Alexis Drahos est sémioplasticien à l’université de Paris-Sorbonne. Nous avons rencontré ses travaux dans nombre de publications, notamment dans la revue Pour la Science. Le regard qu’il porte sur la peinture s’articule à la fois à l’art et aux sciences. Sa perspective globale contribue à deux choses : favoriser une exploration des oeuvres à partir des présupposés scientifiques véhiculés par les artistes et susciter chez le spectateur un regard attentif aux compositions artistiques dans leur rapport aux connaissances scientifiques. L’art de peindre, notamment des paysages, ainsi qu’il en va dans le champ d’exploration choisi par Drahos, s’attache peu, finalement, à faire authentique, pittoresque ou agréable. La question n’est pas celle de la vérité de la peinture. Elle est celle de la présentation, dans la lumière de la toile, de la qualité et de la culture d’un regard. 

 

Dans ces recherches, il ne s’agit jamais de n’importe quelle toile. Mais de travaux anglo-saxons ou britanniques, et de travaux anciens, datant en général du XIXe siècle. Ainsi viennent en avant John Martin (1789-1854), Charles-Wilson Peale (1741-1827) ou encore Thomas Moran (1837-1926), par exemple. 

 

C’est au travers des tableaux de Moran, précisément, que l’auteur décèle la volonté de prendre un parti non théologique concernant la formation de la terre. Dans le Canyon du Colorado, le peintre a donc tenté de montrer le passé reculé de la terre, en peignant les couches stratigraphiques déposées horizontalement ; couches qui soulignent le plutonisme du peintre, soit l’idée selon laquelle les roches sont crées par l’activité volcanique, et les agents d’érosion ont été les facteurs de transformation du paysage terrestre. Autant dire, et c’est cela qui  importe ici, que le peintre ne se laisse pas conduire par les théories religieuses du déluge. 

 

Dans la théorie dont il s’inspire, on postule que la terre est très vieille et que les traces de ce à quoi elle ressemblait à ses débuts ont été englouties par le remaniement incessant des agents d’érosion comme l’eau et le vent. 

 

Justement, pour la même époque, un Thomas Cole perpétue la tradition du déluge – ce cataclysme destructeur du monde primitif et des races antédiluviennes - et va jusqu’à concevoir des spectacles de la nature qui récitent parfaitement bien la doctrine religieuse, donnant à certaines montagnes la silhouette d’une cathédrale gothique. 

Où l’on perçoit bien ce que l’histoire de l’art bien conduite peut nous apprendre concernant la formation et l’information scientifique des artistes. Loin de les muer en savants, l’idée est plutôt de nous apprendre à lire dans les œuvres des traits culturels ou d’une culture générale alimentée par des lectures ou des rencontres. Il faut entendre par là que certains artistes font un usage précis de techniques, de captations des motifs, mais en les agençant selon une ligne directrice qui permet et favorise des significations emblématiques de la vérité qu’ils conçoivent