La revue Problèmes d’Amérique latine consacre son numéro du printemps 2010 à l’un des thèmes les plus épineux du continent latino-américain, celui de la violence et ses rapports avec le crime organisé.

Tout au long des 93 pages qui constituent ce numéro 76 de Problèmes d’Amérique latine, l’équipe d’universitaires coordonnée par le sociologue Gabriel Kessler se propose de présenter un panorama général du crime organisé en se penchant sur la situation non seulement mexicaine ou colombienne, les deux exemples les plus divulgués par la presse, mais aussi sur le cas du Nicaragua ou du Brésil.  Le projet semble ambitieux compte tenu des différents visages que peut revêtir l’activité criminelle et l’ampleur du concept, mais on se rend compte très vite que les cinq articles s’intéressent chacun à un domaine précis : le trafic de drogue, d’une part, et celui des armes et des personnes, d’autre part.

L’introduction du dossier par Gabriel Kessler résume et présente clairement les enjeux du problème : après avoir souligné le rapport entre l’existence du crime organisé et la proximité géographique entre les États-Unis et le continent latino-américain, il met en lumière les effets pervers de la politique punitive instaurée par les différents gouvernements avec la participation des États-Unis (plans Colombia et Mérida), politique qui, loin de juguler le problème, n’a fait que le déplacer géographiquement, – ce que l’on appelle l’“effet ballon”. Selon l’auteur, on observe un renforcement de l’infrastructure mise en place par les acteurs des trafics de façon à mieux déjouer la politique répressive mise en œuvre par les gouvernements et, parallèlement, l’implication dans le conflit des forces armées officielles ou officieuses. Ainsi, l’accent est mis sur l’“effet boule de neige” entre la violence criminelle et la violence d’État, chacune se justifiant et se renforçant par l’existence même de l’autre. Cette tendance répressive commune à la plupart des politiques des gouvernements sur le continent latino-américain “n’est pas indépendant du degré de violence : une politique guerrière produit quelque chose qui ressemble à la guerre”, affirme Gabriel Kessler, alors même que la Commission latino-américaine sur la drogue et la démocratie (dirigée par les ex-présidents Gaviria (Colombie), Cardoso (Brésil) et Zedillo (Mexique) préconise, pour diminuer la violence et désarticuler l’économie reliée  au narcotrafic, de légaliser certaines substances.

Dans le second article de la revue, Marcelo Bergman  se penche sur “l’économie du narcotrafic au Mexique et en Colombie, la logique de ce commerce et le comportement de ses acteurs“, et, après avoir présenté des données précises concernant la consommation de drogue aux États-Unis et dans différents pays d’Amérique latine et l’impact économique au Mexique et en Colombie des revenus provenant de la drogue, il revient sur certains des aspects déjà annoncés dans l’introduction, en particulier sur les conséquences de la politique antinarcotique des États-Unis dans la région en montrant qu’elle a favorisé la concentration économique des organisations criminelles de façon à permettre à celles-ci d’affronter les pertes économiques induites par les contrôles policiers.

Pour sa part, Michel Misse se tourne vers le cas brésilien et souligne le rapport entre l’augmentation des crimes avec violence dans les principales villes du pays et l’existence de “marchés illégaux en milieu urbain”. Ainsi l’auteur s’intéresse-t-il au jeu de bicho – dont le lecteur a pourtant du mal à comprendre le fonctionnement –, aux “commandos” et leur rôle dans l’organisation du trafic de drogue dans les ”favelas” et à la présence de ”milices” plus ou moins liées au monde politique. Le cas des milices est, par ailleurs, particulièrement intéressant puisque, si leur existence se justifie du fait de l’impuissance de l’État pour contrôler le trafic de stupéfiants dans les quartiers pauvres des grandes villes, ces milices, tout en recourant à la violence contre les trafiquants de drogue, n’hésitent pas néanmoins à entrer en transaction avec ceux-ci.

L’article de Dennis Rodgers, pour sa part, se présente sous la forme d’un échange entre l’auteur et un ancien membre d’une “mara“ nicaraguayenne dont il retrace le parcours afin d’insister sur les rapports entre ces bandes de jeunes d’Amérique centrale et le crime organisé. L’article, qui souffre par ailleurs d’une traduction trop souvent maladroite, conclut de l’évolution du personnage qu’il est symptomatique de l’“évolution d’un projet révolutionnaire collectif et solidaire à une société néolibérale dont le leitmotiv est l’apothéose d’un chacun pour soi darwinien”, ce qui ne semble pas avoir un grand rapport avec le thème abordé.

Quant au dernier chapitre consacré au crime organisé, il est le fruit du travail du professeur Rodolfo R. Casillas et porte plus spécifiquement sur ”les modalités de la traversée du Mexique par les migrants centraméricains et […] l’évolution de leur vulnérabilité“ en s’attachant à une pratique chaque fois plus courante, celle de l’enlèvement. Après avoir rappelé la politique de contention des migrations appliquée par les États-Unis et le Mexique, l’auteur affirme le rapport avec l’émergence d’entreprises, de groupes sociaux mais aussi de réseaux délictueux et s’attache en particulier aux mécanismes de transfert d’argent (les remesas) par des sociétés comme Western Union, sans que l’on comprenne exactement le rapport avec le crime organisé. La dernière partie de l’article présente les différentes modalités d’enlèvement organisé par les passeurs (les polleros) et s’appuie sur différents témoignages visant à montrer la vulnérabilité des migrants centraméricains.

Ainsi, ce numéro de Problèmes d’Amérique latine a le mérite de souligner très clairement le lien de cause à effet entre la politique répressive qu’appliquent la plupart des pays latino-américains et l’existence même de la violence que ces politiques sont censées combattre. Il n’en reste pas moins que le numéro souffre d’une certaine hétérogénéité quant à l’intérêt des articles qui le composent.

La défense des indiens et de leur environnement : des discours à la réalité

Ce numéro 76 accorde par ailleurs une vingtaine de pages à l’étude que Jean-Pierre Lavaud, professeur de sociologie à Lille I, consacre aux politiques mises en place par les gouvernements de l’Équateur et de la Bolivie et les contradictions entre le discours officiel de défense des peuples indigènes et du respect de leur environnement et la réalité des faits. L’étude, bien documentée, dénonce grâce à des exemples précis le comportement trop souvent autoritaire et cynique de ces apôtres du socialisme du XXIe siècle dont les pratiques n’ont finalement rien à envier, quant à la destruction des territoires indigènes et de l’environnement, à celles des gouvernements qu’ils accusent d’être vendus à l’impérialisme. De l’exploitation pétrolière à l’exploitation de la forêt en passant par l’implantation de plantes transgéniques et la production d’agrocarburants, le constat est sans pitié et pose la question du prix à payer pour ces gouvernements qui risquent de perdre l’appui des populations locales qui les ont hissés au pouvoir.