Un peu d'épistémologie et beaucoup de métaphysique dans un style concis et efficace.

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Lancée il y a bientôt deux ans, à l’automne 2009, la REPHA (ou Revue Etudiante de Philosophie Analytique) est une revue éditée par des étudiants en philosophie motivés et soucieux de faire connaître leur façon d’aborder cette discipline (c’est-à-dire la façon "analytique" de philosopher, quoique cela puisse être   ) . À l’origine, la revue visait à publier des articles courts (5 pages maximum) et argumentatifs écrits par des étudiants, de façon à constituer "une sorte de laboratoire d’écriture"   . Mais la formule s’est peu à peu enrichie. Dès le premier numéro s’est installée l’habitude d’ouvrir le numéro par une contribution d’un "senior" plus expérimenté (Daniel Andler, Jean Gayon et enfin Pascal Engel). Puis le numéro 2 a vu apparaître une section "Traduction", destinée à faire découvrir aux lecteurs francophones de précieux textes encore jamais traduits (comme "Qu’est-ce que la philosophie expérimentale ?" de Joshua Knobe). Avec ce numéro 3, c’est une section "Recension" qui fait son apparition, réduisant à un le nombre d’articles originaux écrits par des étudiants.

Fort de ses 74 pages et de son format poche permettant une lecture n’importe où, ce numéro 3 s’ouvre donc sur un texte de Pascal Engel intitulé "Les normes épistémiques", en fait une traduction révisée de son article "Epistemic norms", rédigé pour le Routledge Companion to Epistemology. Le texte fournit une introduction synthétique aux diverses questions soulevées par la notion de "normes épistémiques" (par exemple : "on ne doit pas croire p et non p") : l’existence de telles normes semble en effet sous-entendue par notre tendance à évaluer certains jugements et opinions comme injustifiées et certains raisonnements comme mauvais, mais ne va pas sans poser certains problèmes. Engel répertorie ainsi cinq grandes questions : celle du rapport des normes épistémiques avec les valeurs épistémiques (peut-on réduire les normes aux valeurs et vice-versa ?), celle du rapport entre normes épistémiques et la notion de rationalité (peut-on déduire les première de la seconde ?), celle du pouvoir régulatif des normes épistémiques (peuvent-elles nous guider et comment ?), celle de l’objectivité des normes épistémiques (sont-elles de simples conventions ou leur validité est-elle universelle ?) et enfin celle de leur naturalisation (peut-on réduire les normes épistémiques à des faits naturels ?).

Suit le seul article original signé par un étudiant : celui de Nicolas Pain sur "Le coût de l’argument de l’indispensabilité des mathématique". Dans cet article, l’auteur discute un argument en faveur du réalisme mathématique qui peut être résumé de la façon suivante : puisqu’il convient d’accepter l’existence des entités postulées par nos meilleures théories scientifiques, et puisque nos meilleurs théories scientifiques postulent des entités mathématiques, alors il convient d’accepter l’existence d’entités mathématiques. Suite à une discussion serrée, Pain minimise la portée de l’argument en arguant (1) qu’il ne permet pas de conclure à l’existence des entités mathématiques en général, mais uniquement de celles utilisées dans les théories scientifiques et (2) qu’il n’est pas évident que les théories scientifiques postulent réellement l’existences des entités mathématiques dont elles font usage, étant donné que leur rôle est prédictif, et non pas explicatif.

Vient ensuite la traduction, celle d’un texte d’Achille Varzi "Sur la distinction entre ontologie matérielle et ontologie formelle" (traduit pas Nicolas Liabeuf et originellement publié dans le volume Interdisciplinary Ontology). Dans ce texte, Varzi interroge la distinction entre "ontologie matérielle" (dans la tradition de Quine, et qui s’intéresse avant tout à dresser l’inventaire de ce qu’il y a dans le monde) et "ontologie formelle" (dans la tradition de Brentano et Husserl, et pour laquelle "la tâche de l’ontologie n’est pas de préciser ce qu’il y a mais plutôt de dévoiler la structure formelle de tout ce qu’il y a, quoi que cela puisse être"   ). Peut-on vraiment faire de l’ontologie matérielle sans faire de l’ontologie formelle, et vice-versa ? Varzi en doute. Dans un sens, si celui qui s’occupe d’ontologie matérielle veut faire une liste non seulement complète mais aussi non redondante de ce qu’il y a, il lui faudra s’interroger sur ce qui fait que deux objets sont identiques, afin de déterminer, par exemple "si chaque statue est identique au bloc d’agile correspondant"   . Dans l’autre, il semble qu’aucun principe formulable par l’ontologie formelle (y compris celui d’identité à soi-même ou la loi de non-contradiction) ne puisse se trouver menacé par quelque entité possible : dans ce cas, il semble que la neutralité vis-à-vis de l’ontologie matérielle soit impossible, afin de limiter le champ des possibles sur lesquels porte l’ontologie formelle. La traduction du texte de Varzi est de plus précédée d’un texte de Jean-Maurice Monnoyer intitulé "Notes et introduction au travail philosophique de Achille C. Varzi", qui permet de replacer le propos de Varzi dans le contexte plus large de l’ontologie contemporaine.

Le numéro se clôt sur la toute nouvelle section, "Recension", qui propose une traduction de la recension par E.J. Lowe du livre A Sketch for Systematic Metaphysics (Une Esquisse pour une Métaphysique Systématique), parue d’abord dans la fameuse Notre Dame Philosophical Review. La recension (la critique, en fait) de Lowe exemplifie parfaitement les qualités des articles publiés dans REPHA : exposition limpide du propos de son interlocuteur et critique précise sur la base de contre-arguments.

Ainsi se termine ce rapide buffet à base d’épistémologie et d’ontologie. Reste à attendre le numéro 4, en se demandant ce qu’aura inventé de nouveau l’équipe de REPHA

À lire :

*Le contenu de REPHA N°1 est en accès libre sur le site de la revue.

*Une recension de REPHA N°2.