Le mardi 17 juin, la Cité des Livres recevait Michel Wieviorka pour un débat autour de son dernier livre Pour la prochaine gauche. Compagnon de route engagé de longue date dans le (re-)travail des idées assumées par le Parti socialiste, le sociologue a ainsi eu l’occasion de revenir sur la problématique des rapports que peuvent et doivent entretenir intellectuels et politiques à l’heure où un renouvellement des idées et des pratiques démocratiques s’impose.

Nouveaux temps, nouveaux défis. L’analyse sociologique établit que les inégalités et l’exclusion n’ont pas disparu mais ont mué : "le problème, avant, c’était d’être exploité ; aujourd’hui, c’est de ne pas l’être", c’est d’être exclu du travail qui valorise et qui intègre. Aussi l’accentuation continue de telles mutations aura-t-elle eu le triste mérite de clarifier la réalité et la pertinence de la grille de lecture constituée par les catégories de "gauche" et de "droite" : "si elles n’existaient pas, il faudrait les fabriquer."

Héritier par sa famille d’une sensibilité bundiste, socialiste et laïque, Michel Wierviorka perçoit avec acuité le risque que peut faire peser sur l’idéal progressiste le sentiment d’oubli des classes laborieuses autrefois exaltées par le discours de gauche mais qui ont désormais disparu du centre des villes comme de celui du champ médiatique. Pour autant, il ne fait pas de doute qu’ "il demeure possible d’articuler une revendication et une exigence culturelle", à condition que le politique perçoive à son tour cette nécessité pour la gauche de se réapproprier ces groupes sociaux. Pour "créer une dynamique de solidarité" mais aussi pour la victoire, seule l’articulation des enjeux sociaux et culturels fait sens aux yeux du sociologue qui prend ainsi le contre-pied d’une incompréhensible stratégie électorale opposant les publics et les valeurs, et prônant le renoncement au principe de solidarité au nom de ces dernières.

C’est aussi parce qu’elle doit rester fondamentalement solidaire que la gauche doit s’emparer des nouvelles questions posées aux valeurs de la nation, une idée qui "n’est pas le monopole de la droite, ni de l’extrême droite", et ne plus les considérer comme de simples "diversions". Pour Michel Wieviorka, il est donc désormais urgent de se débarrasser du débat engagé il y a déjà vingt ans par Régis Debray, sommant chacun de se positionner de part et d’autre d’un axe infranchissable, du côté "républicain" attaché aux droits individuels, ou du côté "démocrate" reconnaissant la légitimité des sentiments d’appartenance collective. A cet égard, le virage à droite de la majorité sarkozienne depuis 2007 et la reconnaissance par les droites européennes de "l’échec du multiculturalisme" constitue pour la gauche une occasion à ne pas manquer de s’en saisir pour le défendre.

Conscient, frustré même que "les exigences de la production scientifique ne so(ie)nt pas celles de l’action politique", M. Wieviorka ne doute pas que du dialogue entre intellectuels et politiques, de la clarification des idées des premiers mises au service du sens de la parole publique des seconds émergera comme spontanément "une convergence des valeurs des diverses tendances de la gauche" encourageant "la diversité respectueuse des droits individuels." Or, seule l’articulation sans concessions de l’aspiration croissante de chacun à "être libre de sa propre existence" et du sentiment légitime d’appartenir à une "communauté" permettra d’éviter le danger réel du "communautarisme". "La prochaine gauche", c’est ce renouvellement des façons de penser et d’agir de concert face aux nouveaux défis du temps : plutôt qu’un appel au putsch, à l’élimination des caciques à la faveur de têtes fraîches et encore chevelues, une invitation faite à chacun à se repositionner, à abandonner pour de bon ses conservatismes