De l’entretien au recueil de discours, le lecteur a une excellente vision et compréhension du programme de François Hollande, mais le format de l’ouvrage a tendance à rendre la lecture pénible.

Presque tous y sont passés, et ont obéi à cette règle implicite qui veut qu’un candidat à la présidentielle sorte, dans un timing parfaitement maîtrisé, son livre de campagne. Pour le moment favori des sondages, François Hollande s’est soumis à l’exercice mais a souhaité donner une coloration plus originale à son ouvrage. Le candidat a fait le choix d’un livre en trois parties : la première est constituée d’un entretien, la seconde d’un corpus de discours qu’il a tenus entre 2009 et sa candidature officielle, la dernière partie réunit les discours prononcés depuis cette candidature.

 

"Le compromis avec le réel n’est pas la compromission de l’idéal"

L’entretien nous amène directement au cœur du sujet. Divisé en plusieurs grandes parties, il aborde les thèmes principaux qui jalonnent la campagne du candidat, lui permettant tour à tour de parler de lui, de sa vision de la présidence, de la France et de donner en quelques mots les grands axes de son programme. Sur le plan social, François Hollande réaffirme la priorité à la jeunesse, "aujourd’hui sacrifiée"   , à travers l’éducation et l’emploi. Le candidat veut élargir la préscolarisation et déployer de façon plus efficace le maillage éducatif sur le territoire : un investissement lourd, mais sur lequel il a bâti toute sa campagne. Sur le plan économique, la mesure phare du candidat est évidemment la réforme fiscale qui l’éloigne du programme commun du Parti socialiste. Un long paragraphe est néanmoins consacré à l’impératif industriel et la nécessité française de développer ses PME. Le candidat s’attarde également longuement sur la philosophie républicaine, la laïcité et l’école comme ciments nationaux, et plaide pour une histoire de France ouverte, soumise au travail permanent des intellectuels et éloignée de tout dogmatisme. Enfin, François Hollande termine l’entretien sur sa vision du rôle de la France dans le monde : l’occasion de reparler des soulèvements démocratiques dans les pays arabes, mais aussi d’évoquer l’Europe et la nécessité de signer de nouveaux traités d’harmonisation des politiques économiques, sociales ou écologiques.

Si l’exposé est plutôt réussi, l’entretien pose néanmoins quelques questions. Tout d’abord, il n’est pas daté. On comprend à sa lecture qu’il est assez récent, mais il est toujours agréable, pour le lecteur, de savoir quand et dans quelles circonstances une interview est réalisée. Cet oubli est sans doute dû au fait que l’entretien n’a pas été fait sur un mode "journalistique" : les interlocuteurs de François Hollande (Denis Lefebvre, Vincent Duclert, Bernard Poignant et Dominique Villemot) ne sont pas là pour le mettre en difficulté, mais pour lui poser des questions très ouvertes lui permettant de répondre sur un ton discursif.
Lorsque François Hollande dit : "Le compromis avec le réel n’est pas la compromission avec l’idéal" (page 22), on comprend immédiatement que l’entretien a été préparé et probablement réécrit par la suite. Lorsque l’on sait que Vincent Duclert, Bernard Poignant et Dominique Villemot font, plus ou moins ouvertement, campagne pour Hollande, les choses s’éclairent. Petit à petit, les questions se font plus larges et complaisantes. Nous pouvons ainsi lire : "Vous défendez donc une idée de dignité civique, d’intelligence critique, de rôle des historiens, à même de faire comprendre notre histoire ?" (page 41) ou encore : "Quelle est votre relation à l’argent ?" (page 42). Et pour finir, il n’y a plus de question du tout : "Quel État" (page 43), ou "L’école et la République" (page 46).

 

"En suis-je capable ? En tout cas, je ressens le devoir de l’être"  

François Hollande utilise une rhétorique partagée par tous les candidats et construite sur une armature finalement assez banale : constat/propositions.

Le constat, évidemment, se veut alarmiste. La situation économique de la France et la crise qui touche l’Europe obligent les candidats à apporter des réponses concrètes et immédiates, et permet également à la gauche d’accuser les politiques menées par Nicolas Sarkozy depuis quatre ans. François Hollande ne s’en prive pas. Dès le début de l’entretien, il dresse le portrait d’une France profondément meurtrie, tant économiquement que psychologiquement   . Le coupable désigné est évidemment Nicolas Sarkozy, qui se voit consacrées des pages entières sur son "inaction", ses "gesticulations   et ses choix politiques nocifs. En critiquant "l’omniprésence" du président   , François Hollande fait rejaillir l’idée d’une présidence "normale" qu’il défendait avant la chute de DSK.

Comment peut-on plaider en faveur d’une présidence "normale" et donner comme titre à son livre "Le rêve français" ? Un président "normal" peut-il faire rêver la France ? François Hollande s’explique rapidement sur ce titre. Pour lui, le rêve français, c’est cet espoir né avec les Lumières, la Révolution, la République, la Résistance et mai 81   . Invoquer de grands moments de l’Histoire de France pour mieux s’y inscrire : la recette est bien connue et utilisée indifféremment par tous les bords de l’échiquier politique. Il est regrettable que sept pages plus loin, François Hollande s’élève contre "les discours incantatoires de l’Histoire de France" comme argument électoral   , lui qui fait dans cet entretien une utilisation abondante voire abusive de Jaurès et de Mitterrand   .

François Hollande use également d’accusations qui font consensus à gauche, contre Hadopi   ou le discours de Latran   , au risque de lasser le lecteur. Pourtant, le fond est là : le candidat dévoile avec brio ses idées et son programme dans ces soixante pages d’entretiens. On sent le travail fourni en amont et la cohérence du propos de l’homme qui se prépare à ce rendez-vous depuis maintenant deux ans.

 

"Faisons ce rêve ensemble, pour qu’il soit la réalité de demain"  

La deuxième partie du livre nous montre en effet que François Hollande se tient prêt depuis 2009 : on perçoit, dès ses premiers discours, l’ambition politique de celui qui n’est pas encore candidat. La construction rhétorique ne varie guère d’un discours à l’autre : le point de départ est toujours le constat d’un échec des politiques de droite face à la crise qui a appauvri le pays et démoralisé les Français. Et pour dresser le portrait de la France, François Hollande ne mâche pas ses mots : "Autrement dit, et sans tomber dans je ne sais quelle facilité de langage, nous sommes dans le déclin"   . S’en suivent quelques critiques toujours bien senties contre Nicolas Sarkozy : "Le président est pour l’essentiel la cause des dérèglements actuels   , puis une liste de propositions davantage étayées à chaque discours.

Réunir ces discours est en ce sens une idée lumineuse : cela nous permet d’apprécier la réflexion, déjà ancienne, du candidat sur les politiques à mener, et de constater au fil des pages l’évolution de sa pensée d’un discours à l’autre. Il en ressort que François Hollande est resté très cohérent depuis 2009, dans ses aspirations comme dans ses propositions. Ses quatre grands axes (l’éducation, la relance de l’économie, la réforme fiscale et l’impératif écologique) se retrouvent au fil des pages, d’un discours à l’autre.

En ce qui concerne l’éducation, le contrat de génération   apparaît dès 2009 pour rester une des mesures phares de sa campagne. La relance de l’économie est elle-aussi prégnante dès le premier discours, lorsque François Hollande met l’accent sur la crise que nous traversons et l’impératif industriel qui incombe aujourd’hui à la France. La critique du système fiscal actuel "illisible et instable" prépare à la réforme fiscale que le candidat défend depuis deux ans. L’impératif écologique   reste quant à lui la toile de fond de toutes ces mesures, mue par l’exigence démocratique et la volonté de faire de la France un pays en pointe dans les énergies et les industries vertes.

L’on sent finalement l’émergence, chaque fois mieux argumentée, de ces quatre pactes que François Hollande souhaite mettre en place : productif, redistributif, éducatif et énergétique, et l’articulation naturelle qu’il y a entre eux. La réforme fiscale doit permettre à l’Etat de faire des économies, l’autorisant ainsi à geler le budget de l’éducation. La relance de la production et la favorisation des énergies vertes seront à la fois bénéfiques à l’économie et à l’emploi des jeunes. François Hollande, avec ces quatre pactes qu’il veut mettre en place le plus rapidement possible, montre que multiplier les mesures ne sert à rien : tout se tient, tout se répond… mais parfois également, tout se répète.

On retrouve au fil des discours cette idée que "tout n’est pas possible", que la France va devoir se serrer la ceinture   . On lit également six fois la définition de ce "rêve français", déjà donnée lors de l’entretien, et l’on assiste, un peu désabusé, à une série de nouvelles facilités électoralistes, des "banques qui mangent la main de qui les a sauvées" au "régime du contre exemple" donné par les traders   .

Avec la troisième partie, nous entrons dans une nouvelle rhétorique. François Hollande est désormais officiellement candidat et passe du discours pré-électoral à la déclaration de guerre. Hollande reprend les mêmes constats, les mêmes solutions à grand renfort de figures de style, entre anathèmes et accumulations. C’est dans cette troisième partie que le projet du candidat prend toute son ampleur : les propositions se sont transformées en programme. Ces quatre-vingts dernières pages constituent ainsi l’aboutissement de ces deux années de discours, et confortent le lecteur dans l’idée que sa candidature n’est pas le fruit du hasard ou des circonstances, mais d’une réelle réflexion et d’un travail de terrain.

Le risque, en publiant ces discours, est double : d’une part, le lecteur peut se lasser de relire les mêmes discours, s’il ne s’intéresse pas à l’évolution rhétorique du candidat. D’autre part, il peut être heurté par de petits détails qu’il n’aurait probablement jamais remarqués à l’oral, comme cette phrase, maladroite, prononcée au discours de Périgueux le 26 mai 2011: "Pourquoi vouloir une présidence normale ? Les esprits les plus simples l’ont compris, c’est que le président actuel est anormal"   . François Hollande sous-entend-il que les Français prêts à voter Nicolas Sarkozy en 2012 (et ils restent nombreux) sont moins encore que des simples d’esprits ? Le terrain est glissant, et l’on attendait plutôt du candidat les quelques traits d’humour dont on le sait friand…

Il faut atteindre la page 256 pour, enfin, entendre réellement la voix de François Hollande lorsqu’on lit : "Il (Nicolas Sarkozy) se réclamait de de Gaulle, il en avait bien le droit même s’il n’en avait pas la taille. Je ne parle pas du physique, car je n’ai rien, de ce point de vue, à revendiquer."