Co-auteur de Les Mondes agricoles en politique, de la fin des paysans au retour de la question agricole   , François Purseigle s'exprime ici sur les nouveaux défis de la politique agricole française à la lumière des résultats du recensement agricole dernièrement publiés.

Les premiers chiffres du recensement agricole viennent de tomber.  Ils témoignent d’une réalité sociale implacable mais qui est loin d’être nouvelle. La population agricole est définitivement entrée en minorité et sa trajectoire démographique est claire. 4,5 millions d’actifs agricoles auront disparu durant  le XXème siècle et le nombre d’exploitations agricoles aurait, selon les dernières estimations, chuté de 26 % en dix ans. Au-delà de la brutalité des effets d’annonce, que nous révèlent ces chiffres ? Quelles sont les tendances à l’œuvre qui viennent les expliquer ?

Premier enseignement, ces chiffres ne sont que la confirmation d’une "lame de fond" qui traverse la société française : l’inexorable effacement démographique d’une minorité parmi d’autres. Même si la France reste globalement caractérisée par son dynamisme agricole et agroalimentaire, n’oublions pas derrière ces performances les réalités démographiques en milieu rural : les mondes agricoles ne sont plus majoritaires au sein même des campagnes françaises, ils constituent une minorité parmi d’autres. En France, la part des ménages agricoles dans les espaces ruraux ne cesse de diminuer. La fin de l’exode rural des campagnes européennes, loin d’être une reconquête agricole ou industrielle, constitue au contraire l’extension d’une urbanité dominante dont le corollaire est une mobilité accrue. Ainsi si l’exode rural avait vidé les campagnes pour faire d’elles des espaces agricoles, l’exode urbain signe, tout du moins d’un point de vue culturel et politique, la fin des campagnes agricoles et leur incorporation dans un espace urbain illimité. L’environnement local des agriculteurs n’est plus forcément un environnement agricole. Ce phénomène n’est pas nouveau, il se confirme. Il s’agit donc de l’admettre tout en reconnaissant qu’il s’agit aussi peut être d’une chance pour des agriculteurs qui souhaitent nouer de nouvelles formes de dialogue avec les autres populations rurales, alors même qu’à l’échelle locale, bon nombre d’agriculteurs sont en situation d’isolement et de vie solitaire.

Deuxième enseignement des résultats du recensement : la population agricole française vieillit et se réduit dans toutes ses composantes familiales. Les études récentes le confirment, le nombre d’agriculteurs âgés de moins de 30 ans aura été divisé par deux en douze ans (Lefebvre, 2009, 2010). Il n’y jamais eu aussi peu d’agriculteurs mais également aussi peu d’enfants d’agriculteurs susceptibles de reprendre les exploitations de leurs parents. Même dans les départements les plus dynamiques en matière d’installation, les questions de transmissions et de création d’entreprise se posent aujourd’hui de manière cruciale. Il n’y a pourtant pas de crise des vocations en agriculture : avec plus de 15 000 inscrits dans les répertoires départementaux à l’installation, le nombre de candidats demeure important. Le métier d’agriculteur est aujourd’hui désiré, et si les experts s’accordent à dire que le nombre de chefs d’exploitation ne devrait pas cesser de diminuer pour atteindre les 320 000 en 2020, c’est certainement pour d’autres raisons d’ordre socio-économiques. Parmi celles-ci, l’accès au foncier. Si le territoire français non agricole ne cesse de se développer (7 403 000 ha en 2007 contre 4 431 000 en 1950), il n’en demeure pas moins que, sur le million d’hectares mis sur le marché en moyenne chaque année, seuls 10 % quittent la superficie agricole utile. L’idée souvent répandue d’une disparition des terres agricoles au profit du béton, du bitume et donc de l’urbain camoufle une autre réalité, celle de la concentration des systèmes d’exploitation. Sur les 900 000 hectares qui restent disponibles pour l’agriculture, 500 000 ha sont destinés à l’installation et 400 000 ha servent à l’agrandissement d’exploitations en place (Lefebvre, 2009, 2010), selon des dynamiques de concurrences intra-professionnelles dans l’accès à la terre.

Mais il y a d’autres tendances qui échappent à l’appareil de statistique. Si l’environnement local des agriculteurs rassemble de plus en plus d’acteurs non agricoles qui entrent en majorité, il s’y déploie également des réalités agricoles différentes. En effet, lorsque les agriculteurs ont encore un voisin agriculteur, ce dernier ne partage pas forcément la même vision du métier ni les mêmes logiques sur les plans technique, stratégique, ou patrimonial. Ainsi, à côté des formes d’agricultures traditionnelles, construites autour de la figure du chef d’exploitation et mobilisant une main d’œuvre principalement familiale, se développent des formes entrepreneuriales diverses, pour certaines extrêmement financiarisées et abstraites où le personnel est majoritairement salarié.

Ces évolutions, dont l’analyse constitue un nouveau champ pour la sociologie rurale et agricole, impliquent que nous repensions les contours des politiques agricoles et notamment les dispositifs d’aide à l’installation à l’échelle des territoires. Comme nous l’avons écrit avec Bertrand Hervieu , nos territoires et les politiques publiques qui visent à favoriser leur développement ne sont pas seulement confrontés à un changement d’échelle d’ordre quantitatif mais également à un éclatement des modèles d’organisation de la production et donc du statut des producteurs eux-mêmes. En France comme ailleurs, l’enjeu qui se pose donc aux mondes agricoles est tout à la fois celui du nombre et de leur coexistence

Par François Purseigle,
Maitre de conférences à l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique-INP Toulouse
Chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences po-Paris