A contrario des discours de l’époque, l’ouvrage prend parti pour la représentation, ce terme élaboré dans le cadre de la philosophie moderne. 

A l’égard de la notion même de représentation, il convient de dire d’abord un mot au lecteur. Le terme « représentation » a un champ de signification très large et différencié. Un dictionnaire de philosophie renvoie ainsi à « tenir lieu de » (sens juridique et politique) et « être une image ou une idée de quelque chose ». Par ailleurs, l’usage théâtral du terme est le plus courant, quand il n’est pas étendu à tous les arts. Mais chacun en connaît bien le sens politique au travers de la confiance qu’il fait à ses représentants, ainsi nommés depuis que la philosophie politique du XVII° siècle s’est saisie de ce terme. C’est assez dire que la notion est en usage et même en large usage. Encore, peut-on préciser que c’est surtout au premier sens que ce terme est utilisé en philosophie, au moins depuis que les René Descartes et Immanuel Kant puis les postkantiens ont pris la plume, même si les uns et les autres ne lui font pas dire la même chose.

Mais aussitôt, il importe d’ajouter ceci : presque tout le XX° siècle philosophique a cherché à procéder à la ruine des pensées de la représentation. Que l’on fasse remonter ce geste à Martin Heidegger ou non, il n’en reste pas moins vrai que les commentateurs philosophiques de notre époque ne cessent de montrer qu’elle a échoué à proportion de sa consécration, qu’elle soit de pensée ou politique. Heidegger, quant à lui, n’a cessé de mettre en scène l’histoire de la métaphysique comme domination de la représentation et de la subjectivité, en un mot, « oubli de l’être », ainsi recouvert par les « étants ».

C’est dans ce contexte qu’intervient l’ouvrage de Pierre Guenancia. Il peut être compris, en première approche, comme un livre de réhabilitation de l’idée de représentation. A ce titre, d’ailleurs, selon la position que l’on défend, on peut le saisir comme un livre qui entreprend un combat d’arrière-garde, ou comme un livre qui nous délivre des philosophies du concept. Mais il peut être approché aussi comme un ouvrage assez subtil pour s’essayer à faire le tour de la question de la représentation à une époque où – en dehors du champ philosophique – la représentation ne cesse de proliférer : sous la forme, par exemple, de l’empire de la marchandise devenue spectacle et du spectacle de la marchandise dans ce que l’on appelle, maintenant et depuis longtemps, la société de consommation.

C’est dire si l’ouvrage est important, quelle que soit la position que l’on veuille défendre. Il éclaire certains traits de notre époque, il donne des moyens de réflexion sur le statut de la pensée, de la société, du pouvoir, ...
Néanmoins, il est difficile d’approche. Pour suivre avec précision les démonstrations entreprises, il convient de bien connaître les textes de références, c’est-à-dire en philosophie, le champ classique. Il peut donc intéresser le public concerné, les étudiants, et les philosophes, essentiellement.

Sa démarche est assez ample pour recouvrir trois champs : la représentation de la réalité, les facultés de la représentation, et la représentation de soi. Certes, la volonté de l’auteur n’est pas l’exhaustivité. On évitera donc de chercher des « manques ». Cependant, on peut se demander si les remarques souvent faites dans le texte à la question des arts et à celle de la politique, n’auraient pas mérité d’être rassemblées et systématisées dans un chapitre entier. Il reste que, l’auteur est précis sur ce point, il cherchait à défendre l’indépendance de ce concept de représentation par rapport au champ esthétique auquel il est le plus fréquemment rapporté.

La thèse philosophique, en son fond, contribue surtout à déconnecter la représentation de la vérité avec laquelle on la confond presque toujours. Il faut dire aussi que le référent majeur de l’auteur est Descartes, dont le célèbre exemple de la vision des passants dans la rue sert ici de point d’appui de la démonstration générale. Elle culmine alors dans une analyse de la question du « se représenter » qui est tout à fait passionnante.

Et la conclusion a le mérite de montrer que l’acte de représenter, appelé par l’auteur, le regard de la pensée, dessine une éthique. Ce dont personne ne doute, dès lors qu’il connaît un peu son Descartes