La réédition de cet ouvrage de référence sur l’Afrique subsaharienne est une occasion pour mettre en doute nos idées reçues sur cette région du monde qui change à un rythme très rapide.

Une géographie du changement : Alain Dubresson, Sophie Moreau, Jean-Pierre Raison et Jean-Fabien Steck opposent un démentie péremptoire à tous ceux qui voient encore l’Afrique subsaharienne comme le continent “éternel” et “immuable”. Une géographie du changement : l’Afrique est un continent en mouvement, et ne peut être comprise qu’à différentes échelles de temps.

Avec l’arrivée de Sophie Moreau et Jean-Fabien Steck, qui se joignent à Alain Dubresson et Jean-Pierre Raison (auteurs des deux premières éditions), cette troisième édition est profondément remaniée. Un nouveau chapitre, sur l’environnement, apparaît, tandis qu’un chapitre sur les organisations régionales et l’insertion de l’Afrique subsaharienne dans la mondialisation disparaît (pour être en réintégré dans d’autres chapitres). Partout, le propos est repris, affiné, complété, pour mieux affirmer des thèses déjà présentes dans les précédentes éditions ; toutes les données sont actualisées. Les évolutions récentes (décennie 2000) sont l’objet de nouvelles interrogations. Pour les anciens lecteurs, cette nouvelle édition est donc une bonne occasion de se replonger dans un essai synthétique particulièrement stimulant.

En un peu plus de cinq pages, l’introduction présente de façon particulièrement dense un argumentaire qui sous-tend toute la structure de l’ouvrage. Le mot de crise est contesté par beaucoup d’analystes, qui reprochent à ceux qui l’emploient de sombrer dans l’“afro-pessimisme” et de fonder leur réflexion sur une notion particulièrement floue. Tel n’est pourtant pas le cas des auteurs qui réaffirment la pertinence de cette notion pour comprendre les dynamiques de l’Afrique subsaharienne. À l’échelle du continent, tous les indicateurs macro-économiques sont, il est vrai, au rouge, et semblent révéler depuis le début des années 1980 une crise généralisée (le PIB de l’ensemble du continent plus de deux fois inférieur à celui de la France ; 36 des 45 États ayant le plus faible IDH – Indicateur de développement humain – sont africains). L’Afrique serait donc “mal partie”, pour reprendre l’expression de R. Dumont (1962). Mais le mot de crise à un autre sens, comme nous le rappelle son étymologie grecque (krisis : le choix). Les crises, “concomitantes” et “enchevêtrées”   , que connaît le continent offrent des opportunités de restructuration, de changement profond, à tous niveaux (politiques, économiques, sociales). Avec ce message d’optimisme, déjà présent dans les éditions antérieures, les auteurs se démarquent. Dans cette nouvelle édition, ils intègrent la décennie 2000 à leur analyse et posent une question supplémentaire : les opportunités de changement ont-elles été saisies par les Africains ? La croissance retrouvée des années 2000 a-t-elle été l’occasion d’une “bifurcation”   ?

Pour répondre à cette question, c’est d’abord aux dysfonctionnements des États africains, construits sur le modèle rentier, que les auteurs choisissent de s’intéresser. Deux autres tendances structurelles s’ajoutent à cette crise politico-économique. Il s’agit dans un premier dans un premier lieu de la très forte croissance démographique. Elle peut d’ailleurs être comprise comme une crise dans les deux sens du terme, selon que l’on adopte une vision malthusienne   ou bosrupienne   : soit la croissance démographique est un danger pour l’équilibre alimentaire du continent et deviendra à terme une cause majeure de déstabilisation, soit la croissance démographique est une opportunité pour la créativité et l’invention de solutions nouvelles. Autre tendance de fond, les incertitudes climatiques, qui pourraient provoquer des catastrophes majeures dans la région.

Se plaçant dans les pas de Pierre Gourou, les auteurs reprennent à leur compte la notion d’“encadrement”, pourtant floue (elle fait référence à toutes les institutions sociales ou politiques qui imposent des normes aux hommes et sont l’essence des sociétés). Entre “la crise des encadrements” (celle des États rentiers, objets du premier chapitre) et les “encadrements de crise” (structures sociales qui remplacent les États défaillants, telles que la famille, le village, l’ethnie, les réseaux commerçants, les religions… objets du second chapitre), l’Afrique change, les territoires se recomposent, les campagnes connaissent de profondes mutations, les villes se transforment. Toutes ces évolutions sont retracées au fil des chapitres thématiques qui constituent le corps du livre.

Le dernier chapitre reprend une interrogation que J.-P. Raison avait déjà posée il y a une vingtaine d’années   . Les crises que connaît l’Afrique peuvent être créatrices dans le court terme ; mais permettent-elles d’organiser, de structurer des espaces sur le temps long ? Peuvent-elles autre chose qu’un “pis-aller”   ? Les États affaiblis par la crise du modèle rentier et les plans d’ajustement structurels (PAS) ne sont pas les garants d’une organisation du territoire sur le long terme, comme ils peuvent l’être dans les pays du nord par exemple. La multitude des structures d’encadrements (réseaux commerçants, ONG) qui apparaissent et disparaissent à un rythme très rapide en Afrique participe à la construction de territoires. Mais ceux-ci sont bien souvent multiformes et éphémères   . La géographie du “changement proposée” en introduction est donc finalement une “géographie de l’incertitude”.

Les auteurs parviennent à canaliser le foisonnement des idées et des informations livrées dans cet ouvrage par une problématisation claire et fine de l’ensemble du propos. Le classement dans la collection “U” d’Armand Colin ne doit pas tromper les étudiants. Il s’agit moins d’un manuel abordant plusieurs thèmes sur l’Afrique subsaharienne qu’une synthèse extrêmement dense qui affirme avec force quelques idées majeures. Puissant stimulant intellectuel pour tous ceux qui s’intéressent à l’Afrique subsaharienne, on ne peut que conseiller de lire et relire régulièrement cet ouvrage pour en assimiler les lignes directrices : c’est la force des ouvrages de référence.