Dans le sillage du ''Da Vinci code'', Alexandre Adler nous propose un parcours historique et initiatique érudit. Passionnant bien que parfois approximatif.

Le Da Vinci code, et son succès à faire pâlir tout éditeur normalement constitué n’a pas poussé hors sol. Les quelques tentatives de procès en plagiat qu’il a subies en témoignent.

Avant lui, des succès comme l’érudit Pendule de Foucault, d’Umberto Eco ou même Qumran, d’Eliette Abécassis, ont montré l’intérêt du public pour ces romans policiers mêlant le Christ, les manuscrits de la Mer morte, les Templiers, les Rose-Croix et tous les mystères de ce type.

Des essais plus ou moins fantaisistes, dont l’Enigme sacrée, best-seller anglo-saxon signé Baigent, Leigh et Lincoln dans les années quatre-vingt, les ouvrages de Gérard de Sède en 1976 (Les Templiers sont parmi nous, ou l’Enigme de Gisors), la littérature occultiste consacrée aux Cathares, gnostiques, Esséniens et au fameux trésor de Rennes-le-château, forment le terreau sur lequel a éclos l’incroyable succès populaire et commercial de Dan Brown.

C’est ce terreau qu’Alexandre Adler, historien, journaliste, chroniqueur, éditeur, homme de talents multiples, nous propose de prendre comme objet historique et d’examiner à travers deux questions :
- peut-on tracer l’histoire de ce grand récit mystique et occultiste qui naît, sans doute, avec Chrétien de Troyes et culmine, pour le moment, avec Dan Brown ?
- que peut nous dire l’historien à propos des thèses, hypothèses, affirmations et énigmes qui émaillent ce récit ?

Ce travail a initialement pris la forme d’une série d’émissions diffusées sur France Culture entre août et septembre 2006, et à dire vrai, le style s’en ressent : l’ouvrage est un peu léger par endroits, les chapitres ont quelques redondances. Mais pour autant, il mérite nettement la lecture.

D’où sort cette fantaisie du Da Vinci code qui, on le rappelle, mêle joyeusement le Christ, Marie Madeleine et leurs descendants, les rois de France et leurs trésors disparus, les Templiers et les Rose-Croix, Rennes-le-château et Saint-Sulpice ?

Pour répondre à cette question, Alexandre Adler nous propose de remonter le fil comme on débobine une pelote de laine. Et il exhume, de manière très convaincante, une généalogie - on dirait presque une archéologie - du Da Vinci code, qui passe par l’Enigme sacrée, déjà mentionnée, remonte vers un fantasque et déplaisant personnage, mythomane et collabo, nommé Plantard, inventeur du Prieuré de Sion. Il nous conduit ensuite au célèbre abbé Bérenger Saunière, curé de Rennes-le-château, dont nul ne sait s’il découvrit un trésor, mais dont il est certain qu’il bénéficia d’extraordinaires subsides, à même de lui permettre d’effarantes constructions, et qu’il reçut, dans sa petite cure des Corbières, la visite de nombre de personnages importants de cette époque. Cette remontée du temps nous permet de croiser Maurice Leblanc (et son Aiguille creuse) et Jules Verne, puis nous entraîne dans l’histoire de l’Empire, de l’Ancien régime, des Jansénistes, des Rose-Croix, des Templiers, du cycle du Graal, de Charlemagne, et même du Judaïsme Gallo-Romain. Ce dernier fut bien plus important qu’on ne l’imagine parfois puisque – on l’ignore bien souvent – Hérode Agrippa, le fils du sinistre Hérode le Grand (oui, celui du massacre des innocents), fut exilé en Gaule par l’empereur Tibère et s’installa, avec toute sa famille et sa cour, à Vienne, alors ville très importante. Il ne fait (presque) aucun doute pour l’auteur que Marie Madeleine vint aussi effectivement en Gaule, dans cette importante communauté juive, et donna naissance au récit des Saintes-Maries de la Mer.

Au fil de ce récit rocambolesque et captivant, Adler joue à l’historien, écartant les hypothèses les plus fantaisistes (comment imaginer que le Christ ait pu se marier et avoir des enfants quand on connaît la violence des polémiques contre les premières communautés chrétiennes et le nombre d’arguments qui furent alors échangés ? Il est certain que cette accusation aurait été portée alors par les adversaires des chrétiens), soulignant les zones d’ombre persistantes, et apportant parfois des rappels bienvenus (témoignages concordants sur le fait que trois chevaliers s’enfuirent avec le "trésor" des Cathares la veille de la prise de Montségur), rappelant opportunément des mystères complémentaires (le chef Wisigoth Alaric, qui pilla Rome, est mort et enterré en un endroit inconnu, peut-être à proximité des Corbières, peut-être dans les fameux Monts Alaric, sans doute avec son trésor dans lequel pourraient bien se trouver quelques objets du Temple de Jérusalem pris à Rome par les Wisigoths…).

Plus important, et plus probant, il dévoile quelques enjeux historiques aujourd’hui oubliés, qui pourraient bien être la source travestie de certaines des convictions qui persistent aujourd’hui dans les communautés occultistes. C’est ainsi que si l’hypothèse d’un héritier caché des rois mérovingiens est rapidement écartée, il est intéressant de noter que cette hypothèse a fleuri dans des milieux proches d’un catholicisme gallican, lui-même proche des protestants anglicans, et que ce mouvement de pensée fleurit lui-même dans une Europe ravagée par les Guerres de religion comme une tentative d’instaurer une sorte de proto-humanisme chrétien.

Livre captivant, donc, par les questions historiques qu’il pose, par les précisions qu’il apporte, et par les données historiques qu’il verse à la connaissance du grand public. Mais, hélas, livre bien léger – voire dilettante - à certains égards, qui fait regretter de ne pas disposer du grand ouvrage d’histoire que mérite un tel sujet :

- Et tout d’abord, une question s’impose à la lecture de cet ouvrage : y a-t-il un récit caché, une sorte de tradition cryptée, qui se serait déployé au fil des siècles, ou y a-t-il plus probablement, comme le suggère Umberto Eco dans Les limites de l’interprétation, le travail incessant d’ "interprètes" qui font feu de tout bois, en l’espèce de toute ombre de mystère, pour se conforter dans leurs croyances ?

- Une seconde question est soulevée par le livre, sans y trouver sa réponse. Alexandre Adler soutient de manière convaincante que ces "rumeurs" sont construites par travestissements successifs de réalités historiques complexes et importantes, engageant notamment les rapports entre les grands monothéismes, les Guerres de religion, les rapports entre la Science, la Religion et l’Etat. Mais il échoue à proposer une vision historique cohérente et complète de ces affrontements, de leurs enjeux, de leurs enchaînements et surtout des processus par lesquels ils se sont ainsi transformés et insérés dans un discours qui a pris une telle importance narrative depuis quasiment le XIXe Siècle. Il ne l’essaye même pas, à dire vrai. Mais cette tâche semble nécessaire et importante, au vu de ce que le livre esquisse.

- On sent bien, enfin, la conviction de l’auteur que le goût du public pour cette matière, la persistance de ces histoires et leur évolution souterraine disent quelque chose d’essentiel sur les aspirations de l’Occident, et singulièrement de l’Occident moderne. La recherche de sens, la recherche de nouvelles formes de spiritualité, le rapport au passé, au savoir, aux institutions nationales ou religieuses sont visiblement engagés dans cette aventure. Mais au-delà de constats simples (intérêt pour l’occulte, recherche spirituelle, défiance envers les institutions), le sens historique de cet appétit n’est pas creusé, pas cerné, pas interprété. Et là encore, on reste sur sa faim.


On ne jettera pas la pierre à Alexandre Adler : le projet qu’il suggère justifierait à lui seul les travaux méticuleux de nombreux historiens. Des intuitions, des analogies, des hypothèses abondent dans l’ouvrage, qui mériteraient, toutes, un travail sérieux de longue haleine. Ce livre se contente donc de déblayer le terrain pour de nombreux travaux à venir. Mais le terrain qu’il déblaye révèle une somme de trésors, de monuments et d’énigmes qui suscitent la plus vive gourmandise. Et qui font passer, indéniablement, un très bon moment de lecture.


--
Crédit photo : David Reeves / Flickr