Pour que les investissements publics dans l’entreprise soient déclencheurs d’opportunités pour les jeunes générations, de valorisation d’expérience chez les séniors, et de croissance pour l’économie.

Par Pierre Vilpoux*


L’avenir de la jeunesse est un enjeu de société, et sera une priorité dans les débats électoraux à venir. Il est temps de libérer les capacités d’innovation de chacun et de définir une voie politique qui donne un sens nouveau, dynamique et solidaire, à notre société.

Les excellentes performances de grandes entreprises françaises, parfois leaders mondiaux de leurs secteurs, masquent une situation économique tristement consensuelle : notre industrie a sérieusement ralenti son rythme d’innovation, nous manquons cruellement d’ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire), nous avons largement laissé passer le premier train d’opportunités liées à l’économie numérique immatérielle.

D’autres considérations sont cependant trop souvent méconnues ou sous-estimées lors de la mise au point des "remèdes" par le pouvoir politique :

- Ce sont les nouvelles entreprises qui créent des emplois, ce sont elles qui innovent dans tous les domaines stratégiques du 21e siècle, et paradoxalement, les moyens financiers qui leur sont accessibles en France sont dramatiquement faibles   (50 à 100 fois moindre qu’aux Etats-Unis, le rapport entre les PIB étant de 5,6   ).

- Cette insuffisance des moyens financiers consacrés à l’amorçage des sociétés innovantes limite le potentiel de création d’entreprises à fort potentiel   , et limite donc notre capacité à générer rapidement de l’emploi et de la valeur économique en sortie des cursus éducatifs.

- En conséquence la France n’a pas le "terreau" de startups, de jeunes sociétés innovantes qui serait statistiquement attendu d’un pays dont le niveau de formation reste très élevé. Ceci explique la faible activité de l’industrie du capital risque en France, industrie globale qui se concentre là où se créent et où se financent le plus grand nombre de startups, les Etats-Unis en premier lieu.

- Cette relative absence du capital risque explique ensuite partiellement le faible nombre d’ETI française, les PME ne trouvant pas facilement les capitaux pour financer leur croissance et leurs investissements.

- Les grandes entreprises, notamment industrielles sont sous pressions de leurs actionnaires et donc peu enclines à la prise de risque inhérente à l’innovation. Elles ne sont pas non plus suffisamment impliquées dans l’animation des écosystèmes de l’innovation de leurs secteurs d’activités, et ont plus la culture de la sous-traitance des tâches à faible valeur ajoutée que la culture du co-développement avec des PME capables d’innover rapidement.

- Cette mauvaise qualité de relations entre la grande et la petite entreprise est la une seconde explication au faible nombre d’ETI françaises.

De notre situation économique actuelle découle la réalité sociale suivante :

- d’une part, et malgré la capacité d’innovation et la volonté d’entreprendre de la jeunesse en France, le taux chômage des jeunes est plus qu’alarmant, et la période de fin d’études, quelque soit le niveau atteint, en devient anxiogène.

- A l’opposé démographique, les salariés de plus de 50 ans, y compris les cadres de haut niveau et y compris dans les grands groupes prospères, sont en insécurité professionnelle permanente et sont constamment mis en concurrence en termes de rentabilité "à court terme" avec leurs cadets aux salaires moindres.

Ici se rencontrent donc deux besoins d’utilité collective: valoriser le caractère entreprenant de la jeunesse et valoriser l’expérience de seniors qui souhaitent demeurer actifs en fin de carrière ou au début de leur retraite (fut-ce à titre bénévole pour ceux qui peuvent se le permettre). Il s’agit de redonner à chacun confiance en sa capacité à contribuer à son propre avenir et à offrir aux prochaines générations une opportunité de vie meilleure.

Remédier efficacement aux lacunes précitées par la promotion et le soutien de l’innovation est un enjeu stratégique. C’est la seule voie permettant de créer 1 million d’emplois pérennes en France sous 10 ans, et de garantir à notre pays un avenir industriel plus serein et une solide croissance.

Les six mesures qui suivent sont susceptibles de faciliter cette mutation :

1) Renforcer les pôles de détection de projets et de talents, et d’entrepreneuriat, au sein des établissements d’enseignement supérieur,

2) Généraliser les processus de labellisation des entreprises innovantes (souvent mises en place localement par les CCI, OSEO, ou les Pôles), qui induisent un accompagnement efficace des entrepreneurs. La coordination de ces labellisations peut être une mission prioritaire de l’agence des TPE/PME du projet socialiste.

3) Décupler la proportion des moyens du Fonds Stratégique d’Investissement (ou de la Banque Publique d’Investissement du projet socialiste) destinée à l’amorçage et aux premières étapes de croissance des entreprises innovantes,

4) Pour l’avenir industriel de la France : faciliter et promouvoir  l’implication des groupes industriels, technologiques et de services dans l’animation des écosystèmes de l’innovation français,

5) Mettre le territoire public au service de l’expérimentation des nouveaux usages,

6) Développer les réseaux associatifs d’entraide transgénérationnelle à l’entrepreneuriat innovant.

La mesure "financière" (3) serait emblématique d’une politique de soutien à l’entrepreneuriat innovant : il faut décupler la proportion des moyens du FSI destinée à l’amorçage et aux premières étapes de croissance des entreprises innovantes.

L’État doit être en mesure d’investir, au niveau régional et en abondement des investissements privés dans l’amorçage (provenant de business angels ou des très rares fonds privés d’amorçage), dans les entreprises innovantes labellisées. Une partie plus significative du Fonds Stratégique d’Investissement doit être réservée à ce besoin. Le montant de 1,5 milliard d’euros par an   (à répartir par secteurs définis comme stratégiques), semble  pouvoir répondre au besoin actuel de financement de l’amorçage et des premières croissances. Dans le projet socialiste, l’agence des TPE/PME peut être l’entité qui coordonne les processus de labellisation et déclenche les investissements d’abondement la BPI.

1 - Amorçage
Sur la base d’un abondement de 3 euros publics pour 1 euro privé investi et dans une limite de 500,000 euros et de 20% des parts sociales pour l’État, 3000 jeunes entreprises innovantes pourront voir leur amorçage financé chaque année pour 1 milliard d’euros investis.

2 - Premières phases de croissance
Sur la base d’un abondement de 1 euro public pour 1 euro privé investi et dans une limite de 1,5 million d’euros (pour un maximum de 25% des parts sociales cumulées) pour l’État, 500 jeunes entreprises innovantes pourront voir leurs premières phases de croissances financées chaque année, pour un montant global de 500 millions d’euros investis.

3 - Cadre fiscal des investissements directs par les particuliers dans des PME
Pour ce qui est des incitations fiscales des investissements directs privés (particuliers et regroupements de particuliers) dans des PME, l’objectif doit être autant de faire émerger une source de financement efficace, car quasiment directe et destinée à l’emploi, que de favoriser un modèle collaboratif transgénérationnel entre jeunes créateurs et personnes expérimentées, les "parrains professionnels". Pour que ces deux enjeux se rencontrent, il faut recentrer ces incitations fiscales sur investissements dans les "micro-entreprises" (moins de 2M€ de CA, moins de 10 salariés) et dans les "petites entreprises" (moins de 10M€ de CA, moins de 50 salariés). Les entreprises recevant ces investissements pourront ainsi bénéficier efficacement de l’effet de levier de l’État dans le cadre de sa politique d’abondement aux investissements privés dans l’amorçage et les premières phases de croissance  
 
4 - Financement de la croissance ultérieure des entreprises
Les trois mesures précédentes doivent aboutir à ce que le financement des étapes suivantes de croissance des PME redevienne à terme majoritairement, sauf cas spécifiques jugés stratégiques par l’État, affaire d’acteurs spécialisés, notamment du capital risque et des banques privées d’investissement. Cette industrie du financement privé saura sans aucun doute s’impliquer en France une fois que le potentiel de l’innovation sera effectivement amorcé, et que le nombre et la qualité des jeunes entreprises innovantes seront tels qu’ils justifient de s’y intéresser sérieusement localement.
 
Le prochain gouvernement doit réussir le pari du financement de l’amorçage, en développant son accès aux écosystèmes régionaux, ou en s’appuyant sur celui-ci pour la gauche, qui a ici un atout considérable à exploiter. Le FSI s’est retrouvé quasi-exclusivement absorbé par les grands groupes et n’a notamment réservé que 2% de son enveloppe au fonds d’amorçage de CDC Entreprise (en création) ! Ne nous leurrons pas : pour qu’un prochain Google, Facebook ou Apple soit français, il faut que des milliers de nouvelles entreprises innovantes naissent chaque année en France.
Ces investissements peuvent être initialement financés par une réorientation opportune de l’épargne populaire, très importante en France. Ils seront efficaces à très court terme pour les finances publiques car instantanément générateurs d’emplois dans des secteurs stratégiques. Ils doivent en outre montrer sous 10 ans un autofinancement par la valorisation attendue en sortie (boursière, acquisition) d’un pourcentage, même faible, des sociétés financées par l’État.

 

* Pierre Vilpoux, multi-entrepreneur et business angel, est membre du comité directeur du Syndicat pour l’innovation technologique (SYNNOV).

 

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