Nonfiction organisait hier soir au Centre national du livre une table ronde sur la biographie, animée par Hubert Artus. Les invités, Pierre Assouline, Antoine de Baecque, Jean-Luc Barré et Ran Halévi, ont évoqué le succès que rencontre ce genre depuis près de trente ans, mais également la situation précaire dans lequel, victime de sa popularité, il semble se trouver actuellement.

Si la biographie est un secteur de l’édition qui marche, cela n’a pas toujours été le cas en France, contrairement à ce que l’on peut observer en Angleterre, véritable " terre promise " du genre (P. Assouline). Ainsi, pendant longtemps, les historiens notamment l’ont méprisée, la considérant comme une hybridation démunie de rigueur entre histoire et romans. Avec Georges Duby, mais surtout avec Marc Ferro qui publia un Pétain en 1987, un tournant s’opère.

Aujourd’hui, à l’heure de la peoplisation (Hubert Artus) et de la personnalisation de la vie publique, le biographique est partout. De plus en plus de personnalités sont dès lors tentées de vendre leur histoire comme un conte de fée, et les récits biographiques se multiplient.D’autre part, avec la multiplication des canaux d’informations, on assiste à la naissance de l’ère du quick book : vite écrit et vite lu. Mal écrit et vite lu surtout (Hubert Artus). Ces évolutions ont contribué à transformer l’écriture et le genre biographique.

Une des premières conséquences de cette peoplisation a ainsi été l’élargissement du sujet biographique. Désormais, le genre ne touche plus seulement des personnages historiques, mais également des vivants. Cette nouveauté n’est pas sans poser problème, comme l’a rappelé Jean-Luc Barré pour qui, le fait d’ignorer  " la fin de l’histoire " peut limiter la compréhension que l’on peut avoir du sujet biographique. D’autre part, la saturation de l’offre biographique aurait abouti à une vulgarisation du genre. Si les invités n’ont pas fait unanimement le constat de la déliquescence de la biographie, ils appellent tous à son renouveau, renouveau qui passerait par de nouvelles approches, comme l’a notamment suggéré Ran Halévi ; ou par un retour à une certaine exigence comme le souhaite Jean-Luc Barré. Car tous les portraits ne sont pas de bonnes biographies (Jean-Luc Barré)

Mais justement qu’est-ce qu’une bonne biographie ? Il y a d’abord ce qu’elle n’est pas : une explication génétique des œuvres de l’être sur lequel on écrit,(Antoine de Baecque) ou encore un simple déroulement chronologique des événements qui ont composé sa vie. Si la trame chronologique ne doit jamais être oubliée, au risque de perdre le lecteur ou de basculer dans un autre genre, elle ne se suffit pas à elle-même. Le bon biographe est celui qui, en isolant des ruptures dans le destin d’un individu, met en lumière son existence et la manière dont son destin éclaire le parfum particulier d’une époque et les débats intellectuels qui l’ont forgée (P. Assouline).

Tout au long du débat, les auteurs ont évoqué leur expérience de biographes ou d’éditeurs, le déclic qui les a dirigés dans cette voie- qu’il s’agisse de la mort de Truffaut (A. de Baecque) ou de la lecture de Maurois (P. Assouline)- l’organisation de leurs travaux, entre archives et entretiens. La manière dont ils sont habités par les êtres dont ils écrivent l’histoire, surtout, et la finesse de la frontière qui existe entre la biographie et l’autobiographie. Puisque l’auteur, toujours, projette un peu de lui-même dans l’image qu’il dessine
 

* A lire aussi sur nonfiction.fr : 

- La biographie, une valeur de moins en moins sûre, par Pierre Testard.

- Henri Godard, Céline, par Clémence Artur.

- Benoît Peeters, Trois ans avec Derrida, les carnets d'un biographe, par Emanuel Landolt.