Le paradoxe est de plus en plus explicite aux yeux du public. D’une façon générale, l’art muant la science en amusement prend le risque qu’à son sujet on ne parle pas d’art, mais de science ; et la science captant l’art pour s’exposer prend le risque qu’à son sujet on ne parle plus de science mais d’imagerie plus ou moins étonnante. Sur ce plan, justement, un artiste actuellement célébré prend les moyens de ne pas noyer l’un dans l’autre, l’art dans la science ou inversement. Il s’agit de François Morellet, exposé au Centre Pompidou.

Dès les premiers pas dans l’exposition, le spectateur se voit happé par l’articulation poétique qui donne aux œuvres un étayage scientifique dans le projet d’une assomption de la modernité artistique.

Le rapport Arts et Sciences y est traité pour ce qu’il peut donner, et non pour ce qu’il peut montrer des uns ou des autres.

1- Morellet introduit le hasard dans ses travaux ou s’appuie sur des formules mathématiques pour produire des structures formelles. Il a ainsi réparti les couleurs selon les chiffres pairs et impairs des abonnés du téléphone, ou s’est emparé de la succession des chiffres de Pi pour déterminer les angles des lignes courbes au cheminement infini de ses Pi Rococo.

2 – Il favorise ainsi une opération d’ensemble ; il affirme : "J’ai, pendant vingt ans, produit avec beaucoup d’obstination des œuvres systématiques dont la ligne de conduite constante a été de réduire au minimum mes décisions arbitraires". Il ajoute : "Pour limites ma sensibilité d’ "artiste", j’ai supprimé la composition, enlevé tout intérêt à l’exécution et appliqué rigoureusement des systèmes simples et évidents qui peuvent se développer soit grâce au hasard réel, soit grâce à la participation du spectateur" (Texte-manifeste, 1970).

Et ceci sans vanité : "A la même époque, je me suis également amusé à faire apparaître, grâce à des combinateurs mécaniques, eux aussi grossièrement bricolés, une succession de formes et de lettres en néons, fixées sur trois panneaux. Le hasard semblait commander ce défilé rapide et confus d’images. Mais mes moyens techniques ne me permettant pas alors d’utiliser un vrai système aléatoire, ce n’était donc qu’une parodie de hasard qui faisait se succéder irrégulièrement les formes géométriques et les quatre mots CUL – CON – NON – Nul" (Esthétique électrique et pratique éclectique, 1991).

3 – Il a marié l’abstraction géométrique, réputée austère, et en tout cas rigoureuse, avec la liberté et l’impertinence des artistes.... tout autant qu’il bouscule certaines normes.

4 – Il invente ainsi un système de variation des matières, des formes, des formats... une diversité plastique, qui constitue un programme esthétique, mais sans lassitude. D’autant qu’il sait s’appuyer sur l’histoire de l’art, par exemple, en réinterprétant en néons les Cathédrales de Rouen de Claude Monet, en mettant Mona Lisa en transe, en faisant allusion aux paysages avec l’Avalanche.


François Morellet, Réinstallations, Centre Georges Pompidou (Beaubourg), 2011