Où l’on apprend que le Code d’Hammurabi prévoyait la responsabilité médicale, et que la petite histoire est à l’origine de la grande.

La Petite histoire des médicaments d’Yves Landry nous guide à travers l’Histoire du point de vue du pharmacologue. Aussi le pharmacien ou le pharmacologue sont-ils sans doute les plus à même d’en saisir toutes les subtilités, mais cette mise en perspective du médicament est certainement utile à quiconque. Le livre ne se présente pas véritablement comme un ouvrage scientifique. C’est un ouvrage que l’on peut qualifier de « grand public », même si on y trouve une bibliographie suffisante pour constituer le point de départ d’une recherche sur le sujet. Pour être plus exact, il faudrait plutôt dire de cette étude historique qu’elle s’adresse à tous les publics : nul besoin d’être pharmacien ou pharmacologue pour en apprécier la lecture et plus encore, il est susceptible d’intéresser plusieurs spécialités. Le médecin, le chimiste, pourquoi pas le sociologue ou même l’industriel y trouvera des informations ou anecdotes qui retiendront son attention. Quant à celui qui se questionne sur les orientations que notre société doit adopter envers les progrès de la thérapeutique, il y trouvera incontestablement matière à alimenter sa réflexion.

L’histoire a comme vertu majeure d’éclairer le présent. Celle du médicament n’y fait pas exception. L’auteur la découpe en trois périodes : la première s’étend de l’Antiquité à la Renaissance, la deuxième du XVIIe au XIXe siècle, la dernière du XXe siècle à nos jours.

L’extraordinaire longévité des préceptes antiques

L’étude s’ouvre sur l’Antiquité, et les quelques idées reçues que l’on peut avoir sur la médecine antique ne sont pas toutes démenties. L’utilisation de substances auxquelles on attribuait des vertus thérapeutiques se faisait bien de manière irrationnelle et hasardeuse, mais une telle vision de la pharmacopée antique est caricaturale. On est étonné et un peu admiratif devant les connaissances pléthoriques qu’avaient accumulées les égyptiens, et dont les grecs et les romains ont hérités, nous les transmettant ensuite à leur tour. La magie et le hasard n’étaient en réalité pas si présents, comme le montre l’exemple de la médecine hippocratique   , basée avant tout sur l’observation du malade et de son environnement. Le livre présente de façon très détaillée, dans des encarts qui facilitent la lecture, les remèdes et théories en vogue aux différentes périodes de l’Antiquité. Cela donne d’ailleurs un côté pittoresque assez plaisant à la première partie de l’ouvrage.

L’exposé des pratiques antiques conduit à réaliser que certains concepts étaient présents très tôt : Galien, au IIe siècle, établissait déjà l’importance de l’expérimentation   et Averroès, au XIIe siècle, formulait des observations préfigurant la vaccination   . Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de savoir qui étaient ces personnages célèbres que l’on ne connaît que de nom, et quel a véritablement été leur rôle dans le progrès des connaissances et des pratiques. Ainsi Avicenne est présenté comme ayant fait le lien entre les doctrines gréco-romaines et arabo-perses. L’encyclopédie qu’il a rédigée constitua la base de l’enseignement de la médecine jusqu’au XVIIe siècle, en Europe comme au Moyen-Orient   . Il y présente d’ailleurs, comme une panacée, la Thériaque remède complexe comprenant de très nombreux composants végétaux dont l’opium, ainsi que de la vipère sèche, du castoréum (produit fétide contenu dans les poches qui accompagnent les organes génitaux du castor) ou encore de la mie de pain séchée, de la terre sigillée et du sulfate de fer desséché. L’origine de ce produit remonte au Ier siècle de notre ère et, il sera présent dans la Pharmacopée française jusqu’en 1908   . On apprend aussi que c’est à Bagdad, au VIIIe siècle, que la profession pharmaceutique, distincte de la profession médicale, est née   .

La période du Moyen-Age est nettement moins prolifique. L’apothicaire est néanmoins un personnage important, et la profession est difficile d’accès   . L’auteur souligne l’émergence de l’alchimie et de l’ésotérisme, avec Paracelse, qui rejette le dogme hérité de l’Antiquité   , mais les préceptes antiques ont eu une longévité exceptionnelle. C’est en effet seulement au XIXe siècle que se situe le tournant de l’histoire du médicament, avec les progrès de l’anatomie, et surtout de la chimie.

L’influence sur la pharmacologie du développement des sciences et des techniques

On se doute que la pharmacologie est liée à la médecine : la bonne compréhension du fonctionnement du corps permet évidemment de mieux saisir l’effet des médicaments. Ce que l’on connaît moins, ce sont les processus qui ont permis d’aboutir au médicament tel qu’il est aujourd’hui. La chimie a joué un rôle primordial, l’auteur y insiste particulièrement. Mais l’évolution des techniques a aussi eu son importance. Celle de l’optique notamment, qui permet de découvrir les bactéries, les capillaires sanguins ou encore les globules rouges. La curiosité le dispute alors à l’audace, dans une atmosphère qui laisse peu de place à la précaution. Ainsi, on apprend que la première grande mesure de santé publique, la vaccination de l’armée napoléonienne contre la variole, est consécutive à l’expérimentation sauvage du vaccin sur un enfant sain   . L’expérimentation n’est d’ailleurs qualifiable de sauvage qu’à l’aune de nos pratiques du XXIe siècle. Lorsqu’elle a lieu, en 1796, elle est seulement une occurrence d’une pratique scientifique qui n’a rien de choquant. Les grandes explorations ont aussi contribué aux progrès thérapeutiques, en permettant la découverte du curare ou de l’écorce de quinquina   . L’expérimentation se développe, et l’on apprend que c’est la France qui est considérée comme le berceau de la pharmacologie expérimentale   .

L’auteur retrace de manière très complète le développement de l’industrie pharmaceutique. On en sait un peu plus, à la lecture de l’ouvrage, sur l’histoire des grandes firmes célèbres que l’on connaît aujourd’hui, et notamment que les grands laboratoires européens sont issus de l’industrie des colorants textiles   . On découvre aussi le parcours de médicaments usuels, comme le paracétamol, dont une étude en 1893 avait conclu qu’il était toxique pour le rein, et de manière plus importante qu’une autre substance, pourtant retirée du marché en 1986 pour cette même raison   . Cela donne à réfléchir sur l’importance de la pharmacovigilance, que l’auteur n’omet d’ailleurs pas de mentionner. Cette période s’achève avec la création de l’Institut Pasteur, dont l’auteur rappelle que c’est en son sein que le virus du sida a été découvert   .

L’accélération contemporaine et les perspectives d’avenir

Le récit de la découverte de ces « vrais » médicaments, efficaces, qui permettent au malade « d’accéder à la guérison »   , et que l’on utilise encore aujourd’hui, est exaltant. Il met en exergue l’importance de la recherche fondamentale, en ce qu’il fait prendre conscience que les plus grandes découvertes   sont dues au hasard. Ce hasard est aujourd’hui réduit, grâce à une meilleure connaissance de l’action des médicaments, qui autorise la pratique de la « pharmacologie inverse », qui part de la cible physiologique pour chercher la molécule active, là où la pharmacologie traditionnelle part d’une molécule dont l’effet est connu, puis analyse par quelle voie physiologique cet effet s’accomplit. L’auteur entame le dernier chapitre de son ouvrage en semblant regretter « le poids du contrôle administratif des médicaments »   . Il est vrai que les expériences qui ont mené à la découverte de l’efficacité de la vaccination antivariolique ou antirabique ne pourraient pas se dérouler de la même façon aujourd’hui. Certes, la complexité des procédures et la longueur des essais menant à une autorisation de mise sur le marché freinent sensiblement l’évolution   , mais l’auteur rappelle aussi qu’aucun médicament n’est dénué de toxicité   et que les médicaments sont une des premières causes d’hospitalisation en France   .

Cette dernière partie de l’ouvrage est aussi la plus difficilement accessible pour le profane, ce qui s’explique par la grande technicité de notre pharmacologie contemporaine, technicité qui apparaît de manière d’autant plus flagrante qu’elle est mise en perspective avec les connaissances antérieures. Malgré le poids des contrôles, les raisons de s’enthousiasmer ne manquent pas : le biomédicament et les thérapies anticancéreuses ouvrent des perspectives assez vertigineuses. On s’aperçoit aussi que si le progrès des connaissances médicales a permis de mieux connaître et d’améliorer les médicaments, il a aussi entraîné de nouveaux besoins, lançant de nouveaux défis aux pharmacologues, relevés d’ailleurs, avec le développement des traitements immunosuppresseurs, rendus nécessaires par la pratique des greffes. Quant aux traitements anticancéreux, leurs progrès sont indéniables et sont, semble-t-il, à la veille d’une évolution majeure au vu de la commercialisation, en 2010, d’un nouveau médicament préparé à partir des cellules du patient lui-même   . On ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser que si l’utilisation de l’humain à des fins thérapeutiques est une avancée majeure, la prochaine réside sans doute dans la « synthèse » de l’humain, comme elle a résidé dans la synthèse des molécules au XIXe siècle. C’est en tout cas ce que laisse espérer la récente création, par une équipe de chercheurs d’une unité mixte de recherche INSERM-Université Pierre et Marie Curie et de l’hôpital Saint-Antoine, de globules rouges à partir de cellules souches sanguines.

Toujours est-il que le lecteur achève la lecture de cette « Petite histoire des médicaments » avec la ferme conviction qu’elle n’a pas fini de s’écrire