L’ouvrage offre un tour d’horizon des activités de la Banque de France en prenant soin de définir les contraintes amenant ses choix. On redécouvre alors les grands enjeux sous-jacents à l’organisation d’une banque centrale.

Le travail d’Yves Leclercq nous plonge dans l’univers complexe de la Banque de France et de sa politique au XIXème siècle. Au cœur d’un système riche d’interactions économiques, politiques et sociales l’étude des questions sous-jacentes à l’activité de la Banque nous offre de nombreuses perspectives dépassant la simple compréhension de la monnaie et de ses mécanismes. Nous y apercevons alors l’ensemble des enjeux et débats propres aux politiques monétaires de cette époque. On y redécouvre en outre de nombreuses controverses aujourd’hui oubliées. Ainsi le lecteur peut-il remettre en cause certains acquis relatifs au fonctionnement des systèmes monétaires actuels tels que la variabilité des taux d’intérêts centraux ou le monopole d’émission.


L’auteur ne défend ici aucune thèse précise et ne cherche pas à justifier un point de vue. A la manière d’un manuel d’étude ce travail se contente de décrire de façon neutre les différentes étapes de développement de cette institution. Pourtant, l’ouvrage ne suit pas un plan historique purement descriptif. Celui-ci s’organise autour de grandes questions relatives à l’activité de la Banque de France quelque soit l’époque considérée. Ainsi l’auteur peut-il rendre compte des différents conflits et consensus, internes comme externes, dans un développement dialectique indépendamment de la longueur des débats. En outre, le plan de l’ouvrage ne suit pas un processus mécanique évident mais évolue plutôt thématiquement.


La première partie s’intéresse à l’institution proprement dite, aux mécanismes, conflits et actions internes. En premier lieu l’auteur entend montrer la convergence d’intérêts de la haute banque parisienne et de l’Etat dans la constitution de cette "banque supérieure", "corps intermédiaire entre l’Etat et le commerce ". Dans leur recherche conjointe de la "stabilité sociale ", prudence et confiance sont les arguments majeurs menant à la constitution d’une banque indépendante garante de la pérennité monétaire. En second lieu cette partie nous informe des mécanismes et conditions de financement de la Banque, que ce soit par l’escompte ou les avances sur titres. En outre les conditions de sécurités retenues par la Banque sont réaffirmées notamment par l’importance accordée à l’intermédiaire banquier, mieux armé pour appréhender la solvabilité des papiers commerciaux présentés à l’escompte. Finalement, l’auteur conclut en opposant Banque de France et Banque d’Angleterre. Alors que la première recherche avant tout la stabilité du crédit la seconde s’astreint plutôt à la stabilité monétaire.


La seconde partie décrit le cheminement vers le monopole d’émission, à Paris d’abord, sur l’ensemble de la métropole ensuite. Le monopole d’émission, si évident pour nous aujourd’hui, n’est pas une réalité incontestable au début du XIXème siècle. L’abolition des privilèges, composante principale de la Révolution Française, s’accordant mal avec les droits accordés à la Banque de France nouvellement créée. Pourtant, les multiples problèmes soulevés par la multiplication des émetteurs privés ont suffi à préserver la légitimité de l’exclusivité. Empêchant la concurrence entre émetteur et la diffusion de la défiance en période de crise, le monopole d’émission relevait alors de l’intérêt général. Néanmoins le monopole légal reste partagé avec les Banques Départementales jusque 1848. L’auteur s’attache alors à décrire le fonctionnement d’un système complexe dans lequel la Banque de France joue le rôle d’émetteur de premier ordre devant tenir compte cependant des contraintes sous-jacentes à l’action des émetteurs locaux. Finalement, la lente évolution vers le monopole national est accélérée par les évènements de 1848 mais c’est avant tout la supériorité de la Banque de France en matière de moyen, de réputation, de pouvoir et d’alliance qui rendit ce choix possible.


La troisième partie présente les différentes politiques économiques de la Banque en prenant soin de définir les contraintes, moyens et enjeux sous-jacents. En premier lieu, l’auteur nous présente un ensemble de débats d’époque. On y retrouve la question du monopole d’émission associée au problème de spéculation, de cycle et de crise. On lit avec intérêt les débats autour du capital de la Banque, de sa disponibilité et de sa partie allouée en titres du Trésor. On y redécouvre la question de la variabilité des taux d’intérêts et des politiques contra-cycliques. En outre, les historiens de la pensée économique trouveront ici de précieuses informations aisément exploitables dans de plus larges problématiques. Yves Leclercq nous plonge ensuite dans les rapports qu’entretiennent la Banque et le pouvoir politique. La Banque conserve une certaine indépendance bien que consentant quelques faveurs à l’Etat sans pour autant remettre radicalement en cause ses principes fondamentaux. Dans un troisième chapitre, l’auteur décrit la politique générale de la Banque. Il en expose les principes d’émission, de circulation et d’encaisse tout en tenant compte des exigences des régimes bimétallique, jusque 1873, puis monométallique. Le quatrième chapitre nous offre une description historique du rôle de préteur en dernier ressort. Outre la présentation des crises majeures (faillite de l’Union Générale en 1882, difficultés du Comptoir d’Escompte de Paris), on constate que la Banque a pleinement conscience du principe de sauvegarde de l’intérêt général. Aussi agit-elle discrétionnairement pour éviter l’aléa moral consécutif à l’application de ce principe. Enfin, dans un dernier chapitre nous apprenons que la politique de crédit de la Banque n’est pas exclusivement parisienne. Celle-ci tend en effet à se déplacer progressivement en province via le réescompte des maisons locales de crédit. En outre cette évolution concomitante au mouvement général des banques de dépôts incite la Banque à élargir sa gamme de prêt, que ce soit par l’escompte direct (sans l’intermédiaire d’une banque locale) ou l’acceptation d’avance sur certains titres provinciaux.


Quel bilan peut être fait de ce travail ? Bien qu’austère parfois, l’ouvrage n’en demeure pas moins une source informationnelle majeure. Il offre une lecture nouvelle et structurelle de la Banque de France en remettant ses choix politiques et économiques dans un contexte plus général. En outre, l’exposition des nombreux débats encastre les choix de l’institution dans les problématiques politiques de l’époque. Nous pouvons par exemple nous rendre compte de l’influence indirecte de l’Etat, qui, malgré les statuts de la Banque, use régulièrement de son fort pouvoir de négociation pour guider la Banque dans ses choix.


Néanmoins cette œuvre n’est pas exempte de critique. Le plan de l’ouvrage est un peu confus. Par exemple, une même question peut être posée à deux reprises avec soixante-dix pages d’intervalle. Bien que le contexte de dissertation ne soit pas identique, les démonstrations utilisées sont souvent les mêmes et laisse une impression de répétition troublante. En corollaire, l’ouvrage peut parfois manquer de continuité, d’où sa difficile lecture.


Le chercheur lira l’ouvrage avec envie car celui-ci lui fournira sûrement les informations qu’il recherche quant à la politique de la Banque, son fonctionnement, ses mécanismes ou sa gestion. En revanche, le caractère descriptif de l’œuvre risque de repousser certains lecteurs. De même, sans démonstration ni thèse spécifique, l’auteur entre dans une neutralité qui empêche l’émergence de nouvelles questions sous-jacentes au système décrit. En outre, c’est souvent l’envie de développer une idée, aussi simpliste soit elle, qui amène la conceptualisation et l’explication d’un phénomène. Dès lors, la seule description des faits a l’avantage de l’objectivité mais peut aussi devenir une source d’inconvénients