Les page "Rebonds" de Libération daté du 10 janvier reviennent sur le dernier ouvrage d'Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, avec deux articles : "De quoi Badiou est-il le symptôme ?" par Geoffroy de Lagasnerie et "Chiens, rats, anticommunistes..." par Bruno Chaouat.

Les deux auteurs formulent chacun une critique sévère d'Alain Badiou, à qui ils reprochent une vision politique trop étriquée, fondée sur la croyance d'une opposition immuable entre d'une part un "pétainisme transcendantal", présent en France depuis 1815   et d'autre part "l'hypothèse communiste". Plus que la violence pamphlétaire du philosophe, déjà dénoncée par Pierre Assouline dans son blog, qui repose sur une bestialisation de l'électorat assimilant les électeurs de Sarkozy à des "rats", ce qui choque les deux auteurs c'est qu'à travers cette opposition quasi-immuable, Alain Badiou s'en tient à une métaphysique politique qui se confine dans un esprit de système. Il occulte ainsi tout un ensemble de mouvements intellectuels, de pensées émancipatrices qu'il balaie d'un revers de main en les classant dans le "non-politique".

Selon Geoffroy de Lagasnerie, Alain Badiou "restaure une philosophie d'institution", sous le signe d'une pensée systématique basée sur une vision unifiée et figée du monde. Finalement, Badiou ne parvient pas à se défaire d'une pensée de l'ordre. S'il en appelle à se porter vers un idéal politique et une société à venir, il le fait au nom d'une "unité à préserver", qui, si elle n'est pas celle, réactionnaire, d'une Nation, a cependant pour conséquence de "ranger tous les mouvements sous une règle commune". Il s'inscrirait ainsi dans une logique de "'régulation' et d'ordonnancement" qui efface, à son tour, un large pan de la pensée des années 60 et 70. Geoffroy de Lagasnerie oppose l'héritage intellectuel de gens comme Foucault, Bourdieu, Deleuze ou encore Derrida à ce que propose Badiou : d'un côté, une pensée du désordre dirigée vers l'émancipation et un effort pour "[réinventer] la pensée" ; de l'autre, une position qui "[rejoue] sempiternellement de vieux affrontements", oublieuse des événements et des nouveaux mouvements qui ne tombent pas sous la coupe de sa logique.

À lire Geoffroy de Lagasnerie et Brunon Chaouat, lutter contre la volonté de liquider l'héritage de Mai 68 suppose que l'on emprunte une autre voie que celle empruntée par Alain Badiou.


* Pour approfondir le débat, vous pouvez lire la critique publiée sur nonfiction.fr de De quoi Sarkozy est-il le nom ?, qui donne  une vision plus positive de cet ouvrage.
* Lire la réponse d'Alain Badiou, publié dans les pages "Rebonds" de Libération daté du 14 janvier