Borey Sok nous propose une synthèse des réflexions publiées au fil de l'actualité de la musique en ligne sur son blog Musique 2.0.

Borey Sok, animateur de Musique 2.0, blog dédié à la musique en ligne, a rassemblé dans ce livre une synthèse des réflexions qu'il y publie au fil de l'actualité.

Musique 2.0 fournit quatre explications à la crise du disque : piratage, inadéquation des modèles marketing à la nouvelle donne numérique, moindre qualité de l'offre et faible diversité musicale dans les médias. Si le piratage et l'avènement du numérique sont deux premières causes évidentes, il reste difficile d'expliquer l'effondrement des ventes de disque par une concentration de l'offre. En effet, il n'y a pas de lien mécanique entre la diversité de l'offre et le volume des ventes   . Par ailleurs, les émissions de téléréalité musicale, censées selon l'auteur pénaliser la diversité musicale, ont pourtant contribué à soutenir le marché au moment de leur lancement.

Il est dommage en revanche que le livre n'évoque pas une cause importante de cet effondrement : la fin du cycle de vie du CD. Rappelons en effet que la fin du cycle de vie du disque vinyle, au début des années 80, avait également provoqué une chute des ventes significative, même si elle était évidemment de moindre ampleur qu'aujourd'hui.

Musique 2.0 décrit ensuite les différentes stratégies marketing de sortie de crise explorées dernièrement, et analyse enfin ce qui semble au coeur des nouvelles solutions : la construction d'une relation plus directe entre un internaute acteur et l'artiste. Il s'agit en effet de toucher les internautes et conquérir de nouveaux fans grâce au web 2.0 (notamment aux réseaux sociaux   ) et au mobile, puis de rendre ceux-ci actifs dans la promotion voire la distribution ou la co-production de la musique.

L'ensemble forme un tout bien documenté par des articles et enquêtes parus sur internet, ou des émissions de radio et de télévision, même si la bibliographie "physique" aurait gagné à être plus consistante. Les exemples pratiques et spécifiques abondent : le ciblage des 6-12 ans par Up Music, le CD low cost d'Universal, les coffrets d'Abeille, la stratégie de tarification d'eMusic, la plateforme "Jeunes Talents" de SFR, le marketing relationnel proposé par Neolane, le prix équitable de Reshape-music, etc.

L'analyse est conduite essentiellement sous l'angle du marketing et du numérique, thème du mémoire de fin d'études de Borey Sok. L'auteur s'efforce aussi d'aborder l'angle économique, mais ce dernier souffre parfois d'approximations. Les questions juridiques ne sont pas l'objet de ce livre, même si elles constituent une des clefs de la crise du disque.

S'agissant des modèles économiques, l'auteur montre bien le déplacement de la valeur vers d'autres secteurs : l'accès au contenu (opérateurs télécoms, plateformes de distribution) et l'électronique grand public. L'analyse aurait toutefois gagné à explorer plus en détail la chaîne de valeur de l'industrie musicale : l'édition musicale, la filière du spectacle, la production et l'édition phonographique, la distribution, etc. Bien décrire ces différents maillons permettrait de comprendre le déplacement des équilibres économiques au sein même de l'industrie musicale : de l'industrie phonographique vers l'édition musicale et la filière du spectacle.

Cependant, à la question la plus cruciale pour la filière de la musique enregistrée, le livre ne répond pas. La crise sera-t-elle surmontée, ou la création phonographique est-elle durablement menacée ? La valeur créée par les nouveaux usages marketing suffira-t-elle à financer de façon viable la création d'enregistrements musicaux professionnels, qui coûtent toujours plusieurs dizaines de milliers d'euros, comme le rappelle l'ouvrage ?

Une des qualités de Musique 2.0 est en effet son réalisme. Borey Sok, contrairement à d'autres bloggeurs et acteurs du numérique, reste mesuré. Il reconnaît que ce qui fonctionne pour les artistes connus et confirmés (exemples de Barenaked Ladies, Radiohead   , etc.) ne fonctionnera peut-être pas pour de nouveaux artistes, en tout cas peut-être pas suffisamment pour assurer le renouvellement de la création phonographique avec des enregistrements de qualité professionnelle.

Saluons enfin la proposition de Borey Sok de donner à la nouvelle relation entre internaute-fan et artiste une valeur pédagogique. Sensibiliser les fans et les internautes à la pratique musicale, via des cours de musique sur internet donnés par l'artiste, renforcerait le respect pour la musique et diminuerait la pratique du téléchargement illégal.

Pourquoi ne pas approfondir cette idée et montrer aux internautes la difficulté et la valeur ajoutée artistique du métier de producteur de phonogramme   , dont l'image est aujourd'hui sérieusement diminuée dans l'esprit des internautes ? En effet, ce ne sont pas les artistes et la musique qui manquent de respect, mais l'industrie phonographique, dont l'image s'est en outre sensiblement dégradée suite aux procès intentés contre certains pirates. C'est elle, surtout, qui a besoin d'être réhabilitée. Montrer les efforts fournis en studio par les artistes et l'équipe de production, par exemple via un reportage dans les coulisses, aurait ainsi une vraie valeur pédagogique.


> En lien sur nonfiction.fr :
> Radiohead ou la vraie valeur de la musique, interview du leader du groupe par Dvid Byrne.
> ... et pourquoi pas Bach ?, un programme sur Bahc en téléchargement libre sur le site de la violoniste Tasmin Little.
> La musique et les réseaux sociaux, par Philippe Axel, ou comment Facebook, Myspace et les autres font bouger les habitudes de l'industrie du disque.


--
crédit photo : labnol/flickr.com