En s’appuyant sur le quotidien à l’hôpital, cet ouvrage dénonce les dysfonctionnements actuels du système de santé français afin de prévenir à terme une médecine à plusieurs vitesses.

Avec un titre aussi provocateur, Laurent Sedel montre d’emblée son opposition au tournant pris par le système de santé français et souhaite éviter l’issue suivante dans un futur proche : être malade sera un luxe. A travers son expérience de chef du service de chirurgie orthopédique et traumatologique de l’hôpital Lariboisière, il tente d’expliquer les raisons qui ont conduit à de tels dysfonctionnements (p. 15).

On rencontre ainsi un patient sans couverture sociale qui reste des mois durant à l’hôpital, faute d’accueil dans un centre de convalescence avec pour conséquence la privation d’un lit pour d’autres patients (p. 158). Idem pour la personne âgée qui ne dispose pas de mutuelle (p. 96). On en rencontre un autre qui a laissé un petit mal se développer pour ne pas avoir à payer la franchise chez le médecin généraliste mais qui doit subir au final une lourde opération (p. 87).

L’auteur a visiblement le souci de brasser tous les thèmes afin de ne pas être accusé d’éluder les questions les plus gênantes (telles l’attente aux urgences (p. 163), l’erreur médicale potentielle (p. 25) ou avérée (p. 86) comme l’oubli de compresses à l’intérieur de l’opéré (p. 29) ou encore les opérations des chirurgiens issus du public dans les cliniques privées (p. 116, 136)). Certains détails sont cocasses (l’ascenseur souvent en panne (p. 151) et la pénurie de pyjamas du personnel empêchant le bon déroulement des opérations (p. 177)), d’autres accessoires (notamment les noms des hôpitaux parisiens qui ne correspondent pas à leur adresse (p. 18), le cérémonial de la visite hebdomadaire (p. 23), les cadeaux des patients (p. 112)).

Le système de santé français est indéniablement complexe. Mais, à partir de cas concrets, Laurent Sedel, qui défend avec ardeur une profession, démontre des variables initialement imprévues telles la gestion purement comptable, le bien-être du patient versus le coût à la charge de l’hôpital, la prévention et le risque zéro. Il décrit d’ailleurs, non seulement les multiples pressions dues aux gains, à la peur des avocats et juges, mais aussi le refus des assureurs d’assurer d’autant que les erreurs médicales servent surtout à justifier la hausse des primes d’assurance.

Il explique ainsi clairement les effets pervers des réseaux de soins inorganisés, de la politique des marchés publics (avec des produits plus chers ou au contraire la difficulté d’approvisionnement de dispositifs médicaux pourtant peu onéreux et efficaces), de ce que rapporte une opération réussie qui, loin de réguler notre système de santé, le ruine. De même, certaines omissions administratives aboutissent à des situations absurdes. Que dire de l’obligation pour la pose de deux prothèses de hanche, d’opérer en deux fois, car la tarification d’une double intervention n’existe pas dans la grille (p. 135) ? Si l’hôpital gagne ainsi plus d’argent, la collectivité paie plus cher. L’absurdité de certaines décisions est récurrente (p. 73), tout comme la multiplication d’actes inutiles mais très lucratifs pour les hôpitaux ou cliniques privées, tels l’ajout d’une synovectomie lors de l’opération d’un canal carpien (p. 137).

Par ailleurs, il insiste sur le problème de moyens. A force de dégraisser les effectifs, les blocs sont indisponibles faute de personnels (p. 127). Cette pénurie, aggravée par la multiplication des réunions sur la qualité des soins (p. 59) et les événements indésirables graves (p. 62), serait loin de se résorber avec les statuts sclérosés de la fonction publique hospitalière et la précarisation de certains postes, entraînant corrélativement la croissance de CDD non renouvelables nuisant à la qualité d’une équipe de soins (p. 183, 193).

Cette succession d’anecdotes est également prétexte à entamer la discussion. On suit l’homme, son évolution tout comme celle de la vie à l’hôpital, ses prises de positions, ses volte-face. Il ne nous épargne pas certains poncifs : la chirurgie est une activité à risque, les êtres humains vivent dans un monde naturellement hostile (p. 126), et paradoxalement la société se refuse à tout fatalisme tout en développant des peurs irrationnelles. On retiendra toutefois le questionnement suivant : dans un contexte de maîtrise des dépenses par l’assurance maladie avec des répercussions sur le fonctionnement des hôpitaux, à trop vouloir compter, le système est-il efficace ?

Cet ouvrage séduit autant qu’il irrite.

Le principal intérêt de cet ouvrage repose sur cet éclairage des questions actuelles à travers différentes histoires des patients et des soignants. L’auteur dénonce des situations absurdes voire ubuesques tout en essayant de trouver des solutions. Il redoute à terme un système dual avec d’un côté les pauvres, les urgences, les opérations coûteuses à la charge de l’hôpital public et de l’autre, les opérations solvables et rentables dans le privé (p. 70, 76). Pour convaincre les plus sceptiques, des fictions volontairement alarmistes viennent étayer ses propos (p. 11, 210). A l’instar de l’activité des chirurgiens (p. 22 à 28), il demande aux autorités compétentes d’avoir le courage de faire des choix (p. 128, 180, 193, 202, 209).

On apprécie sa manière d’assumer ses idées en citant nommément les personnes, institutions, dispositions visées. L’auteur tacle ouvertement : l’administration “retorse” avec ses franchises, forfaits, encadrements des tarifs et “apeurée” (ex p. 14, 59), la Haute Autorité de Santé (p. 36), les Agences régionales de Santé (ex p. 110), les directeurs d’hôpitaux (p. 189), la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires dite Bachelot (p. 75, 193) ou la loi Steg (p. 169), les politiques (ex p. 68,), les confrères qui défendent leurs paroisses (p. 167), donneurs de leçons (ex p. 111) ou qui appartiennent désormais à l’administration (p. 171), les journalistes (ex p. 70), les juges (ex p. 180, 200), les assurances (ex 216-217) et les laboratoires pharmaceutiques (p. 76). Il déplore également l’existence de trop nombreuses structures aux acronymes obscurs (telles la MEAH Mission d’évaluation de l’activité hospitalière (p.173)) et à la légitimité discutable. Les soi-disant démarches qualité de certaines commissions sur les décès dans les hôpitaux, les erreurs médicales (p. 59) n’ont comme seul effet que de créer de la défiance, des refus (p. 70) tout en étant coûteuses (p. 63). Il explique surtout comment la mission principale des médecins, à savoir soigner, a progressivement été empiétée par des missions administratives secondaires de plus en plus chronophages.

Toutefois, le ton employé est agaçant par moments, voire déplacé quand il croise la gent féminine. De même, le côté paternaliste voire mandarin peut exaspérer. Une condescendance, parfois une virulence (p. 22) pointe dès lors qu’il évoque les décisions prises par l’administration (p. 157, 190), le législateur (p. 16-17), les directeurs d’hôpitaux (p. 189), les juges (p. 21, 54). Il déplore que le corps médical et l’administration coexistent sans jamais se rencontrer (p. 190) et face à l’exclusion des médecins du débat sur des questions qui les concernent, il tente de se les réapproprier… de manière abrupte (ex du fonctionnement de l’hôpital p. 200).

De plus, différents éléments ne sont pas toujours remis en perspective. Ses réflexions sur les conséquences des décisions prises par les juges notamment dans l’affaire Perruche (p. 124) ou sur les déclarations d’événements indésirables graves (pp. 62-63) semblent hâtives. Le lecteur devine en filigrane la volonté d’un retour à l’auto-régulation du corps médical qui serait le seul à pouvoir juger le travail de ses pairs (p. 38, 49, 60, 191). De la même manière, le chirurgien semble regretter l’information du patient (p. 82) voire sa sur-information sur les pathologies (p. 60). Pourtant, c’est non sans une certaine contradiction, que l’auteur se plaît à expliquer des situations que seul un initié peut comprendre (p. 138).

Alternant entre récit et réflexions, l’ouvrage est quelquefois un peu brouillon, voire redondant. Le lecteur doit procéder lui-même au recensement des éventuelles alternatives à retenir. Certaines sont générales : redonner la place aux médecins généralistes dits référents pour désengorger les urgences (p .170), la révision des franchises, des marchés publics (p. 154) ; géographiques : organisation des hôpitaux de l’Ile de France par grands centres par disciplines avec une adéquation entre les effectifs d’intervenants potentiels (p. 170, 174, 175, 203-209) ; sectorielles : la création d’un poste tel que le régisseur au sein d’un bloc opératoire qui coordonne les différentes catégories de personnels de l’équipe (p. 146-173) ou, pour la chirurgie, l’organisation parallèle d’un chirurgien et de deux équipes chirurgicales afin de gagner du temps et améliorer la productivité de l’équipe (p. 174).

L’auteur a toutefois le mérite de rendre accessibles lesdits dysfonctionnements à tous, notamment la tarification. D’ailleurs, ne dédie-t-il pas son ouvrage “à tous les futurs malades” ?