Un petit atlas qui se donne pour tâche de cerner les différents enjeux gravitant autour d’un continent mal connu : l’Océanie.

 

Cet atlas fait partie des nombreux atlas conçus par les Editions Autrement, réputés pour leur compacité (80 pages seulement) et leur densité.

 

Celui-ci ne déroge pas à la règle, et présente un continent, l’Océanie, assez peu connu de nous autres Européens. En effet, ses limites sont en général assez floues – ce continent se définissant plus comme un ensemble maritime parsemé d’îles (allant d’Hawaï à la Nouvelle-Zélande, et de l’Australie à l’île de Pâques) plutôt qu’  “une étendue de terre bordée d’eau”, pour reprendre la définition habituelle du terme de continent.

 

D’autre part, l’Océanie, en tant que “bout du monde”, est d’abord connue par ses représentations, devenues quasi mythiques : vahinées, îles désertes de sable blanc et de cocotiers, exploration de mondes inconnus.  D’autres représentations peuvent aussi surgir, plus noires : bagnes au XIXème siècle, essais nucléaires jusque dans les années 1960, lieux de bases militaires aujourd’hui.  Cet atlas nous aide à mieux connaître et comprendre cet espace complexe, l’analysant à différentes échelles et par une approche croisée, grâce à plusieurs chercheurs qui ont mis en commun leurs travaux pour créer une sorte de “livre de bord” de l’Océanie (d’après leurs propres termes) : Fabrice Argounes (politologue), Sarah Mohamed-Gaillard (historienne), Luc Vacher (géographe) et Cécile Marin (géographe-cartographe).

 

L’ouvrage se décline en cinq parties. La première permet tout d’abord de comprendre en quoi le terme d’Océanie est une invention –occidentale-, la seconde est un rappel historique, centré sur la colonisation européenne et la décolonisation, la troisième explique pourquoi l’Océanie est, aujourd’hui, un espace riche et attractif. La cinquième partie, plus géopolitique, souligne les enjeux de pouvoir existant entre les divers Etats composant cet ensemble. Enfin, la dernière partie est plus prospective, elle vise à présenter les différents défis auxquels l’Océanie est ou sera confrontée à l’avenir.

 

L’introduction, d’entrée, nous “décentre” de notre monde habituel, en nous présentant un planisphère non seulement centré sur l’océan Pacifique, mais aussi “la tête en bas” ! C’est le monde tel que le voient l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et les autres îles océaniennes, qui ne veulent pas être “oubliés” et mises en bas des planisphères (“Australia, no longer down under”). Cette approche a le mérite de beaucoup relativiser notre vision du monde, et nous prépare à entrer dans ce monde de trente-trois millions d’habitants encore peu étudié, même si les géographes français Joël Bonnemaison et Benoit Antheaume ont été des précurseurs, publiant notamment en 1988 un Atlas des îles et Etats du Pacifique Sud.

 

La première partie explique tout d’abord que ce continent, où passe la ligne de changement de date, est très difficile à cartographier, puisqu’il fait figurer sur une même carte l’immensité de l’Australie (huit millions de km²) à côté de Tuvalu (26 km² de terres émergées) et d’îlots à peuplement non permanent. Le lecteur avide de cartes précises va donc être déçu, même si des cartes à une échelle plus grande sont présentes (Nouvelle-Calédonie, Australie, Guam…). Se rajoute la question des eaux territoriales ou des zones économiques exclusives (ZEE), parfois contestées entre deux Etats, rendant tout repérage délicat. Les p. 13 et 14 nous montrent que le découpage actuel de l’Océanie en quatre régions (Polynésie, Micronésie, Mélanésie et Australie) est lié à l’histoire et surtout aux découvertes des explorateurs occidentaux (début XIXè siècle), qui sont à l’origine de ces dénominations. Or, l’Océanie est un territoire peuplé depuis très longtemps (- 50000 ans pour l’Australie et une diffusion vers l’Est de - 4000 à 1200), comme en témoignent les vestiges archéologiques ou les poteries lapita. La configuration spécifique de ce continent, ainsi que son histoire multiséculaire expliquent que l’identité océanienne soit une, comportant une dimension territoriale très forte. L’atlas développe le cas des Aborigènes australiens, lisant l’espace comme un ensemble de traces et de réseaux laissés par des ancêtres mythiques (p. 17). Cette identité est aussi plurielle, ne serait-ce que par la diversité linguistique du continent, regroupant à lui seul plus du quart des langues parlées dans le monde –même si beaucoup sont en voie de disparition.

 

Ces territoires ont cependant été colonisés par les occidentaux, malgré une histoire très ancienne. C’est ce que montre la seconde partie. Cela s’est traduit par une forte évangélisation et des extractions de richesses (santal, baleines, holothuries, nacre…), donnant lieu à des résistances des océaniens (révolte des Maori dans les années 1860 contre la Grande-Bretagne), et à des compétitions entre puissances coloniales pour s’approprier les îles. Les océaniens ont payé un lourd tribut à l’Occident avec leur participation aux deux guerres mondiales et ont vu leurs effectifs baisser drastiquement à la suite des colonisations, avant d’accéder à leur indépendance tardivement (milieu des années 1960-1970) par rapport aux colonies d’Asie ou d’Afrique. 

 

La troisième partie montre ce qui fait aujourd’hui la richesse de cet espace, à commencer par la mobilité des Hommes. L’Océanie abrite en effet des pays “neufs” pour les occidentaux, au sens de peu peuplés et donc à conquérir. Ainsi, beaucoup de pays océaniens se sont construits par les migrants et les mobilités, tandis qu’ils accueillent une urbanisation que l’Atlas qualifie de “paradoxale”, puisqu’à côté des capitales nationales coexistent de très petites villes, sans passer par des villes moyennes. Quand il s’agit d’étudier la place de l’Océanie dans le commerce mondial (p. 36-37) –peu importante-, force est de constater que le déséquilibre est énorme entre l’Australie et secondairement la Nouvelle-Zélande (les deux pays représentent 97% du PNB océanien), membres de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation), et les autres Etats océaniens (qui ont rarement une balance commerciale excédentaire puisque les produits échangés sont souvent des matières premières). L’Asie est prééminente dans leurs échanges, que ce soit pour les exportations ou pour les importations, et surtout le Japon et la Chine. Cette dernière est présente aussi par les nombreux chinois vivant dans les territoires océaniens, menant parfois à des émeutes antichinoises. Enfin, l’atlas rappelle que les petits pays océaniens sont des cibles pour la Chine et Taiwan, dans la reconnaissance ou non de l’indépendance de ce dernier, par le biais de financements d’équipements publics.

 

La quatrième partie traite des Etats et du pouvoir en Océanie. Ce qui ressort d’entrée est la grande différence de statuts entre les îles. L’atlas parle de “laboratoire statutaire” tant la palette de situations est étendue entre les Etats indépendants (comme l’Australie), autonomes (comme Guam), librement associé (comme les Mariannes du Nord, aux Etats-Unis) et dépendants (Wallis-et-Futuna, une collectivité d’outre-mer française englobant trois royaumes). Souvent, l’autorité politique est plurielle dans ces Etats, menant parfois à des superpositions de pouvoirs, entre territoires coutumiers et administratifs (les exemples donnés sont la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, p. 46). La question de la possession de la terre se pose également, pour des populations qui en ont été privées depuis des siècles, donnant lieu à des revendications récurrentes (Maoris en Nouvelle-Zélande, Aborigènes en Australie, Kanaks en Nouvelle-Calédonie).L’ouvrage insiste ensuite sur le grand nombre d’Etats indépendants existant en Océanie, ce qui engendre beaucoup d’atouts : être membre de l’ONU, mais aussi possibilité d’héberger des pavillons de complaisance ou d’abriter un paradis fiscal. Au niveau diplomatique, comme pour le commerce, ce sont l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui sont les “gendarmes du Pacifique” (p. 51), chargés d’assurer ou de ramener la sécurité dans des Etats instables, comme les Fidji par exemple (coups d’Etat en 1987, 2000, 2006). Ces deux Etats participent par ailleurs aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, et pilotent le Forum des îles du Pacifique (un accord régional), tandis qu’un accord bilatéral les lie (l’Anzcerta ou le CER). Pour clôturer cette partie, l’atlas n’hésite pas à parler de “renouveau de l’identité océanienne” grâce au sport : rugby, surf, pirogue polynésienne (va’a), mais aussi organisation des Jeux du Pacifique Sud et du Festival des Arts du Pacifique.

 

La dernière partie analyse les défis auxquels l’espace océanien doit répondre. Tout d’abord, l’ouvrage met l’accent sur l’enjeu des communications qui, dans cet espace, sont difficiles à mettre en place et encore peu développées, que ce soit le réseau aérien (cher) ou le réseau maritime. L’avenir semble promettre une amélioration, notamment grâce à Internet, mais pour l’heure la fracture numérique reste béante (en Papouasie-Nouvelle-Guinée ou aux Kiribati, moins de 2% de la population a accès à Internet), et le coût du développement de cette nouvelle technologie est élevé puisqu’il nécessite la mise en place de câbles sous-marins (le dernier en date étant celui reliant la Polynésie française à Hawaii en 2010). D’autres enjeux se dessinent pour le futur : la maîtrise de la pêche au thon et des “braconniers de mer” et l’exploitation de ressources minérales présentes au fond de l’océan ainsi que des gisements de gaz et de pétrole, le tout divisé au gré des ZEE. Quant au tourisme, il n’est pas si développé que cela, à part quelques destinations mythiques (Hawaii, île de Pâques, Fidji…), notamment à cause de l’éloignement et d’une desserte peu développée et chère. L’atlas nous montre que la capacité d’hébergement des îles océaniennes n’est pas élevée, la tendance actuelle (et semblant la plus raisonnable pour le territoire) étant au logement chez l’habitant. 

 

Enfin, l’ouvrage ne pouvait se terminer sans parler du développement durable et de la protection du patrimoine naturel et culturel. Beaucoup de lagons et d’espaces naturels sont aujourd’hui protégés, mais il reste beaucoup à faire (protection des baleines, déforestation), d’autant plus qu’il existe des îles à fleur d’eau qui sont menacées de disparition avec la possible montée des eaux due au changement climatique, ce qui entraînerait des migrations de population. Quant aux piliers social et économique, ils sont encore fragiles dans certaines îles (Papouasie-Nouvelle-Guinée, îles Salomon), le développement humain n’étant pas encore assuré partout. Enfin, reste un souvenir encore très présent sur ce continent, bien loin d’un développement durable : les essais nucléaires (français à Mururoa, de 1966 à 1996, mais aussi britanniques et états-uniens). Ils ont été reconnus tardivement par les puissances occidentales : la France met en place une loi sur l’indemnisation des victimes seulement le 5 janvier 2010, et ont eu des conséquences sanitaires et environnementales qui mettront du temps à disparaître, même s’il y a création actuellement d’une zone dénucléarisée –les Etats-Unis ayant signé le traité de Rarotonga, mais ne l’ayant pas ratifié…  

 

En fin de compte, ce petit atlas se révèle très intéressant pour le néophyte souhaitant une vision globale de ce continent. Il permet de vulgariser et de rendre accessibles à tou(te)s les dernières recherches sur ce territoire peu connu. On peut néanmoins regretter l’absence d’étude de cas poussée, et aussi le fait que ce soient souvent les mêmes exemples qui reviennent (sûrement dus aux travaux de recherche ayant été faits par les auteurs) : Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Zélande, Australie. A contrario, il n’y a rien sur l’île de Pâques et très peu sur Hawaii, encore moins sur des îles moins connues et moins peuplées. La multiplicité des thèmes traités permet d’avoir un bon aperçu de la situation générale de l’Océanie, sans approfondissement cependant. Enfin, malgré de très nombreuses cartes et documents iconographiques diversifiés, il est dommage que ceux-ci ne soient pas en plus grand format