La réédition du livre d’Henri Mahé ressuscite le Céline intime.

L’événement du cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline (1894-1961), s’accompagne actuellement “d’une débauche de publications et de rééditions où le pire côtoie le meilleur : les lettres du romancier à la NRF, sa correspondance avec son ami et complice d’orgie, le peintre Henri Mahé (La Brinquebale avec Céline), et même les souvenirs gouailleurs mais creux d’une certaine Maroushka Dodelé (Une enfance chez Louis-Ferdinand Céline) qui prit des cours de danse avec Lucette, l’épouse de l’écrivain”   .

Une réédition augmentée
La Brinquebale avec Céline du peintre et décorateur Henri Mahé, dit “Riton-la-Barbouille”, a paru pour la première fois en 1969 ; épuisé, il est aujourd’hui réédité. La lecture de cet ouvrage sera peut-être une bonne manière d’échapper au choix impossible entre l’œuvre décisive, pour le roman français de la première moitié du XXe siècle, d’un immense écrivain, et la part indigne de cette œuvre, à savoir les pamphlets antisémites, censurés, qui interdisent aujourd’hui à l’auteur une commémoration annoncée. La Brinquebale fait revivre en effet le “copain qui adorait parler de sexe”, l’occasion étant donnée à Henri Mahé de raconter une amitié truculente, entre les lignes écrites par Céline, depuis Paris, Clichy ou Copenhague.

Les éditions Écriture publient plusieurs ouvrages consacrés à Louis-Ferdinand Céline, exclu en cette année 2011 de la liste des célébrations nationales par le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, de La Brinquebale avec Céline d’Henri Mahé, à L’Accueil critique de “Bagatelles pour un massacre” d’André Derval aux Idées politiques de Louis-Ferdinand Céline de Jacqueline Morand, du Céline de Philippe Sollers aux Lettres de Céline à Joseph Garcin (1929-1938), du Céline, l’homme en colère de Frédéric Vitoux (de l’Académie française) au Céline : Je ne suis pas assez méchant pour me donner en exemple d’Émile Brami, ancien directeur de la collection “Céline & Cie” dans laquelle paraît la Brinquebale. Une vraie bibliothèque célinienne, qui s’ouvre aux lecteurs soucieux de fêter l’anniversaire de la mort de l’écrivain par de nombreuses lectures d’essais et de biographies.

Le pire ou le meilleur ?
Le lien entre Céline et Henri Mahé fut à la fois amical et artistique. Céline proposa ainsi à Denoël, en 1933, de faire illustrer Voyage au bout de la nuit par l’artiste, en témoignage de l’amitié longue et sincère qui unit les deux hommes. L’ouvrage est ainsi ponctué des études du peintre pour l’illustration de Voyage au bout de la nuit. Henri Mahé, artiste peintre, né en 1907, mort en 1975, est le lecteur idéal de cet homme sans qualités qui lui adresse, durant trois décennies, de 1930 à sa mort en 1961, plus de deux cents lettres, de quelques lignes à dix pages. Cette correspondance est suivie de La Genèse avec Céline (1970), ponctuée d'autres missives. L’encouragement à la publication semble être venu de l’écrivain lui-même, qui lui écrit, probablement en 1955 : “Publie mes lettres si tu veux, mais après ma mort qui ne saurait tarder”   , de la même façon qu’il prétendait, dans une interview donnée à L. Pauwels (archives INA), pouvoir dire simplement, à sa mort : “Au revoir et merci”…

Henri Mahé est lui-même devenu un personnage célinien ; il apparaît dans quatre ouvrages de Céline. Dans le Voyage, tout d’abord, où il est ce peintre qui vit sur une péniche “aux environs de Toulouse” et qui invite à bord Bardamu, Robinson et Madelon. Dans Bagatelles pour un massacre, Mahé est cité comme l’un des créateurs les plus admirés de Céline. Dans Féérie pour une autre fois, son nom apparaît au détour d’une phrase : “Bébert son extraordinaire c’était la promenade… Des vraies excursions souvent, les Quais, jusqu’à chez Mahé, c’est rare pour un chat les Quais…”   , allusion qui se retrouve dans Maudits soupirs pour une autre fois, où l’auteur évoque “Mahé sur la Malamoa”, un “arche à copines et copains”, une péniche “pleine de ris, de morts, de souvenirs”   .

La Brinquebale pourrait constituer ainsi un décor de l’œuvre, un arrière-plan pour la constitution d’un univers romanesque perché entre polissonneries et visions mystiques. Elle donne la parole aux vivants en ranimant une conversation continue, approfondie par quarante-deux lettres de Céline à Henri Mahé et Paul Marteau (1947-1954), publiées en annexe. Les notices biographiques qui suivent permettent enfin d’incarner les divers amis et interlocuteurs des deux compagnons.

En retour de correspondance, Henri Mahé commente Céline et explore lettre après lettre, carte postale après carte postale, la genèse d’un auteur, “hommage à l’ami qu’il n’a jamais renié”, écrit Éric Mazet dans sa préface. Il défend à l’occasion le proscrit : “Lorsque j’allais le voir à Saint-Germain, nos conversations, durant les repas, hautes en couleur et en ton, effarouchaient grandement l’austère clientèle collet monté, fervente lectrice des auteurs fadasses et ces honnêtes gens ne manquaient pas de se plaindre amèrement à la direction de cette outrageante promiscuité. […]. Ce seront les mêmes cavés, les mêmes cavettes qui se taperont un rassis devant la plaque : ‘C’est dans cet hôtel que L.-F. CÉLINE a écrit Mort à crédit’, quand elle sera scellée sous le porche…”   .

Le lecteur curieux de connaître le Céline “intime” trouvera donc, dans la Brinquebale, l’écho d’une voix, d’un style forgé à la chaleur intense d’une éloquence argotique, toute célinienne. Si l’effet de camaraderie, entre l’épistolier Céline et le conteur Mahé, est saisissant, il plonge également le lecteur dans un maelström étrange, dont on ne sait comment il en ressortira.

 

Critique extraite du dossier sur Céline, coordonné par Alexandre Maujean.