Dans les pratiques d’intersection Arts et Sciences, ce qui domine le plus souvent, ce sont 3 choses : d’une part les confusions entre Sciences et Techniques ; d’autre part, la subordination de l’art au couple Sciences-Techniques ; enfin, une étrange absence de culture générale susceptible de donner aux travaux une surface aventureuse (pour le regard) et mémorielle (quant à l’histoire de l’art), à la fois. De là, tant de "petites physiques" simplement ludiques qui sont prises pour des œuvres d’art, alors qu’elles se contentent de traduire un résultat technique en amusement pour le spectateur. 

 

C’est tout autre chose que nous présentent François Loriot et Chantal Mélia, deux artistes des Pays de la Loire, engagés depuis longtemps dans une œuvre artistique pour laquelle la technique, indispensable, est mise au service d’un projet qui ne confine ni à l’utile, ni au ludique. 

 

L’œuvre assume pleinement son caractère plastique en jouant pourtant avec la technique. Les artistes inventent force dispositifs pour l’œil, pour que l’œil travaille à la composition de mondes. Elle s’épanouit dans la mise en œuvre critique de l’histoire de l’art : anamorphoses à partir d’objets, grotesques déplacés, aléas contrôlés et vanités réactualisées. Elle use de techniques employées avec raffinement : dispositifs scopiques, filtrage de la lumière, miroirs, réflecteurs divers et leurres viennent ordonner des objets de consommation courante abandonnés, objets cassés et emballages perdus, et ici recyclés en formes qu’illuminent des téléviseurs et des caméras de surveillance. Elle plante l’œuvre d’art au cœur même de ces dispositifs, en donnant à vivre et percevoir des chocs visuels, des compositions scéniques, des illusions d’optique qui, finalement, ne doivent rien à des sophistications numériques ou techniques, mais tout à des écarts produits par rapport aux habituels partages du sensible. 

 

Dans ces œuvres, le spectateur n’est pas séduit et soumis à des éblouissements techniques. S’il est interloqué, c’est de ne pas avoir saisi la poésie des mises en œuvre artistiques, l’ironie des agencements qui suscitent des univers magiques, le déplacement que peut provoquer une infime installation qui ne trompe nos yeux que pour nous apprendre à mieux voir et à voir autrement ce que nous croyons savoir. Aussi l’œil du spectateur ne cesse-t-il de passer de ses habitudes défaites par les montages techniques au chaos de ce qu’il voit en premier lieu, puis de ce chaos au rétablissement d’un ordre autre, voulu par les artistes. 

 

Mais on peut se demander aussi si les artistes ne déploient pas un autre parti pris dans l’exposition commentée ici. Après tout, nous sommes habitués à chercher derrière l’ombre des choses la vérité qu’elles cacheraient. Or, ici, tout est visible : le processus, le procédé et le résultat. Comme s’il n’y avait rien, jamais, de caché ; comme si tout était toujours visible ; à une condition : que nous apprenions à voir. Il faut dire aussi que le langage a sa part dans les réalisations, puisque les titres des œuvres poussent à s’inquiéter du voir : Le leurre et l’agent du leurre, Soloeil, Vanité, Détournement de fonds, Jour de fête, Le vrai du faux, … Le spectateur est prévenu, il faut s’émerveiller d’être trompé. 

 

L’art, dans ce cas, anticipe le détournement des potentiels techniques à des fins humaines.