Un ouvrage qui analyse le genre du super-héros en observant notamment comment ces derniers s’inscrivent dans un discours idéologique, soutenant les valeurs américaines grâce au destin exceptionnel de leur protagoniste.

En exergue à son propos, Jean Ungaro cite Louis Marin qui définit le corps comme “le lieu et l’instrument de plusieurs systèmes de signes″. Cela éclaire utilement la finalité de l’ouvrage de Jean Ungaro : il s’agira d’analyser le corps de cinéma à la lumière de ses signes. Mais la tâche est difficile : définir un “principe d’ordre″ permettant d’organiser et rationnaliser le divers des signes corporels relève d’un travail de Titan, et Jean Ungaro ne donne jamais l’impression de pouvoir triompher de cette complexité. L’organisation des chapitres en une longue série de points sans liens logiques témoigne d’une pensée fragmentée peinant à trouver sa cohérence.

Bien qu’intéressant, l’ouvrage manifeste de multiples carences qui, malheureusement, amoindrissent la force de son propos. L’essai de Jean Ungaro pâtit notamment d’un trouble sémantique laissant le lecteur dans la confusion : évoquée en sous-titre, la notion de “super-héros″ est ensuite éludée par l’auteur, pour revenir en force dans les dernières pages… Bien tard, trop tard sans doute. En privilégiant pendant toute sa réflexion le terme de « héros », l’auteur oublie la singularité d’une notion qu’il a lui-même choisie et ne s’attache donc jamais à définir clairement les spécificités du super-héros.

Ce dernier est en effet ancré dans une réalité bien particulière. Le super-héros définit habituellement un héros double : de nature humaine, il dissimule généralement ses exploits sous le masque de la clandestinité et du déguisement. L’auteur revient plusieurs fois sur cette ambivalence, tout en omettant d’autres traits spécifiques, tels que les facultés supranaturelles que possède le super-héros. En l’absence de cet éclaircissement conceptuel, Jean Ungaro s’attache à deux films : Rambo I   et le 3e opus de Terminator   qui entrent régulièrement en contradiction avec son propos général. De fait, si John Rambo fait montre de pouvoirs surhumains – qui confinent d’ailleurs à l’absurde – dans les films postérieurs (Rambo II réalisé par Georges Pan Cosmatos en 1985 et Rambo III réalisé par Peter MacDonald en 1988), dans First Blood, en revanche, il reste un homme – transformé en machine de guerre par les combats au Vietnam, certes – mais sans facultés exceptionnelles.

Par ailleurs, la bipolarité symptomatique des super-héros tels que Superman ou Spiderman, déchirés entre leur identité de justicier clandestin et leur existence ordinaire, ne s’applique absolument pas à John Rambo. Bien sûr, le film se construit sur une structure duale : d’abord le retour du héros de guerre anonyme, en proie au rejet et à la marginalisation ; ensuite, la traque du héros-animal dans l’espace semi-primitif de la montagne. En dépit de ce balancement, Rambo reste cependant toujours le même, sans dissimulation aucune.

A plusieurs reprises, Jean Ungaro insiste sur le caractère idéologique des super-héros, qui esquissent l’apologie des valeurs américaines. Or, le protagoniste éponyme de Rambo est un homme fatigué, rongé par les réminiscences de la violence qu’il a subie pendant la guerre. Les blessures, tant physiques que psychiques, ont fait de lui un animal dangereux. John Rambo agit par-delà le bien et le mal. Il est un individu humilié, bafoué, haï, s’attachant à survivre dans un monde qui ne veut pas de lui. Comme l’observe justement l’auteur, il “est, à certains égards, un anti-héros, un homme, rien qu’un homme, un homme bassement humain, avec sa vie antérieure, ses souvenirs, ses désirs et ses colères″   . Il n’est pas le héraut des valeurs américaines mais tout au contraire le témoin d’un traumatisme national, d’une scission entre les soldats du Vietnam, héros oubliés d’une guerre maudite, et des civils les considérant avec hostilité.

Au contraire d’un John Rambo renvoyant l’Amérique à ses propres failles, un personnage comme Iron Man   est quant à lui ancré dans un discours idéologique évident. A travers le portrait de son père se dessine en effet le mythe du self-made man. Entreprenant, le père du protagoniste, Philippe Stark, s’est lancé dans le commerce des armes, devenant l’emblème des valeurs de la libre entreprise. Son parcours glorifie la positivité d’une Amérique audacieuse et innovante, qui met en scène ses triomphes à travers les médias. D’ailleurs, lors d’un discours promotionnel, Tony Stark assimile explicitement sa réussite personnelle à celle de l’Amérique. Capturé par des terroristes arabes puis évadé, le protagoniste se rend compte de la violence qu’il a lui-même semée et se transforme en justicier. Défenseur des peuples silencieux et des victimes innocentes, Tony Stark devenu Iron Man est donc la représentation métonymique d’une Amérique qui se conçoit comme le sauveur de l’humanité.

En éludant une multitude de super-héros pour ne se focaliser que sur Rambo I et Terminator 3, Jean Ungaro propose une filmographie à la fois restrictive et contestable, conséquence du flou sémantique que nous avons déjà évoqué. Se concentrant sur deux films, l’auteur élude la richesse d’un genre qui, malgré certaines similitudes, multiplie les cas particuliers, et s’inscrit surtout dans une historicité entièrement occultée dans cet ouvrage. Jean Ungaro ne rappelle jamais l’origine première des super-héros, enfants des comics nés dans le contexte de la guerre froide et d’une bataille idéologique menée par les USA contre l’empire soviétique. L’analyse contextuelle aurait pourtant permis d’expliquer à la fois la coloration idéologique des super-héros et la structure narrative constante analysée par l’auteur. A défaut de cet ancrage historique, Jean Ungaro ne parvient pas à saisir le genre dans une vision dynamique, et reste dans un propos parfois intéressant mais trop vague. 

Dans une conclusion consacrée à la mise en évidence de la structure narrative des films de super-héros, reprenant la trame du mythe et des contes, l’auteur observe : “ Qui peut, sérieusement, se pencher sur des objets aussi triviaux, sur des films qui n’ont même pas la noblesse des contes et des fables issus de traditions et de cultures ancestrales et vénérables ? Comparés à ces contes, sur lesquels existe une riche bibliographie d’ouvrages savants, que pèsent Rambo et Terminator ?″   . De tels propos trahissent une condescendance à l’égard de films pourtant au cœur de la réflexion et expliquent sans doute les faiblesses de l’ouvrage. Enfermé dans ses préjugés, Jean Ungaro ne fait qu’utiliser le media cinéma pour servir son propos philosophique, sans analyse véritable