Le célèbre journaliste Bob Woodward, à l’origine de la révélation du scandale du Watergate avec son confrère Carl Bernstein, est venu à Paris parler de son dernier ouvrage intitulé Les guerres d’Obama (éditions Denoël). Ses conférences à Sciences Po et à l’hôtel Lutetia lui ont permis de s’adresser à divers publics : étudiants en journalisme, lecteurs du Magazine Littéraire qui avait organisé l’évènement au Lutetia ou simples admirateurs.

Obama et la guerre "war is never glorious"

 

Il a décrit un Barack Obama fin stratège politique, ayant la guerre en horreur – "war is hell", lui confia-t-il ainsi, en juillet 2010, à la Maison Blanche-, au point qu’il avait projeté, une fois élu, que les troupes américains quittent au plus vite l’Afghanistan, avant d’être contraint de faire face aux réalités de terrain. De l’avis de Bob Woodward, il est très difficile pour les Républicains de contrer le Président sur les questions militaires car loin d’être un isolationniste, c’est un pragmatique, comme l’illustre aujourd’hui son envoi limité de troupes en Libye. Le journaliste a ajouté lors de sa conférence à Sciences Po qu’en écrivant son livre, ce n’était pas seulement connaître Obama qui l’intéressait, mais aussi obtenir sa vision du monde.

 

Très conscient de la menace terroriste planant sur les États-Unis depuis neuf ans, B. Obama serait par ailleurs désemparé face à ce que B. Woodward décrit comme un double jeu du Pakistan, dont l’obsession serait moins le terrorisme que la puissance de son voisin indien, ce qui fait dire au journaliste que l’intérêt du Pakistan n’est pas d’avoir un gouvernement afghan fort, afin de ne pas être pris en tenailles. Tel serait le cauchemar d’Obama, hanté par le précédent du Vietnam : le risque d’enlisement en Afghanistan, auquel il faut ajouter la très fragile opération occidentale de nation building. "Comme dans un mariage, nous dit B. Woodward, on progresse ; la réalité est fragile mais réversible". Selon lui, même s’il faut rester optimiste, la transition démocratique dans le monde arabo-musulman sera longue et fastidieuse. Á propos de l’Irak, puis de l’Afghanistan, le général Petraeus aurait ainsi déclaré : "la situation est difficile mais pas désespérée"…

 

"Les juristes n’ont pas de vision. Ils veulent juste gagner"

 

Á la question : "quelle est selon vous la vision géopolitique mondiale du Président Obama ?", B. Woodward répondit que ce dernier, loin d’être un doctrinaire, était, en bon juriste, un homme du "juste milieu". De fait, selon le grand reporter, les visions globales sont dangereuses ; il faut donc accepter l’incertitude et, au final, l’enjeu demeure de "manage the chaos of war". Après tout, qui sait à ce stade ce qu’il va se passer en Libye et les options que B. Obama va choisir ? Tout est possible, nous met en garde B. Woodward…

 

Pour lui, B. Obama doit également gérer les vives rivalités entre le Pentagone et le Département d’Etat. La tension est maximale entre la diplomatie et les militaires américains, sans parler de la C.I.A. qui entraînerait une armée secrète de 3.000 hommes en Afghanistan pour tuer et capturer les Talibans. Dans une guerre, avance B. Woodward, il faut toujours se demander ce que l’on veut faire. Le but doit toujours être clair. Cependant, c’est rarement le cas.

 

Wikileaks et le journalisme aujourd'hui

 

Á propos de wikileaks, B. Woodward estime que les "fuites" n’ont rien dit sur la manière dont les décisions sont prises par les chefs d’Etat. Or c’est selon lui le plus intéressant mais cela nécessite de longues et parfois laborieuses enquêtes, dont le vrai journalisme d’investigation ne peut se passer. "Il faut bien sûr toujours dire ce qui va à l’encontre de l’histoire officielle. "Dans le cas des Pentagon Papers, ils dévoilaient que le gouvernement mentait au peuple américain, pour Wikileaks, c’est plus confus et son impact a été surestimé", a-t-il ajouté lors de sa conférence à Sciences Po, où il a aussi insisté sur cette vision du journalisme.

 

Très attaché à l’expérience du terrain, il a pointé la nécessité d’aller toujours chercher des informations sur place, une recherche "épuisante" qui, en interrogeant des sources multiples, reste la méthode à privilégier. Multipliant les anecdotes, un dîner avec Al Gore mémorable ou un reportage à Tripoli il y a plus de vingt ans qui l'a obligé à quitter le pays immédiatement après la parution de l'article, Bob Woodward s’est acharné à mettre en valeur l’importance de toujours aller sur les lieux face à un journalisme "assis" souvent occasionné par l’abondance de sources et d'informations sur Internet. "Si vous avez une bonne idée de reportage, le public attendra et votre rédacteur en chef vous laissera le temps de la développer, sinon, vraiment, appelez-moi d’urgence ! Sans rire, je soutiendrai votre cause", a-t-il conclu face aux questions sur les impératifs de l’information quotidienne et presque "instantanée" qui prévalent aujourd’hui. L’air du temps médiatique n’y est hélas pas favorable….

 

*Cet article a été co-écrit par Marie-Cécile Naves et Lilia Blaise