Un utile digest de textes à la première personne qui forment des annales du règne de Louis XIV.

Le romantisme a beau avoir tenté de remiser Racine ou Boileau au rang de vieilles perruques, certains auteurs du XXe siècle ont eu beau revendiquer une rupture avec le passé, le règne de Louis XIV marque encore dans les esprits une certaine perfection de la langue française, incarnée par des écrivains qui ont été et demeurent "classiques" : Corneille, Molière, La Fontaine, Boileau, Racine, La Bruyère, Pascal, Mme de Sévigné ou de Lafayette… Loin de se borner à donner des textes sans saveur voués à chanter de manière toute artificielle la gloire du souverain, la littérature voit fleurir la première personne et la subjectivité. Ces écrits acquièrent par là un double statut littéraire et historique – puisque la parole est donnée au grand témoin – à même d’intéresser le plus grand monde. Souvent hélas, les mêmes passages se trouvent dans tous les livres – répétés jusqu’à satiété. Alors que la richesse des textes personnels est immense, on se contente par paresse ou par habitude d’un corpus de faible dimension et dont l’intérêt va décroissant au fil des lectures.

C’est cela que veut pallier Thierry Sarmant en proposant cette anthologie. À travers une centaine de textes de quelques lignes à plusieurs pages, il s’agit de retracer le règne du Roi Soleil, de sa montée sur le trône à l’âge de cinq ans à sa mort en 1715. L’organisation du corpus est chronologique afin de donner une sorte de méta-annales du règne.

Les auteurs convoqués ne sont bien sûr pas les mêmes pour les diverses périodes. Le cardinal de Retz, La Porte ou Mme de Motteville se taillent la part du lion pendant la période mazarine (1643-1661). Le "règne glorieux" est placé sous la plume de Mme de Sévigné, mais aussi de l’abbé de Choisy, de Charles Perrault, voire de Louis XIV lui-même, seul roi à nous avoir laissé des Mémoires. L’élégante épistolière est encore présente pour nous conter la période suivante (1685-1700) mais laisse de plus en plus la place à Saint-Simon, dont la pointe empoisonnée doit être traitée avec la plus grande circonspection. Ce dernier est un des principaux chroniqueurs de la difficile période de la guerre de succession d’Espagne et des deuils de la famille royale (1701-1715).

 

 

Les textes dans lesquels il va puiser sont, à quelques exceptions près, disponibles dans des collections grand public. À défaut, la plupart de ces textes peuvent être consultés sur Internet grâce à tel ou tel programme de numérisation. La valeur ajoutée réside dont dans le choix des extraits, afin de tirer de cette masse immense les passages d’un intérêt supérieur pour leur style ou leur valeur historique. Si les lettres de madame de Sévigné sont connues de tous – mais combien les ont lues ? – si Saint-Simon ou Retz sont étudiés pour leur caractère littéraire, si même un abbé de Choisy est disponible en collection de poche, il est bon de mettre en avant les écrits d’un Spanheim, d’un Dangeau ou d’un Torcy.

Thierry Sarmant n’a pas volonté ici de donner une édition scientifique : il se contente d’adapter des éditions du XIXe siècle, modernise l’orthographe et n’ajoute presque aucun apparat critique. Les seules notes de bas de page servent à identifier les grands et petits personnages que le lecteur voit traverser ces textes. Le lecteur devra donc se reporter aux éditions de référence afin de voir critiquer ces textes : ce n’est pas parce qu’ils sont écrits à la première personne et la plupart du temps par des contemporains des événements qu'ils disent le vrai ou sont exempts de parti pris, ce que l’éditeur signale de manière heureuse dans les courtes introductions.

Comme Thierry Sarmant le souligne lui-même, les historiens n’apprendront rien de particulier en ces pages. L’amateur en revanche trouvera des textes de référence qu’il faut connaître et qu’il sera désormais aisé de retrouver ; les professeurs un corpus à utiliser en classe ; le littéraire une langue de qualité remise dans le contexte de son énonciation. Une ambition limitée mais un livre qui remplit parfaitement la mission de diffusion qu’il s’assigne.