Dans son dernier ouvrage, Bertrand Badie souligne les limites de la diplomatie de connivence symbolisée par les nouveaux “directoires du monde” (G8 et G20). Cette “nouvelle aristocratie” susciterait la contestation d’États et d’acteurs frustrés d’être écartés de la prise de décision.

La volonté de partage du monde n’est pas nouvelle. Bertrand Badie retrace dans La diplomatie de connivence les différentes tentatives de concertation qui ont longtemps permis à la diplomatie de rester une “affaire de princes”. Pour l’auteur, cependant, l’oubli de la dimension sociale du système international est une erreur. Il souligne “l’incroyable entêtement oligarchique qui, de G8 en G20, du P5 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité) en groupes de contact de toute sorte, cède à l’illusion du directoire du monde […]. Toute aristocratie chancelante suscite un tiers-état ambitieux, mais aussi une plèbe portée à l’émeute, voire à la violence, jusqu’à chercher parfois à déstabiliser, depuis sa périphérie, un ordre international plus fragile que jamais”.

L’auteur analyse l’émergence du G8 dont la création traduirait une gestion oligarchique du système international. C’est Valéry Giscard d’Estaing qui, en 1975, prend l’initiative de réunir à Rambouillet le G5 (France, États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Japon) dans le contexte de la crise pétrolière. Le G5 s’élargit par la suite au Canada, à l’Italie et à la Russie ainsi qu’à l’Union européenne. La fragmentation du jeu lié à la fin du monde bipolaire oblige à une délibération collective.

Badie évoque un “réflexe oligarchique” qui flatte “l’instinct de puissance, d’affichage et d’ostentation”. Une réunion du G8 est avant tout une opération de communication. C’est une affaire de diplomatie publique en situation de crise ; un message envoyé aux peuples qu’il faut convaincre en montrant l’efficacité de la mobilisation gouvernementale. Pour preuve, Badie décrit l’orchestration qui accompagne les réunions et souligne le “désir de l’hôte de briller face à son peuple”. Un G8 ne décide que très peu, il énonce des enjeux. “On est dans la connivence plus que la coopération, c’est-à-dire dans l’accord tacite et relâché, ponctuel et circonstanciel, plus que dans la participation franche à une œuvre commune, clairement matérialisée et identifiée”.

Le G20 naît en marge d’une formation du G7 réuni en 1999 à Washington. Le G8 est conscient de la nécessité de donner un signal d’ouverture aux pays émergents. Mais il est significatif que la première réunion du G20 se réunit sur une base avant tout technique à la seule échelle ministérielle sur les sujets financiers. C’est une amorce de concertation timide. Le choix des pays (sans compter l’Union européenne) qui intègrent le G20 (Australie, Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Mexique, Arabie Saoudite et Turquie, Inde, Indonésie, Chine, Corée du Sud) n'est pas anodin par ailleurs. Outre l’intégration de la Chine, de l’Inde et du Brésil “qui s’imposait d’elle-même”, “tous les autres promus pouvaient en 1999 faire état de très bons et très loyaux services”, soutient Badie.

L’Arabie Saoudite était encore un fidèle allié des États-Unis (avant l’attaque du World Trade Center), l’Argentine de Menem était docile à l’égard de Washington, l’Australie et la Corée du Sud étaient également des alliés des États-Unis. L’Indonésie sortait d’une dictature très pro-occidentale de Suharto. Quant au Mexique, il est membre de l’Alena (Accord de libre-échange nord-américain) tandis que la Turquie d’avant l’AKP, membre de l’OTAN, défendait des positions assez peu affirmées sur la scène internationale.

En 2008, à l’initiative de Nicolas Sarkozy, les dirigeants occidentaux s’entendent pour élargir la concertation entre les économies développées et émergentes au niveau des chefs d’État et de gouvernement. Le président français convainc George Bush d’organiser une réunion à Washington. Cette initiative a suscité des réticences. Les plus modestes souhaitaient protéger les structures passées pour ne pas affaiblir leur rayonnement. L’Europe n’était pas pressée de voir la Chine intégrer le G20 par peur de la banalisation d’un G2 sino-américain. Le Japon voulait, quant à lui, garder l’exclusivité de la représentation de l’Asie. Et les États-Unis craignaient d’ouvrir la diplomatie aux pays du Sud. Le G8 élargi reste cependant un gouvernement du petit nombre (9,9 % des États de la planète). Et c’est aussi une “ploutocratie” (90 % du PIB mondial), relève Badie.

On contourne le multilatéralisme avec l’argument d’une efficacité non prouvée et d’une légitimité contestée. Et cette diplomatie de club renforce la contestation d’autres acteurs exclus, États mais aussi acteurs de la société civile (ONG, entreprises). Bertrand Badie milite pour l’implication dans le jeu de la gouvernance de ces acteurs qui, aujourd’hui, représentent des “entrepreneurs de la négociation internationale”. La société civile s’est bien appropriée les grands enjeux et il serait dangereux de l’ignorer.