Les éditions Black Jack lancent cet automne une nouvelle collection : Pile ou Face. Son concept, comme le nom l’indique, consiste à associer tête-bêche deux ouvrages, afin de les mettre en résonnance et de créer entre eux un espace de dialogue. Les deux premiers opus des six prévus annuellement sortiront le 15 novembre : Les arabes peuvent-ils parler ? de Seloua Luste Boulbina / Dans l’ombre de l’occident de Edward W. Said et Manifeste anthropophage de Oswald de Andrade / Antrhopophagie Zombie de Suely Rolnik.

Ce projet illustre bien la vocation des éditions Blackjack, qui, dès leur création en 2009, ont souhaité " faire de l’édition autrement, en testant d’autres méthodes ". A l’origine spécialisées dans les livres d’art plastique, ces éditions s’ouvrent, avec Pile ou face, aux sciences humaines, en gardant leur caractère expérimental et leur goût des beaux livres.

Livre-gadgets amusants, les ouvrages de Pile ou Face sont aussi symptomatiques de notre temps. Celui de la crise du livre peut-être, qui incite les éditeurs à inventer de nouvelles formes ludiques pour reconquérir un lectorat fuyant, à moins qu’il ne s’agisse de brader des ouvrages sous la forme du deux en un. Le temps de l’ambiguïté du client-lecteur-roi surtout. Si l’intention éditoriale est bien de faire, " un peu à la manière des livres dont vous êtes le héros ", la " part belle au lecteur ", on peut se demander, quelle réalité revêt cette " part belle ". Pour les éditeurs, elle se réfère à la liberté du lecteur de forger la relation qu’il entend entre les deux livres ainsi réunis, puisqu’en effet, aucun commentaire de spécialiste ne vient " orienter ou déterminer " la mise en regard des ouvrages. Sauf que la relation, elle, nous est bien imposée. L’idée peut être féconde, comme le prouve l’association de deux formes littéraires différentes, le poème et l’essai, dans le diptyque relatif à l’anthropophagie. Elle est trop prévisible lorsque sont apposés les entretiens d’une grande figure des études post-coloniales, à une réflexion sur "le monde arabe". Car la question se pose alors de savoir si le postulat de la collection n’est pas plutôt celui de l’incapacité du lecteur à se créer ses propres chemins intertextuels