Un dictionnaire qui fait l'inventaire avec humour des mots les plus incongrus du politique et détourne le sens des plus sérieux.

"Jeune diplômé sachant écrire propose biographie subliminale à politique en quête d'identité". L'annonce suit le mot BIOGRAPHIE, l'une des quelque deux cents entrées du Dictionnaire impertinent de la politique de Paola de la Baume et Emmanuel Giannesini, publié chez François Bourin éditeur. Mais revenons à notre jeune diplômé qui se propose de devenir le nègre de l'un des nombreux hommes politiques qui, la cinquantaine passé, ont la faiblesse de penser que leur vie mérite bien un livre. Non, pas une de ces "grandes fresques romanesques" en quatre tomes et autant de préfaces laudatives. Plutôt une suite d'anecdotes, organisées autour de quelques grands principes, de ceux qui ponctuent les discours réussis, avant le solennel "vive la République et vive la France!". 

 

B comme BIOGRAPHIE. B comme BLOG. Jacques Séguéla aurait pu le dire : on n'a pas réussi sa vie politique si l'on n'a pas de blog. La rolex, c'est la touche bling-bling que l'on peut bien se permettre après tout – étant donné les nuits blanches passées à l'assemblée pour un amendement finalement abandonné – le blog, c'est le contraire, le côté : "je suis comme vous", les billets quotidiens adressés aux lecteurs curieux. Et parce que, après tout, une seule lettre sépare les lecteurs des électeurs, tant pis si le blog est un "journal intime à 18 mains" : "le conseiller discours, le chef de cabinet, l'assistante personnelle et quelques autres". Les confessions intimes attendront. 

 

Vous l'aurez compris, ce Dictionnaire impertinent de la politique n'a pas d'impertinent que le nom. L'humour est présent jusque dans les sous-titres des différentes entrées : ASSEMBLÉE NATIONALE : "La Belle au bois dormant" ; CANARD ENCHAÎNÉ : "Syndrome des Dix petits Nègres : à qui le Tour?" ; ÉLECTION : "Machine à produire du plan B" ; ROLAND-GARROS : "Ambassade de France en France".

 

Au détour des pages, quelques portraits tout aussi piquants : le Général de Gaulle, immanquablement, qui fait figure de "statue du Commandeur", convoqué jusque dans les salles de classe des Terminales qui planchent sur la prose de l'homme de lettres et d'Etat. Mais le général de Gaulle est moins conjugué au passé qu'au conditionnel : "le Général aurait fait ci" ou, assurément, n'aurait jamais, ô grand jamais, accepté cela!

 

 

Montréal est qualifiée de "planque discrète pour politique en cavale". La cure est efficace : Alain Juppé s'est racheté une virginité outre-atlantique et, promis, il ne mangera plus jamais de cerises en hiver. 

Il a été question du Général de Gaulle, de Juppé. Où sont passés les socialistes? On les retrouve à la lettre P, attablés pour le "dîner de cons" - pardon, pour les Primaires. Là encore, la plume des deux auteurs n'est pas tendre. Pas plus que lorsque l'on passe, selon un ordre logique autant qu'alphabétique de PRIMAIRES à PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE. Finies les heures alanguies dans les banquets républicains, la mode est à la présidence sportive : visites à l'étranger, déplacements de terrain de l'usine affectée au fleuron industriel de la France... bientôt désaffectée, à la banlieue surprise au petit jour quand les forces de l'ordre peuvent encore contenir les bras vengeurs d'une jeunesse désaffectée, elle aussi. Le Dictionnaire impertinent du politique nous en offre une "preuve par l'image : les portraits officiels des présidents de la Vè République dévoilent de plus en plus leurs jambes! Là où le général de Gaulle et François Mitterand se contentaient d'un buste à la romaine, Nicolas Sarkozy dévoile ses jambes de joggeur".

 

Le dictionnaire recense ces termes à la mode qui saturent les discours des politiques et journalistes, consommés sans modération et bientôt, sans signification : D comme dérapage, R comme rigueur, S comme storytelling. Et rappelle la tentative ratée de Christiane Lagarde d'imposer le mot de "rilance" pour mêler rigueur et relance. Le néologisme n'a pas pris ; pas plus d'ailleurs que la relance. 

 

Le dictionnaire verse parfois dans le non politiquement correct. Et si l'abstention était le "signe d'une vitalité civique"? L'énoncé est pour le moins paradoxal. Il a le mérite de battre en brèche le discours moralisateur ambiant. Et, à en croire Paola de la Baume et Emmanuel Giannesini, pour Aristote, je cite, "les régimes démocratiques sont beaucoup plus menacés par l'activisme des militants que par la passivité des abstentionnistes, qui introduisent la modération et préservent les Cités des tyrans démagogues." Au regard des dernières élections locales et dans la perspective des présidentielles, l'entrée ABSTENTION du dictionnaire reste à méditer. 

 

Je pourrais, bien sûr, finir cette chronique avec un Z comme Zedong, Mao Zedong dont le visage continue de s'afficher sur les "tee shirts rouges made in China" de nos adolescents rebelles. En profiter pour faire une pique à Z comme Zemmour qui devient l'alpha et l'omega de la bonne mauvaise conscience citoyenne.

 

Mais non, finissons avec la lettre B. Le BON SENS est une entrée du Dictionnaire impertinent du politique. Le bon sens, qui, croyait-on, était passé de mode. Paola de la Baume et Emmanuel Giannesini croient pouvoir affirmer qu'au contraire, il est plus que jamais tendance. En 2006, Michel Godet signait un essai intitulé Le Courage du bon sens. Pourquoi le bon sens l'emporte-t-il sur l'audace, l'intelligence économique, la stratégie, le bench-marking, l'union sacrée, le réalisme, l'intuition politique… ?

 

Le bon sens a pour allié "la force de l'évidence", la capacité à balayer la vieille querelle droite/gauche au profit des bonnes vieilles recettes de grand-mère accessibles à Monsieur Tous-les-jours, comme dirait Dominique Strauss-Kahn. Soyons prag-ma-tique! Croyez-le ou non, le bon sens continue de faire recette. Pour preuve, un dissident de la dernière heure, un certain Jean-Louis Borloo, brandit le drapeau du "bon sens" au nez d'un François Bayrou, qui a la faiblesse de lui préférer le sens de l'Etat, au nez des derniers sarkozystes, girouettes qui ne suivent que le sens du vent, et – pire – au nez des socialistes qui croient que le "sens de la justice" peut encore avoir un écho cher les derniers nostalgiques de Mitterrand. J'oubliais, au bas de l'entrée "bon sens" du Dictionnaire impertinent de la politique, un sous-titre : "Bon sens. Terminus de la pensée". Tout le monde descend