Compte rendu de la conférence "2011, l’année de la régulation financière européenne ?", du mardi 25 janvier à la Maison de l’Europe, en partenariat avec l’IEFP (Institut pour l’Éducation Financière du Public)
 

2011 sera une année clé pour la réforme financière en Europe. Les trois nouvelles instances européennes de supervision des banques, des assurances et des marchés seront opérationnelles dès Janvier. De nouvelles règles concernant les bonus seront appliquées. La directive sur les hedge funds (les fonds spéculatifs) entrera en vigueur et les états membres devront se préparer à l’appliquer au plus tard en 2013. Les nouvelles règles prudentielles concernant les banques (accord de Bâle III) seront transposées. La directive sur les marchés d’instruments financiers sera révisée. Un cadre européen pour traiter la question des établissements financiers pouvant présenter un risque systémique sera mis en discussion. La consultation publique engagée par la Commission sur les agences de notation devrait déboucher sur de nouvelles propositions. Une révision des règles concernant les pratiques d’abus de marchés sera engagée visant à renforcer les pouvoirs d’enquête et de sanctions des autorités de régulation financière.

Ces réformes de la réglementation et de la régulation des services financiers visent à tirer les leçons de la pire crise financière qui ait eu lieu depuis celle de 1929. Sont-elles à la hauteur de l’enjeu ? Permettront-elles à l’Europe d’assurer la stabilité financière et de prévenir les crises de demain ? Sont-elles de nature à remettre la finance au service d’une croissance durable en Europe ?

Avec Pascal CANFIN, député européen (Europe Écologie) membre de la Commission de affaires économiques et monétaires ; Jean-Paul CAUDAL, directeur du département supervision bancaire et comptable, Fédération Bancaire Française ; Martin MERLIN, chef de l’unité Politique des services financiers, DG Markt, Commission européenne et Nicolas VERON, Senior Fellow Institut Bruegel.
Le débat a été animé par Bernard MARX, conseiller pour les questions économiques et internationales, Institut pour l’Education Financière du Public
 

Plus de deux ans après la chute de Lehman Brothers, la régulation du système financier reste un enjeu clé de la sortie de crise. Cet enjeu est d’autant plus important pour l’Europe qui, tout en étant confrontée à une crise de la dette souveraine, s’interroge sur l’avenir de l’euro.

Historiquement, les tentatives de régulation du système financier ont été réfrénées par l’argument classique affirmant que les avantages dus à plus de contrôle ne dépasseraient pas les coûts. Or la crise a démontré le contraire : tous s’accordent pour dire que les coûts d’une crise financière ne peuvent, et ne doivent, plus être absorbés par l’économie. Un processus de régulation financière a donc été lancé et la question qu’on se pose aujourd’hui est où en est-on ?
 
L’objectif de l’Europe, mais aussi du G-20 et du FSB (Financial Stability Board), est d’éviter l’apparition de nouvelles crises, ou du moins de réduire l’ampleur des crises futures. L’enjeu principal est de réformer le système financier, mais aussi de renforcer son système de surveillance et de réglementation. Un second enjeu est de recadrer le rôle du système financier afin qu’il se concentre sur le financement de l’économie, son but premier qu’il a pourtant négligé au détriment de la spéculation. La finance doit accompagner et soutenir un dynamisme de croissance nouveau en Europe.

Un état des lieux de la réforme de la régulation financière européenne, par M. Merlin de la Commission Européenne

Dès 2007, l’Europe a répondu à la crise en initiant une réforme du système financier et une solidification de son système de supervision, dans la droite lignée de ce qui a été proposé par le G-20 et le FSB. L’objectif était alors d’adopter un ensemble de 25 textes législatifs au bout de 6 ans et que tous les pays membres aient appliqué ces lois d’ici 2013. Ce package se divise en 5 grands thèmes.

(1)    Renforcer la réglementation existante, particulièrement la réglementation prudentielle bancaire
Des directives ont été adoptées afin de mieux maîtriser les risques des banques (risque de crédit, risque de marché, risque de concentration) et afin de contrôler la rémunération versée (ce qui permet aussi de réduire la prise de risque individuelle).
Les accords de Bâle III, récemment adoptés par le Comité de Bâle, sont en cours de transposition dans le droit européen. Ils visent à augmenter la quantité et la qualité des fonds propres mais aussi à améliorer la gestion du risque de liquidité.

(2)    Étendre le champ de la réglementation et de la supervision à d’autres secteurs et acteurs financiers
Au-delà de la régulation bancaire, il faut aussi renforcer le contrôle des agences de notation qui ont joué un rôle majeur dans la crise ; des hedge funds afin d’obtenir plus de transparence sur leur niveau d’endettement ou sur leurs activités ; et aussi des produits dérivés OTC (de gré à gré) afin de réduire le risque systémique en exigeant une compensation centrale auprès d’institutions (chambres de compensation).

(3)    Renforcer la supervision financière
En janvier 2011, l’Europe a mis en place une nouvelle entité en charge de la supervision macroprudentielle, le Comité européen du risque systémique (CERS). Il est en charge de l’analyse des risques macroéconomiques auxquels est exposé l’ensemble du système financier. Le Comité devra émettre des « alertes précoces » afin d’avertir les autorités de contrôle nationales ou les gouvernements en cas de risque de bulle financière ou de choc potentiel. Cependant, cette autorité n’a pas de pouvoir d’injonction ou de sanction.
Un deuxième axe est la mise en place d’autorités européennes de supervision (une pour les banques, une pour les organismes d’assurance et une pour les valeurs mobilières) qui sont en charge de la surveillance des autorités nationales (il s’agit en quelque sorte de « superviseurs de superviseurs »).

On note que ces trois premiers piliers du package de régulation financière européenne se focalisent sur la prévention de crise.

(4)    Mettre en œuvre un processus et des outils de gestion de crise
L’intervention des états lors de la crise afin de recapitaliser les banques n’est plus envisageable. La Commission Européenne et le Parlement sont en cours de discussion afin de proposer de nouvelles solutions et manières d’intervenir en cas de crise. Une première question concerne la rapidité d’intervention des états ou des autorités en cas de crise. Une deuxième concerne les possibilités de prise de contrôle, de liquidation ou de réorganisation d’une entité financière si nécessaire. La Commission espère aboutir à des mesures concrètes d’ici l’été 2011.

(5)    La protection des consommateurs et des investisseurs
Un dernier point consiste à renforcer la protection des titulaires de compte en banque et des petits investisseurs notamment en garantissant une meilleure restitution des fonds en cas de défaillance d’une banque européenne.

Enfin, en plus de ces 5 grands thèmes, la Commission s’interroge aussi sur le rôle d’une banque pour la société. Un sujet à venir sera celui de la réduction de la taille des entités bancaires dites « too big to fail ».



Une analyse historique des facteurs de la crise, par Jean-Paul CAUDAL de la Fédération Bancaire Française (FBF)

Nout Wellink, président du Comité de Bâle, a affirmé que la crise était due en partie à un excès de liquidité sur les marchés financiers, à un levier d’endettement trop élevé et à une sous-capitalisation des banques. Mais est-ce le bon diagnostic ?
Dès avril 2007, New Century Financial Corporation, l’établissement de crédit américain spécialisé dans les subprimes s’est placé sous la protection d’une procédure Chapter 11. En juillet, deux hedge funds de Bear Sterns détenant des titres subprimes font faillite. BNP Paribas ferme temporairement trois de ses fonds d’investissements détenant des actifs immobiliers américains titrisés. En septembre, la panique traverse l’atlantique alors que des milliers d’anglais font la queue devant la banque anglaise Northern Rock pour retirer leur dépôts. Spécialisée dans le crédit immobilier de long terme, Northern Rock se finançait alors principalement sur le marché monétaire de court terme. L’état anglais est obligé d’intervenir en lui garantissant un prêt. Aux États-Unis en 2008, la banque Bear Sterns est rachetée de justesse par JP Morgan afin de résoudre sa crise de liquidité. Puis en septembre, Lehman Brothers fait faillite et déclenche le début d’une crise systémique et d’un blocage général des marchés financiers.
Pour conclure sur cette analyse historique, la solution à cette crise ne réside pas seulement dans des mesures visant à augmenter les fonds propres des banques. Le décalage de maturité entre les sources de financement des banques (leurs ressources) et leurs actifs (leurs emplois) doit être réduit afin de limiter les problèmes de liquidité.
 

Ce qui se passe au Parlement européen, le point de vue du député européen (Europe Écologie) Pascal CANFIN

Le premier texte voté a été celui sur les bonus, un sujet par ailleurs très médiatique et qui a suscité de nombreux débats. Les 4 partis majeurs du Parlement s’étaient mis d’accord sur 3 mesures principales :
-    l’allongement de la durée de versement des bonus de 3 à 5 ans ;
-    le versement d’une rémunération variable proportionnelle au résultat collectif de la banque (et non aux seules performances individuelles) ;
-    la définition d’un chiffre dit « raisonnable » limitant la part de la rémunération versé en bonus (par exemple 50%).
Or, ce troisième point de la mesure a été catégoriquement refusé par les états membres. La France notamment, s’est retrouvée en dernière position, après l’Angleterre, à accepter la directive ne comprenant même pas la mention du chiffre en question. La directive adoptée aujourd’hui contient la mention d’un chiffre « raisonnable » qui reste à être déterminer. Or que doit-on penser aujourd’hui du bonus que pourrait obtenir en 2011 François Pérol, président du directoire de BPCE, qui est prévu à 200% de sa rémunération fixe (1,1 million d’euros). Est-ce un pourcentage « raisonnable », versé en plus à une entité qui n’a pas encore remboursé son prêt à l’état français ?

Cet exemple illustre un problème auquel le parlement doit faire face : celui d’une double position des gouvernements qui affirment vouloir réformer le système financier alors qu’en coulisse, ils ralentissent le processus (exception faite de l’Allemagne).
Par ailleurs, les bonus représentent un risque systémique. Ces montants excessifs ont attiré une énorme part des ingénieurs qui vont faire du trading dans les grandes banques et s’éloignent des métiers au cœur de l’économie réelle. Un retour à des niveaux acceptable est primordial.

Un autre exemple concerne le système de supervision. La mise en place de nouvelles autorités est certes une avancée mais la question de leur capacité à surveiller et à réellement comprendre ce qui se passe dans le back office des banques reste à prouver. Il faut que ces entités comprennent ce qu’elles supervisent. L’exemple le plus interpellant est le fait que l’on accepte que les banques aient leurs propres modèles de mesure des risques, des modèles souvent complexes et que les superviseurs n’arrivent pas à interpréter. Comment surveiller le risque d’une banque si on ne peut pas correctement mesurer son niveau de risque ?

Un troisième exemple concerne la réglementation des ventes à découvert. Une solution proposée par le parlement est la mise en place de systèmes de collecte d’information afin d’avoir une meilleure traçabilité et transparence des transactions financières. Cette position défendue par le Parlement est bloquée par les états alors qu’il existe déjà des bases de données aux États-Unis et à Hong Kong.

Enfin, un quatrième problème est celui du lobbying bancaire et parallèlement de l’absence d’un « Greenpeace de la finance » en face. La majorité des grandes causes ont des associations qui peuvent apporter une contre-expertise aux lobbys or cela n’est pas le cas en ce qui concerne la régulation financière. Un appel a été lancé afin de mettre en place un groupe de contre-expertise.



Les enjeux de la régulation financière européenne, le point de vue d’un économiste Nicolas Véron, du think tank européen Bruegel

Aujourd’hui, l’Europe n’est pas encore sortie de la crise et le système bancaire est toujours malade. Elle est confrontée à un double enjeu : celui de résoudre la crise (vision de court terme), tout en mettant en place des mesures afin d’éviter des crises futures (vision de long terme). Malheureusement, nous n’avons pas beaucoup progressé depuis deux ans, la réponse européenne a été trop lente et la finition de l’ensemble du package de lois européenne pour 2013 est peu probable. Cinq questions doivent être posées afin de juger si les réponses législatives à la crise sont adaptées et permettront d’éviter de nouvelles crises.

(1)    Les mesures proposées permettent-ells d’augmenter la stabilité ?
Une réponse a été apportée en ce qui concerne l’augmentation des fonds propres des banques et de la liquidité. Le thème de la gestion des crises est en cours. Le problème des entités « too big to fail » est un sujet délicat qui est pourtant peu mis en avant. Que penser par exemple de la concentration du secteur bancaire français ? BNP détient aujourd’hui 3,5 fois le PIB de la France et en cas de faillite, on ne pourrait même pas la sauver. Ne doit-on pas considérer, comme cela est le cas aux USA (Volcker rule) une séparation des activités des banques afin de réduire leur taille ? Or ce débat n’a pas lieu en Europe.

(2)    Permettent-elles d’augmenter la protection des consommateurs ?
Les nouvelles mesures proposées vont-elles réellement permettre de protéger les consommateurs ? Un exemple est le fait que les livrets A en France rémunèrent moins les investisseurs que l’équivalent aux USA.

(3)    Qu’en est-il de l’intégration européenne ?
Aujourd’hui le système européen est incomplet. On a un marché commun mais pas de réglementation commune.

(4)    Le système financier va-t-il être plus au service de l’économie et de la croissance ?
Un exemple concerne le financement des PME. Des études ont montré que ce sont souvent les nouvelles entités bancaires (de petite taille) qui les financent le plus. Or en Europe, on n’a plus de banques jeunes et préfère renforcer la concentration des grandes banques actuelles.

(5)    Quel va être l’impact des nouvelles mesures sur la compétitivité sur système financier européen ?
Enfin, on ne peut pas omettre la question des effets de la régulation sur la compétitivité du secteur financier qui risquent de pousser les acteurs financiers hors du territoire européen. Une question essentielle est quelles sont les avantages pour l’Europe à garder une place financière forte ? Doit-on privilégier la compétitivité à la stabilité du système ?

Cette présentation s’est conclue sur des questions posées par le public. Quelques remarques supplémentaires méritent d’être soulignées.

M. Caudal a rappelé que la crise avait mis en avant l’existence d’un shadow-banking system et par conséquent qu’il était nécessaire de contrôler aussi les entités non-bancaires qui pratiquent des activités bancaires. M. Canfin a répondu en rappelant l’importance de contrôler les paradis fiscaux et a suggéré à la FBF de se positionner sur ce sujet qui n’est pas suffisamment mis en avant d’après lui. Aujourd’hui, BNP Paribas détient environ 200 filiales implantées dans des paradis fiscaux et qui contournent la réglementation.
M. Marlin a noté que la crise avait mobilisé 30% du PIB de l’Europe en plan de sauvetage dont 13% qui ont été absorbés. Ces montants ne sont pas acceptables et la Commission s’efforce de proposer des solutions afin d’éviter d’utiliser l’argent des contribuables pour sauver le système financier.
M. Canfin a ouvert le débat sur la possibilité d’interdire certains produits bancaires. Il a par ailleurs noté que la question de fond était celles des inégalités qui engendraient une dépendance des plus pauvres vis-à-vis des crédits. L’endettement a ainsi fortement augmenté avec les inégalités et un débat politique doit être mené en parallèle à la régulation financière.
Un autre thème mis en avant est celui des prêts accordés par la BCE aux banques et de la bonne utilisation de cette mise à disponibilité de liquidité. Une solution proposée par M. Canfin serait de différencier les taux préférentiels accordés aux banques en fonction de l’utilisation de cet argent. Cela devrait se faire lors du remboursement du prêt. Or la question qui en découle est qui peut juger de la bonne utilisation des prêts ?
Une question essentielle qui a été posée par le public est pourquoi les Etats-Unis mettent en place des lois afin de séparer les activités spéculatives des banques de leur rôle de banque de dépôt alors que l’Europe ne considère pas ses solutions. De même que faire des banques qui détiennent des parts de hedge funds ou vice versa ? Ce sujet reste à débattre au sein de la Commission.
Enfin M. Merlin a noté que la Commission travaillait aujourd’hui sur la question de l’impact de l’ensemble des mesures cumulées sur l’économie et espère proposer une étude d’ici la fin de l’année