "l’individuel superposé"   , montre comment on peut rénover de l’habitat des années 1950-1960, sans le considérer comme "maudit" et en mettant en évidence ses "qualités"   , ou n’hésite pas à mettre en avant des édifices "d’un seul tenant", qu’on pourrait considérer comme des barres contemporaines   . De plus, l’attention apportée par l’ouvrage aux détails de l’architecture est essentielle, dans la mesure où elle met en évidence la logique gestionnaire qui préside à la réalisation de la plupart des logements sociaux contemporains : assurer leur durabilité en prenant en compte les usages et les évolutions de ceux-ci.

D’autres éléments, plus critiques, sont eux aussi saillants. Les discours relayés à propos de la rénovation urbaine des grands ensembles, par exemple, témoignent bien des perceptions des élus et des architectes. Ceux-ci, en faisant de façon acritique l’éloge de la mixité sociale, voire d’une surprenante "pluralité"   , et en ne cessant de parler de la constitution de "morceaux de villes" ou d’"un quartier qui en soit un"   , manifestent une méconnaissance des formes de sociabilité qui peuvent se tisser dans les quartiers d’habitat social, ou de la difficulté d’imposer un modèle d’urbanité à un type d’architecture qui ne lui correspond pas  

La forme des jeux d’acteurs, dans ce type d’opérations, est aussi évoquée à plusieurs reprises. On perçoit ainsi le poids déterminant de certains maires, dont l’un d’entre eux a "pu dire ce qui [lui] plaisait et ce qui [lui] plaisait moins"   , ou la nécessité de procédures informelles pour sécuriser des opérations, comme à Garges-lès-Gonesse, où la mairie a signé avec les bailleurs une "charte du relogement"   . Ces éléments rendent sensibles des enjeux liés à la gouvernance, dans des opérations qui peuvent mobiliser plusieurs mairies, différents bailleurs, des populations nombreuses, un foncier fragmenté et jusqu’à "27 architectes"   .

 

Ces quelques exemples témoignent de la richesse d’un discours possible sur certains thèmes liés à la production du logement social, que l’ouvrage se refuse cependant à aborder de front. Si cette approche peut paraître justifiée, elle n’en passe pas moins à côté d’une occasion de souligner que le logement social est aussi un sujet éminemment politique, et essentiel dans tout débat de société. S’il paraît, ainsi, nécessaire de montrer la forme qu’il prend aujourd’hui, une approche visant à en expliquer les enjeux les plus saillants ne peut qu’être complémentaire de celle proposée par le groupe 3F et pourra, à n’en pas douter, enrichir les perspectives de chacun