Un atlas richement documenté sur la Roumanie de la transition post-socialiste.

L’adhésion à l’Union européenne de la Roumanie en janvier 2007 – parallèlement à celle de la Bulgarie – marque l’entrée de ce pays dans une nouvelle phase de développement et d’aménagement de son territoire. L’Atlas de la Roumanie se présente donc comme une occasion de faire le point sur ce pays d’Europe orientale, francophile, mais finalement assez mal connu en France.

Cet ouvrage est le neuvième atlas national de la collection "Dynamique du territoire", les plus récents traitant de la Thaïlande (2006), du Brésil et de la Grèce (2003). Il s’agit, plus exactement, d’une réédition d’un ouvrage collectif franco-roumain paru en 2000 sous la direction de Violette Rey, responsable du laboratoire Géophile de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon et spécialiste de l’Europe orientale. Parmi les professeurs roumains des universités de Iaşi et de Bucarest qui ont apporté leur collaboration à l’ouvrage, Octavian Groza est certainement le plus connu en France. Ses travaux portent en particulier sur les dynamiques spatiales des structures productives, objet de sa thèse soutenue en 1999 à l’université de Paris 1.

Au cœur de la démarche de cette publication, se trouve la volonté d’examiner l’état de la Roumanie une quinzaine d’années après la chute du régime communiste de Ceauceşcu. L’atlas présente une organisation en neuf parties : le territoire roumain en Europe ; la population ; le monde rural et agricole ; le monde urbain ; industries et transports ; les services à la population ; la vie sociale et culturelle ; la transition postsocialiste et les recompositions régionales ; les dynamiques émergentes. Deux cent cinquante cartes et une vingtaine de graphiques accompagnés de textes explicatifs très éclairants permettent d’aborder le pays à plusieurs échelles, du niveau mondial à l’échelle locale.


La formation du territoire roumain

La Roumanie a multiplié les tentatives de modernisation au cours du XXe siècle sans que la brève durée de chaque expérience ait permis d’impulser des modifications en profondeur dans la société et le territoire roumains : démocratie libérale pendant l’entre-deux-guerres, période communiste marquée par l’installation d’un modèle industriel et urbain entre 1945 et 1989, recompositions sociales et territoriales de la transition post-socialiste et, désormais, intégration dans l’Union européenne.

La Roumanie a acquis son indépendance dans le dernier tiers du XIXe siècle dans le contexte du déclin de l’Empire Ottoman mais la forme actuelle de son territoire ne date que de la Seconde Guerre mondiale. Si le pays n’a pas connu la fragmentation géopolitique qui a marqué certains de ses voisins, la question de la cohabitation des minorités nationales n’en est pas pour autant absente. Les premières cartes de l’atlas donnent à voir la combinaison des influences qu’a connues la région au cours de l’histoire : latinité, éléments culturels austro-hongrois, présence juive, influence russe… La communauté allemande de Transylvanie et du Banat (ouest et centre du pays), dont la présence datait de l’époque médiévale pour les plus anciennes implantations, est aujourd’hui fort réduite, la plupart de ses membres ayant émigré à partir des années 1970. Les noyaux de peuplement magyar (hongrois) demeurent en revanche beaucoup plus clairement identifiables dans le centre du pays et en Crişana (nord-ouest) : ils représentent un peu moins de 7 % de la population totale. Le dénombrement des Tsiganes s’avère, quant à lui, beaucoup plus difficile puisque les estimations varient du simple au double. Dans le contexte de libéralisation du régime, cette diversité ethnique s’est traduite par l’apparition de partis à caractère "ethnique", notamment hongrois, auquel a répondu une montée du nationalisme roumain.

Plus encore que l’appartenance ethnique, c’est la religion qui constitue le fondement des différentes composantes identitaires, diversité qui se retrouve aujourd’hui dans la formidable richesse du patrimoine culturel du pays (églises fortifiées de Transylvanie construites par les Saxons, mosquées ottomanes en Dobroudja…. ).


Transition post-socialiste

La précédente édition de l’atlas s’appuyait sur des chiffres de 1992 ce qui en faisait plutôt un bilan au moment de la sortie du socialisme. Néanmoins, la comparaison des deux atlas, cartographiant des données issues de recensements qui ont eu lieu à dix ans d’intervalle, s’avère très enrichissante.

L’éventail des mutations qui caractérisent la Roumanie de la période de la transition post-socialiste est très large. Le déclin démographique du pays fait partie des phénomènes marquants de la décennie 1990 : entre 1989 et 2004, la population du pays est passée de 23,15 millions à 21,6 millions d’habitants. Très favorisées pendant l’époque socialiste, les villes sont, elles aussi, en crise : seulement 55 % des Roumains vivent en ville et on observe une diminution du nombre de citadins, due au déclin démographique, à l’émigration et au "retour paysan". Ce retour au village d’une partie des citadins roumains se présente comme une autre caractéristique importante de la transition post-socialiste qui a vu la disparition de 2,5 millions d’emplois industriels en douze ans. C’est avec tout autant d’intérêt que l’on consulte les cartes qui tentent de matérialiser ce que signifie vivre dans une ville roumaine aujourd’hui. Les "blocs" de l’époque communiste, type d’habitat en voie de taudification, sont majoritaires dans les grandes villes ; d’autres cartes présentent des données sur le parc des transports publics (trolleybus et tramway, notamment), insuffisant et vétuste.

L’ampleur des mutations liées à la transition se trouve aussi cartographiée sous l’angle de phénomènes plus inattendus comme la progression des églises néo-protestantes, surtout en Transylvanie. En outre, le travail de géographie électorale réalisé à partir d’une dizaine de cartes prend tout son sens dans un contexte d’émergence d’une société civile démocratique.

La capitale, Bucarest, métropole de deux millions d’habitants, est abordée à travers une demi-douzaine de cartes. La mise en place de nouveaux projets, comme la construction d’une nouvelle ligne de métro, ne parvient pas à enrayer le déclin démographique et industriel d’une ville où les problèmes de délabrement des réseaux et de pollution demeurent vifs. S’ajoutent le handicap d’une position périphérique au sein du territoire roumain (Bucarest est située au sud, non loin de la frontière avec la Bulgarie) et un processus de métropolisation partiel, notamment dans le domaine du tertiaire supérieur. Peut être regrettera-t-on, néanmoins, le caractère un peu rapide de ce passage sur la capitale roumaine.

Malgré la disparition du secteur informel, le boom de l’activité immobilière marchande et la multiplication des super et hypermarchés, l’image globale qui ressort de cette période de transition est celle d’un pays sclérosé où le salaire mensuel moyen s’établit à 180 euros et où 10% de la population urbaine et 80 % de la population rurale n’ont toujours pas accès à l’eau courante.


La Roumanie dans la mondialisation

Le chapitre sur l’industrie et les services confirme que la crise sociale roumaine est d’abord le produit de la crise industrielle. Les usines géantes de l’ère Ceauceşcu éparpillées dans tout le pays sans réelle stratégie de localisation et d’aménagement du territoire demeurent inadaptées aux exigences de la mondialisation. Les rares secteurs industriels qui résistent à la crise sont la confection et l’automobile. Un exemple cartographique intéressant est développé autour de la marque Dacia, filiale du groupe Renault et pilier de l’insertion de la Roumanie dans la mondialisation.

Mais, comme le rappellent les auteurs, la mondialisation de la Roumanie est d’abord une européanisation. Celle-ci passe par l’amélioration de la desserte routière avec la construction d’autoroutes – notamment l’axe Vienne-Istanbul – financées par des fonds européens. En outre, la fin du blocage de la circulation fluviale sur le Danube en amont de Belgrade devrait permettre l’augmentation du trafic du port de Constanţa, situé sur la mer Noire. L’ouverture sur l’Europe comporte néanmoins le risque d’une hémorragie des forces vives du pays. Ainsi, beaucoup d’étudiants sont contraints à l’émigration en Europe occidentale et en Amérique du Nord faute d’une politique d’ajustement de l’emploi en rapport avec la croissance des effectifs de jeunes diplômés. La faible croissance des investissements étrangers en Roumanie et leur forte concentration dans l’agglomération bucarestoise ne contribuent pas à une amélioration rapide de la situation. Quant à la relance de l’activité touristique, elle se fait encore attendre alors que le potentiel du pays est réel (art religieux, thermalisme, sports d’hiver…).

Au fil de la lecture, des répartitions spatiales deviennent des images familières de l’atlas. Les contrastes les plus fréquents opposent l’ouest, le nord-ouest et le centre aux régions de l’est et du sud. Cette vision est d’ailleurs confirmée par la succession d’approches cartographiques régionales proposées dans l’avant-dernière partie de l’atlas et appuyée par un travail de chorématique. Cette série de zooms interroge les perspectives d’avenir pour ces différentes régions dans le contexte européen : l’ouest de la Roumanie semble le mieux placé grâce à son urbanisation, son ouverture sur l’Europe centrale et occidentale, le renouvellement de ses activités. A l’inverse, les perspectives paraissent plus difficiles pour la Moldavie (nord-est), marginalisée car enclavée entre la chaîne des Carpates et les frontières peu actives avec la Moldavie et l’Ukraine : rurale et pauvre, elle est touchée par une forte émigration vers l’étranger.

Mieux qu’une simple réédition, l’Atlas de la Roumanie constitue donc une profonde réactualisation de l’édition de 2000. Il est servi par un travail de cartographie remarquable de clarté et de rigueur. Les commentaires qui accompagnent les cartes, très synthétiques, s’avèrent utiles pour faciliter la compréhension de certaines d’entre elles, notamment quand elles sont construites selon une classification ascendante hiérarchique dont l’abord n’est pas forcément évident pour les non-initiés. La brièveté de ces commentaires implique, toutefois, une posture active de la part du lecteur qui devra lui-même compléter ce travail d’interprétation et effectuer des rapprochements entre différentes cartes s’il veut saisir les phénomènes géographiques dans toute leur complexité. Dommage que la bibliographie en fin d’ouvrage, particulièrement succincte, ne facilite pas la tâche de celui qui aurait envie d’enrichir sa connaissance de l’Europe orientale.



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Crédit photo : Panoramas / flickr.com