Laurent Degos dissèque les mécanismes des crises en santé et met à l'épreuve les solutions à envisager pour les prévenir sans désigner de bouc émissaire.

Bactérie E. coli, grippe A, drame de l’Hôpital Saint-Vincent de Paul, prise en charge du patient par l’Assurance Maladie... Les désordres dans le domaine de la santé sont légion et conduisent à des crises. L’ouvrage de Laurent Degos est malheureusement plus que jamais d’actualité. Dans cet ouvrage, il s’intéresse à la crise dans le domaine de la santé et pose la problématique suivante "A-t-on la possibilité de prévoir et de prévenir la crise ou se contente-t-on de voir venir et de subir l’orage ? A-t-on la possibilité d’anticiper et d’éviter la crise ou doit-on attendre de se voir édicter des règles sous la contrainte d’une situation catastrophique ?".

L’auteur, fort de son expérience en tant que Président du Collège de la Haute Autorité de Santé (HAS) de 2005 à 2010   , dissèque la crise en santé et propose un nouvel ordre. Du constat de la crise à l’anticipation et la prévention de crise, celui-ci examine dans un premier temps "les crises que l’on connaît". Tout d’abord, l’auteur retrace "la crise vécue", c’est à dire ses propres crises d’asthme. Ainsi, il permet au lecteur de comprendre son parcours, mais surtout de s’identifier et se plonger rapidement dans l’ouvrage. C’est l’étude des "crises collectives emblématiques" qui permet la compréhension du problème qu’est la crise en santé. Au-delà de la crise touchant l’individu, c’est celle touchant le corps social qu’il est nécessaire de prévenir. Les conséquences sociales de ce type de crise, au-delà du nombre de victimes, sont dramatiques car "cette situation insupportable conduit à chercher des boucs émissaires, à déclarer un procès, comme dans l’affaire du sang contaminé, pour condamner les responsables". En effet, Laurent Degos pose une question fondamentale, soigneusement évitée par bon nombre d’acteurs du système de santé : "doit-on et peut-on mêler la recherche des responsables qui seront sanctionnés pénalement et celle des causes qu’il nous faut réparer ?". En fervent défenseur de l’amélioration du système, celui-ci plaide pour un autre ordonnancement de celui-ci. Il donne l’exemple des Pays-Bas qui, confrontés à une situation de mortalité excessive dans un département de chirurgie cardiaque, a mené une politique basée sur la confiance de la population par la transparence et la concertation sans prendre les chirurgiens pour bouc émissaires afin de rechercher les causes de la crise. Une liste des fausses bonnes idées pour prévenir des événements indésirables sévères est dressée : la déclaration obligatoire pour la veille sanitaire, instrument coûteux et peu efficace, les événements indésirables graves gérés au niveau national alors que la recherche de cause doit être locale, la mise en place de nombreuses procédures et checks lists, l’inculpation et la sanction de la personne présente au moment de l’accident, alors que toute une chaîne est défaillante. L’analyse de la crise qui n’a pas eu lieu, la grippe H1N1, permet à l’auteur d’expliquer les leçons tirées de cette "non-crise". La principale est la mise à l’écart de "l’homme de confiance", le médecin traitant. Remplacé par des informations (parfois contradictoires) transmises sans attendre par les pouvoirs publics, par internet, la vaccination n’a pas été acceptée par la population.
Dans un second temps, l’auteur expose les prémices des crises futures et expose les solutions pour prévenir la catastrophe. Ainsi, il s’interroge sur le principe de précaution. À travers notamment l’exemple frappant de l’interdiction du DDT, insecticide qui a valu le prix Nobel à Paul Muller en 1948, et meilleure produit pour éradiquer le paludisme. Relativiser la norme, voilà ce que propose Laurent Degos, adapter les politiques de santé selon les pays. A travers cet exemple celui-ci démontre combien "le pragmatisme qui aurait dû conduire à des politiques de santé adaptées pour les pays en développement a été étouffé par l’excès de prudence des pays riches". Il évoque aussi le risque de "choc frontal" entre industries pharmaceutique et assurances solidaires, critiquant le boom de la médecine personnalisée, la prise en charge de ces médicaments étant très coûteuse. De même pour les innovations à l’hôpital qui bouleverseront le système à plus ou moins long terme. L’exemple donné par l’auteur laisse le lecteur abasourdi : un outil qui   permet de faire simultanément le diagnostic de la tuberculose et de résistance aux antibiotiques en deux heures avec une fiabilité de 99% est disponible. Or avec la mise en place de ce type d’outils, quel est le devenir des laboratoires publics ou privés ?

L’auteur prévoit aussi une crise de conscience collective, car des choix éthiques permettant de nouvelles avancées seront à faire.

En conclusion, beaucoup de grandes réformes sont proposées par l’auteur afin d’éviter les crises. C’est surtout la revalorisation de la place du médecin qui est demandée et l’optimisation du parcours de soins afin de réconcilier la logique de la qualité individuelle de la relation médecin-malade et la logique collective d’un système de santé solidaire, durable et équitable. Espérons que le nouvel ordre souhaité par Laurent Degos voit le jour…