La Maison Rouge- Fondation Antoine de Galbert (Paris, Bastille), présente, jusqu’au 15 mai 2011, une exposition qui permet de revenir sur les rapports entre art contemporain et sciences (ici humaines ou sociales), à rebours de ce que l’on entrevoit d’habitude. Elle est intitulée "Tous cannibales", et s’intéresse aux différentes formes de dévoration dans l’art contemporain. Et certes, le sujet est d’importance, tant sur le plan artistique, que scientifique et interculturel. On ne peut négliger, à son propos, la dimension politique par laquelle l’Europe et l’Occident ont déposé en l’Autre leurs craintes et leurs volontés de domination.

Cela étant, l’iconographie présentée souffre à l’évidence d’une profusion confuse qui voit se mêler anthropophagie, vampirisme, vaudou, gore, sacrifice, hybride... Ce sont moins les œuvres qui posent des problèmes, d’ailleurs, que l’exposition même composant avec peu de rigueur des concepts scientifiques dont la compréhension est très élargie. En se réclamant de Claude Lévi-Strauss ("nous sommes tous des cannibales", formule qui concerne un parallèle entre dévoration et médecine moderne), de Sigmund Freud (le tabou de l’anthropophagie dans la société occidentale), et de la biologie contemporaine, l’exposition se diversifie en passant d’ambiguïté en ambiguïté. Les dévorations mythologiques et les punitions des enfers peuvent-elles côtoyer si simplement l’invention des peuples autres en anthropophages réfugiés aux confins du monde connu ? Le risque est pris ici de laisser croire que l’anthropophagie, admise durant longtemps comme une pratique réelle de certains peuples, est masquée mais existante aussi au sein des peuples colonisateurs. Et comme l’exposition mêle aux œuvres d’art des clichés ethnographiques, des vues de la colonisation et des stéréotypes coloniaux, elle multiplie les difficultés. 

Les œuvres artistiques ne recoupent pas le thème du commissaire avec autant de facilité que l’on croit. Elles se répartissent en thématiques du corps organique, art corporel, art de la culture, de l’informe, de la critique, de l’ingestion, de la violence sociale sanguinaire... au point que le projet de montrer comment les artistes contemporains "accordent une plus large place que leurs prédécesseurs à la représentation de la chair, et aux thèmes d’absorption, d’assimilation et de dévoration" (Jeanette Zwingenberger, commissaire de l’exposition) se dissout.

Certes, le spectateur se trouve largement interrogé par ce qu’il observe, mis devant la nécessité de s’inquiéter des rapports Eux/Nous, fragilisé par le renversement autre-extérieur/autre-intérieur, mais cela ne suffit évidemment pas à lever le malentendu cannibale. De toute manière, il est égaré par l’usage un peu léger de la notion de chair dans l’exposition, celle-ci variant sans cesse de sa détermination religieuse à sa détermination doxique.

Ce qui devient intéressant dans cette affaire, c’est donc surtout le recours aux sciences humaines dans une exposition artistique. Encore celui-ci ne garantit-il pas la pertinence de l’exposition


 
* La Maison rouge- Fondation Antoine de Galbert, 10 Boulevard de la Bastille, 75012 Paris.