Faire du principe santé, le levier d’une transformation économique, sociale et écologique  globale   Mettre en tête de l'agenda politique les questions de santé et de prendre soin conduit à structurer la transformation de l'économie et du social. Cela passe par un triptyque : protection sociale élargie, principe de prévention globale, politique de l’emploi. La santé est au cœur du quotidien de l’ensemble de la population. Il n’est que de souligner l’importance de se souhaiter "bonne santé» au moment des vœux de nouvelle année pour saisir l’importance du sujet. Or, force est de constater que loin d’avoir repoussé la maladie, le mal-être et la souffrance, notre société de haute technologie a généré de nouvelles formes de pathologies. Si la médecine sait de mieux en mieux soigner, si elle connaît de grands succès thérapeutiques, pour autant, elle est de moins en moins en capacité de prendre soin d’une manière globale d’une population de plus en plus diversifiée.

 

 

Elle semble incapable de répondre à la hausse continue du nombre de personnes fragilisées par la maladie, la dégradation de l’environnement, la pression et la précarité sociale. Rappelons que l’on compte 9,2 millions de personnes en ALD (arrêt de longue durée), fin 2010, soit une augmentation de 60% en 10 ans. Rappelons aussi que l’allongement de la vie implique aussi une forte croissance de certaines pathologies, en particulier les maladies de Parkinson et d’Alzheimer qui concernent, à des degrés divers plus de 1,5 millions de personnes. Par ailleurs on compte en France plus de 8 millions de personnes en situation de handicap. Pour l’ensemble de ces maladies, les familles et les proches se retrouvent eux-même fragilisés. Rappelons aussi que si les pathologies infectieuses ont été pratiquement jugulées – du moins en Occident-, les maladies chroniques sont en hausse continue et le taux d’obésité prend des proportions alarmantes. Ces affections sont d’abord liées aux modes de vie des personnes, aux conditions de travail, de déplacement et d’habitat, à l’alimentation toujours plus industrialisées et plus globalement à un environnement dégradé qui se manifeste par une eau et un air pollué, par l’impossibilité d’échapper à l’inflation de composants chimiques, par la priorité donné au nucléaire….

 

 

Pour une protection sociale universelle

 

L’élargissement du champ de la protection sociale ou l’instauration d’une "cinquième branche de couverture sociale" prenant en compte la perte d’autonomie (ce que d’autres nomment la dépendance) implique de penser en termes de solidarité collective et sociale, de relancer le compromis républicain autour de la solidarité sociale et intergénérationnelle avec l’ensemble des personnes vulnérables.  Elle pose le principe de la convergence des politiques universelle de soutien et de compensation aux personnes fragiles en fonction de leur perte d’autonomie et non de l’âge ou du statut de la personne. Car en ouvrant à celles et ceux qui en ont besoin quel que soit leur âge "un droit universel à la compensation pour l'autonomie", c'est-à-dire au financement d'un plan d'aide personnalisé établi en fonction de leurs besoins, la protection sociale et la compensation à la perte d’autonomie sont d’abord des instruments en faveur de la justice sociale et de l’équité, mais aussi des facteurs d’émancipation de la personne et de son entourage. Ce principe du prendre soin et cette logique d'élargissement de la protection sociale est aussi source de création d'emplois et plus largement d'une nouvelle dynamique économique et écologique. Enfin, questionner les conditions du financement de la compensation à la perte d’autonomie conduit, à interroger la place des aidants informels, qui sont d’abord des aidante (à plus de 60 %), qu’ils soient familiaux ou bénévoles proche de la personne. Il s’agit de conduire une politique plus volontariste de soutien à ces derniers en particulier par le développement de structures de répits, l’accompagnement social, psychologique et administratif, la facilitation à la conciliation avec la vie professionnelle… Cela nécessite aussi de s’interroger sur les formes de la rémunération des aidantes et des aidants, en termes directement pécuniaires ou à travers l’accès particulier à des services publics et à des aides. Cette problématique concerne aussi l'enjeu de permettre la conciliation avec la vie professionnelle des aidantes et des aidants.  

 

 

Pour un principe de prévention globale

 

 

Un élargissement de la protection sociale devrait s’accompagner d’une politique de santé et du prendre soin des personnes centrée sur la prévention et l’accompagnement, autrement dit le care plutôt que la cure. Cela implique aussi de repenser la tarification des actes médicaux comme la répartition des responsabilités entre les différents acteurs du soin. La question de la tarification relève directement du choix politique et ouvrirait le champ à des économies : une fois le diagnostic établi, les situations de maladie chronique et de perte d’autonomie relèvent plus du suivi et donc d’une logique forfaitaire ; alors que les interventions pour des crises aiguës répondent à une logique d’acte qu’il est normal de rémunérer plus fortement. Par ailleurs, le suivi pourrait être en large partie délégué à d’autres professionnels moins diplômés mais tout aussi qualifiés pour intervenir sur certains plans. Cette logique de forfait devrait aussi être mobilisée pour le champ de la prévention, pour ce qui concerne la partie suivi physiologique et psychologique.  Cette politique du prendre soin doit aussi s’adapter aux personnes concernées et prendre, en particulier, en compte les publics spécifiques comme ceux qui vivent dans la rue, ceux qui vivent ou sortent de prison, qui sont sero-positifs… Le domaine de la prévention ne concerne pas seulement la santé et le soin : la politique de l’habitat, l’alimentation ou les conditions de vie au travail sont tout aussi à modifier. Il s’agit de penser à la fois des solutions individuelles pour accompagner les personnes et de développer des approches collectives et partagées. Il importe de soutenir les formules hybrides qui permettent aux personnes qui le souhaitent et le peuvent de vivre selon les moments chez elles ou en collectif.  Dans les deux cas, les politiques de soutien nécessitent des services et de l’accompagnement à domicile.  Une politique écologique de la santé pose aussi la nécessité de soutenir les médecines douce, les modes de soin qui cherchent à réduire l’hospitalisation et le recours aux substances chimiques.

 

 

Plus largement, une politique mettant en tête de son projet l’impératif de santé implique d’œuvrer à l’amélioration de l’environnement en agissant sur l’air et l’eau en priorité, mais aussi en menant une offensive législative et culturelle contre l’utilisation de composés chimiques dans l’alimentation, la cosmétique ou encore les matériaux de construction… Il s’agit, par exemple, d’interdire certaines formes de publicités pour des produits d’alimentation à l’instar de ce qui été fait pour le tabac. Ou de taxer ces produits et publicités au profit de la mise en œuvre de politiques de soutien à une alimentation équilibrée. Dans cette approche, l’encouragement aux initiatives de type Amap ou jardins partagés doit répondre à une logique d’action publique. Cette politique de santé nécessité aussi d’agir directement sur les conditions de vie au travail. Aujourd’hui, on estime que 15% des salariés sont en situation de vulnérabilité : stress, sentiment d’une perte de sens de son activité, effets des soucis personnes… La défiance vis-à-vis de l’entreprise augmente.

 

 

Les suicides de France Telecom ou chez Renault ne sont pas des phénomènes isolés : il y autant de morts par accidents du travail que par suicide au travail. On ne peut penser une société plus douce à vivre et plus préventive où le travail serait exonéré. L’être humain est un ensemble : les conditions de vie au travail, tant sur le plan physique qu’en termes de pressions culturelles et psychologique influencent directement le rapport au monde de la personne. L’enjeu est donc d’initier des politiques publiques d’incitation à la bienveillance au travail. Il s’agit bien d’agir pour déconstruire, de façon culturelle,  la logique de productivité et de privilégier des modes de production orientés sur la qualité et la durabilité. Le principe santé et prendre soin est à la fois vecteurs et conséquences du paradigme du développement soutenable.  Emploi et changement de hiérarchie sociale

 

 

L’un des objectifs majeurs de l’action sur les conditions du soutien aux personnes fragiles ou en situation de vulnérabilité concerne la problématique de l’emploi. Il s’agit de mettre en place des filières complètes qui permettent  de dessiner des perspectives d’évolution de carrière, de pouvoir changer de secteur, d’enrichir son parcours… Elle implique donc un effort de formation continue. Mais cette politique de filière impose aussi de revaloriser les salaires de façon conséquente. Cette filière concerne l’ensemble des métiers du prendre soin, de l’accompagnement et du lien social. Le gisement d’emplois, non délocalisables et non polluant, est important. Mais cela nécessite d’améliorer fortement le ratio d’encadrement dans les établissements et les services, en fonction des publics soutenus Il conviendrait aussi d’uniformiser les conventions collectives pour que l’ensemble des personnels soit logé à la même enseigne et puisse plus facilement passer d'un contexte à un autre.

 

L’enjeu est d’importance car il s’agit plus de 100 000 emplois supplémentaires par an crées principalement dans le domaine de l’accompagnement de proximité. Ce sont des emplois qui répondent à des logiques de territoire et qui nécessitent une action des collectivités pour anticiper en termes de besoin, de formation, d’encadrement…

 

Ces choix structurants devraient aussi déboucher sur la création d’un nouveau métier, "care manager" ou "gestionnaire du prendre soin" de la coordination et de l'impulsion d'une action d'inclusion sociale qui comprenne les enjeux de santé et de bien-être, de lien social et d'activité (salariée ou non). Dans le soutien aux services à domicile, une nouvelle politique publique peut conduire à faire la différence entre des emplois domestiques de confort et ceux répondant à une nécessité de soutien social. L’ensemble des aides à l’emploi à domicile représente environ 10 Mds€ /an et profite d’abord aux plus privilégiés. Pour les emplois de soutien social et du prendre soin , l’enjeu est de renverser la tendance à la baisse des qualifications des emplois, initié par les collectivités territoriales, pour réduire le coût des prestations mais aussi leur qualité. Plus largement, dans le domaine de l’emploi, en particulier pour ce qui concerne les services à domicile, une refonte  du système s’impose. L’un des enjeux tient à notre capacité à initier des modes de rémunération prenant en compte les temps partiels contraints et à développer des politiques spécifiques de soutien. D’autant que ces emplois sont ultra majoritairement tenus par des femmes, souvent en situation monoparentale. Derrière cet objectif, c’est bien une inversion des hiérarchies qui est en jeu : valoriser en priorité les métiers du lien social et de l’accompagnement.

 

 

Initier la santé au rang de grand projet pour le siècle  S’il faut se méfier des tentations de l’hyperspécialisation, des discours sur les pôles de performances, pour autant, pourquoi ne pas initier la santé au rang de grand projet de ce siècle ? Il s’agit à la fois d’améliorer la vie de l’ensemble des habitants du pays mais aussi d’initier une dynamique économique et sociale qui soit forte de création d’emplois de qualité et d’utilité. La France dispose encore d’une qualité d’infrastructure de transport et d’accueil des personnes, d’une culture du soin, de la pratique médicale et de la gastronomie, d’une population plutôt bien formée, d’un climat privilégié qui sont autant d’atouts qui peuvent être mis au service d’une spécialisation autour de la santé et de la remise en forme.  Rappelons aussi que la France a développé, à travers le concept de "french doctor", une culture de l'intervention dans le domaine de la santé et de l'accompagnement sanitaire et social. Cette dynamique serait une façon de renforcer l’attractivité du pays de donner une ligne directrice en termes d’investissement, de création de filières, de constitution d’un savoir-faire qui puisse s’insérer dans les échanges mondiaux. Le monde entier prend de l’âge (les plus de 60 ans passeront de 10% de la population, en 2000, à 21% en 2040) et voit une croissance continue du nombre de personnes fragilisées. Il y a donc une dynamique à l'œuvre et une nécessité sociale.   

 

 

Serge Guérin Professeur à l’ESG Vient de publier "La nouvelle société des seniors", Michalon, 2011