"Eclairer les choix politiques du Gouvernement par l’analyse et la confrontation des points de vue, lorsque les décisions à prendre présentent des enjeux liés à des faits de société", telle est la mission attribuée à l’équipe du CAS, le Conseil d’Analyse de la Société dont la mise en avant a fait tant de remous ces derniers jours après que son président Luc Ferry a évoqué la moralité douteuse de l’un de ses anciens collègues.

La polémique a d’abord porté sur l’universitaire et ancien ministre pour lequel Jean-Pierre Raffarin avait créé le CAS lors de son éviction du gouvernement en 2004. En continuant à assumer ses fonctions au sein de ce conseil après la rentrée de 2010 sans que son ministère de tutelle ait prolongé son détachement, Luc Ferry a en effet perçu un traitement indu s’élevant à 4 500 euros mensuels, auquel s’ajoutait un complément de rémunération de 1 800 euros mensuels venant "compenser"  sa décharge de cours, d’encadrement d’étudiants, et de toutes les tâches dont doivent s’acquitter les enseignants de l’Université : au nom du préjudice moral sans doute… 

Puis la polémique a fait tache d’huile, et le Conseil d’Analyse de la Société, institution habituellement discrète, s’est d’un coup vu poussé sur le devant de la scène et mis à nu sous la lumière crue des projecteurs. La plupart ont d’abord appris l’existence même et la composition de ce conseil qui dépend de Matignon et est en réalité présidé par le Premier ministre. Son président délégué – Luc Ferry à ce jour – participe au comité d’orientation du Centre d’Analyse Stratégique, aux côtés de présidents titulaires ou délégués d’institutions équivalentes se penchant sur l’économie, les retraites, l’emploi, l’intégration, les affaires européennes, l’aménagement du territoire, ainsi que de quatre élus. Sorte de branche du Centre d’Analyse Stratégique, le Conseil d’Analyse de la Société a ainsi été institué sur le modèle de cet héritier du Commissariat au Plan dans le but de faire participer des experts, chercheurs et universitaires à l’élaboration de projets de politiques publiques.

De fait, et bien qu’il soit toujours préférable de pouvoir se prévaloir d’une ascendance prestigieuse pour accéder aux situations les plus proches du pouvoir, l’écrasante majorité de la trentaine de membres et de conseillers est titulaire du doctorat. Nombre d’entre eux présentent un profil d’universitaire ou ont un passé de chercheur dans des disciplines très diverses – les trois représentants des trois monothéismes faisant également valoir des titres universitaires dans des disciplines reconnues par la République, autres que la théologie. Certes, comme l’a bien vu François Krug dans un article pour Rue89, il n’est pas rare d’y croiser "des proches et des fans" du patron, qui auront pu y profiter de la bienveillance de leur ami, de leur collaborateur ou de leur partenaire en affaires : au moins onze membres ou conseillers ont un lien personnel ou professionnel avéré avec Luc Ferry.

Que font ces conseillers autour des 106 m2 de bureau (disons peut-être quatre bureaux et une salle de réunion) du VIIe arrondissement qui hébergent le CAS ? Des réunions mensuelles, plénières ou par groupe de travail, et des échanges de textes aboutissent à la publication – à titre gracieux par les éditions Odile Jacob plutôt que par la Documentation française qui facture ses prestations… – de rapports rendus publics et soumis aux décideurs politiques. Les rapports sur le service civique (remis en 2008) et le rapport sur les pompiers volontaires (2009) ont ainsi été à l’origine d’initiatives législatives. Depuis, d’autres rapports sur le livre numérique, l’illettrisme ou encore les "matériaux pour une politique de civilisation" ont eu moins d’impact.

Déjà critique vis-à-vis de la légitimité et des coûts engagés par le CAS, le député apparenté communiste Pierre Brard a écorché dans un rapport récent l’image exemplaire que le CAS entendait donner de la gestion de son budget. Le reproche principal porte sur le réflexe systématique de préférer les déjeuners de travail aux réunions, élevant les dépenses de restauration à un quart de son budget de fonctionnement (c’est-à-dire une fois prélevées les indemnités des quatre personnes qui en bénéficient, lesquelles représentent 67% du budget global). Sur les 100 000 euros qu’il a coûtés à la collectivité en 2009, le Conseil a ainsi consacré 8 000 euros à ces dépenses.

La réforme des universités rendant les présidents d’université directement responsables et comptables de leurs budgets, ce mini-scandale ne fera sans doute qu’inaugurer une bien plus vaste série de révélations, et on ne peut que souhaiter la mise au jour des nombreux parachutages, cooptations abusives et emplois plus ou moins fictifs au sein des établissements français d’enseignement supérieur et de recherche. L’adoption par le CAS des pratiques régulièrement observées dans de très nombreuses institutions de pouvoir (copinage et reproduction de l’entre-soi, cumul des rémunérations et dépenses décomplexées dans les frais de bouche et de convivialité de sommes versées par les contribuables, etc) aura au moins permis à cet "unlucky Luc" de comprendre qu’on n’ébranle pas cet entre-soi sans en payer le prix


Pour aller plus loin :

- François Krug, "Luc Ferry : un emploi pas fictif, surtout pour ses amis et ses fans ", Rue89, 13 juin 2011

- Isabelle Barré, "Ferry ou la critique de sa déraison pure", Le Canard Enchaîné, 15 juin 2011

- "Ferry boat", Le Canard Enchaîné, 15 juin 2011

et bien d’autres articles dans l’ensemble des médias de l’hexagone…

A lire bientôt sur nonfiction.fr :

Une critique du dernier rapport du CAS sur La révolution du livre numérique.