Dans la dernière note de la série consacrée par la Fondapol aux droites européennes, le politologue Patrick Moreau dresse un portrait en demi-teinte des partis conservateurs allemands.

Vers la fin du règne des partis conservateurs ?

L’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU), parti de la chancelière Angela Merkel, et son alliée de toujours, l’Union chrétienne-sociale en Bavière (CSU), ont dominé la vie politique outre-Rhin depuis la fin de la guerre. Hormis pendant deux périodes de dix-huit années au total, le cocktail de conservatisme chrétien et d’économie sociale de marché a permis au mouvement unifié par Konrad Adenauer, sans doute la figure la plus charismatique et rassembleuse de l’histoire allemande récente, de participer à tous les gouvernements fédéraux depuis 1949. Exception faite d’une courte parenthèse entre 1953 et 1957, son alter ego régional de Bavière a quant à lui dirigé ce Land de façon continue et presque incontestée, avec des scores toujours supérieurs à 50% entre 1957 et 1998. Mais à l’évidence, le temps n’est plus au beau fixe pour les partis de l’Union – expression qui consacre la solidarité infaillible de ces deux partis.

En 2008, le recul du parti bavarois à 43,4% lors des élections locales, "qui a contraint la CSU à chercher un partenaire de coalition, marque incontestablement la fin d’une époque", confirmée par sa stagnation autour de 40% d’intentions de vote dans les sondages. En effet, dans le cas où le seul électorat bavarois ne permettrait plus à la CSU de représenter 5% au moins des suffrages nationaux, c’est sa présence au parlement fédéral, et donc son existence au niveau du Bund (l’Etat fédéral) qui ne serait plus assurée. Quand à la CDU, si elle reste le premier parti allemand loin devant les sociaux-démocrates du SPD, elle a perdu plus de 270 000 adhérents entre 1999 et 2009. Et tout en dominant 9 des 16 Länder (Etats), l’amoindrissement structurel de son électorat la contraint, depuis les années 1990, à chercher de nouveaux partenaires pour pouvoir gouverner. Surtout, ses horizons semblent s’assombrir. Au retrait de la vie politique de nombre de ses leaders, tels que les ministres-présidents Koch et Müller ou que le ministre starifié Karl-Theodor Zu Guttenberg (CSU), s’ajoute un accroissement régulier des critiques à l’encontre de la Chancelière, sur laquelle repose largement le succès électoral relatif de l’Union, critiques qui se sont multipliées à la suite du plan d’austérité décidé par le gouvernement et qui pourraient laisser des traces indélébiles, même en cas de reprise rapide. Plus grave pour l’Union des conservateurs, les évolutions de la situation économique, de la société et des sensibilités semblent favoriser une diversification et une recomposition du champ politique aux dépens des partis traditionnels nés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Une recomposition… Quelle recomposition ?

Dans sa note, Patrick Moreau évoque un certain nombre de tendances de fond remettant sérieusement en cause l’attachement de la population allemande à ces grands partis de masse (Volksparteie) historiques, dont la capacité à assumer un leadership dans les décennies à venir ne saurait être assurée – un constat qui vaut en creux pour le SPD, le grand parti de gauche de gouvernement. Les facteurs identifiés par l’auteur de cette désaffection parmi les soutiens traditionnels de l’Union sont multiples : la dissolution de la société agraire, le recul du sentiment religieux ou encore la vision passéiste du rôle des femmes portée par le conservatisme en seraient les plus profonds. Ces partis reconnus pour leurs "capacités économiques" souffriraient aussi de la faiblesse de leurs compétences "dans le domaine de l’environnement et de l’intégration", ainsi que pour "la politique étrangère et l’éducation". La démission du président Horst Köhler, provoquée par le tollé suscité par ses propos sur l’intérêt d’une participation de l’Allemagne aux interventions militaires internationales, a révélé une divergence croissante entre la stratégie de la CDU et le socle du consensus allemand sur lequel son propre succès reposait jusque-là. Toujours dans ce sens, si Patrick Moreau n’évoque qu’implicitement et sans vraiment l’analyser l’importance de choix stratégiques polarisants dans la dissolution du lien à même d’assurer aux partis de l’Union "un vote venu de toutes les couches de la population", il observe en revanche qu’à l’évidence, "la CDU-CSU a largement perdu de son profil social" et de son image – chère à la grande majorité des Allemands – de protecteur des "petites gens".

Dans l’ensemble, cette quarantaine de pages laisse le goût amer d’une frustration. Frustration, d’abord, de n’avoir finalement eu accès qu’à une réponse parcellaire à la question inaugurale, "Où en est la droite ?" en Allemagne. Car si le Parti libéral-démocrate (FDP), compagnon de route régulier de l’Union et membre de la coalition actuelle, hante la note, il n’est jamais évoqué qu’au passage. Or, si son score exceptionnel aux élections de 2009 (presque 15% des voix) ne se reproduira sans doute pas en 2013, le succès récent de ce parti pourtant ancien, porte parole des partisans de la dérégulation, n’en traduit pas moins une aspiration qui s’est manifestée fortement avant qu’une crise au demeurant exceptionnelle ne vienne ruiner tout espoir de voir ses promesses de baisses d’impôts réalisées. Conjoncture mise à part, le FDP est donc bel et bien une force de droite de premier plan, signifiante et porteuse de changement.

Mais la frustration est aussi, et plus largement, celle d’avoir lu une réponse se voulant globale, mais n’abordant finalement que de façon allusive les questions qui paraissent les plus riches d’enjeux. Qu’en est-il de cette aspiration de plus en plus d’indépendants à rejoindre le FDP ?   Qu’en est-il de ce poids singulier des personnalités dans les succès électoraux de la CDU comme de la CSU ? Qui sont ces "électeurs libres" qui ont déstabilisé la CSU   et semblent répondre à une demande d’alternative de droite ? Qu’en est-il plus exactement de ces corrélations de plus en plus marquée entre l’idéologie des partis de l’Union et celle des Verts qui s’imposent de plus en plus, et des transferts de voix des uns aux autres ? Enfin, et surtout, qu’en est-il de la pertinence du christianisme social et du paradigme de l’économie sociale de marché dans une société allemande de plus en plus clivée par les lignes de partages imposées par le processus de mondialisation ? Autant de questions qu’il faudra encore explorer pour comprendre réellement où en est la droite en Allemagne