Comment promouvoir de vieux clichés sur la différence des sexes sous couvert de psychologie évolutionniste ?

L’envoi du livre de Philippe Gouillou par sa maison d’édition fut accompagné d’un magnifique petit bouquet de roses et une jolie carte parfumée : tout ce qu’il fallait pour disposer la critique que j’allais être à porter un regard bienveillant sur le contenu de Pourquoi les femmes des riches sont belles : programmation génétique et compétition sexuelle. D’autant plus que le titre, en forme d’interrogation provocatrice, laissa croire à la lectrice qu’elle allait enfin tout comprendre sur les rapports homme/femme. Malheureusement, après lecture, je ne pouvais que m’allier au commentaire initial fait par un ami qui se trouvait à mon côté le jour où j’ai reçu l’ouvrage, s’exclamant lorsqu’il a vu le titre “Ce n’est pas vrai ! Je connais plein de femmes moches qui sont mariées à des riches !”.

Le livre de Philippe Gouillou - spécialiste de la psychologie évolutionniste (connu sous le terme Evopsy), et auteur de guides sur les rapports hommes/femmes ou sur l’éducation des enfants – n’est autre qu’un manuel parfait de déculpabilisation pour tous ceux qui tiennent encore aux vieux clichés et stéréotypes à propos des femmes et des hommes. Voici quelques “perles” caractéristiques d’autres qui traversent le livre du début à la fin : “Tous nos sens et toutes nos observations nous démontrent quotidiennement que les hommes et les femmes sont extrêmement différents, à tel point qu’on peut se demander comment ils arrivent à se supporter” (bigre ! p. 20) ; “les différences intellectuelles sont … évidentes quand on emploie les tests appropriés … les hommes plus aptes en intelligence visuo-spatiale, les femmes en intelligence verbale … la preuve, le taux de bégaiement est dix fois moins élevé chez elles” (p. 21) ; “L’homme va chercher à propager ses gènes avec le maximum de femmes, tandis que celles-ci vont garder une prudente réserve et essayer de choisir au mieux et à qui réserver leur rareté” (p. 28), ou encore “les hommes distinguent les femmes avec lesquelles ils souhaiteront une aventure de celles avec qui ils voudraient rester” (p. 108). Manifestement, Philippe Gouillou ne connait pas le site Meetic, et ne lit que des études d’Evopsy, et surtout pas d’historiens ; preuve lorsqu’il écrit un peu plus loin que la libération sexuelle dans les années qui ont suivi les deux guerres mondiales était due à un manque d’hommes plus âgés, forçant les femmes à “se plier aux désirs masculins” des plus jeunes (p. 109).

Ce petit détour par ces affirmations étonnantes du livre devrait suffire à permettre désormais à chacun de décider si oui ou non il/elle lira ce livre. Pour ceux qui souhaitent le lire, il y a quand même un certain nombre de critiques qu’on ne peut pas taire. Tout d’abord, le point de départ “scientifique” du livre, à savoir la psychologie évolutionniste. Je reprends ici la définition donnée sur le site www.evopsy.com : “L'hypothèse fondamentale est qu'il n'y a pas que le corps humain qui a été façonné par les millions d'années de Sélection Naturelle, mais que le cerveau (et donc l'esprit) l'ont aussi été. En d'autres termes : nombre de nos comportements et de nos états internes actuels s'expliquent (au sens scientifique) très bien comme étant les résultats d'adaptations aux contraintes environnementales connues par nos ancêtres au cours de l'évolution. Cette hypothèse est maintenant quasi unanimement reconnue comme démontrée”.

Autrement dit, l’Evopsy – basée sur une perspective néodarwinienne – n’est autre qu’une branche de la sociobiologie (“fille” du darwinisme social) qui applique à la psychologie humaine l'ensemble des approches évolutionnistes, basées sur la biologie, et plus précisément dans le cas du livre de Philippe Gouillou, sur la génétique, ce qui est plus inquiétant encore.

Le recours aux travaux en “Evopsy” n’est pas problématique en soi, c’est seulement lorsque ces études sont instrumentalisées afin d’atteindre l’ambition énorme du livre qui n’est autre que de répondre “à cette question très simple : "pourquoi les hommes ne naissent pas égaux ?”. Double bigre ! En 236 pages, le lecteur est abreuvé ainsi d’une série inlassable - et n’ayant pratiquement aucun lien entre eux - de travaux en Evopsy dont le but est de présenter une “vulgarisation … une présentation synthétique des principes et résultats d’une science (l’Evopsy)” (p. 14), qui prouveraient l’influence des gènes sur nos choix hommes/femmes en amour, sur nos décisions d’être infidèles ou pas, d’avoir des enfants et combien ou pas, d’être homosexuel ou pas, ou encore de faire la guerre ou la paix. Vaste programme !

Le nombre impressionnant d’études citées n’est égalé que par le vide béant des soi-disant “preuves” qu’elles apportent. Il n’y a dans cette longue litanie qu’un cercle restreint de travaux en “Evopsy” - ces derniers chapeautés par les sempiternels Richard Dawkins et Edward O. Wilson - et aucune confrontation scientifique avec d’autres études contradictoires ou critiques n’est faite.  Un exemple parmi de nombreux autres, dans son sous-chapitre “De l’intelligence aux autres problèmes”, Gouillou cite ce qu’il appelle l’étude la plus célèbre du lien entre intelligence et détention de ressources économiques, The Bell Curve de Richard Hernnstein et Charles Murray (1994). Or, Gouillou oublie de préciser qu’elle fut aussi la plus critiquée de ce type d’études, non seulement par des scientifiques de renom tel Stephen Jay Gould, mais également par le démantèlement de sa problématique quatre ans plus tard dans l’ouvrage Inequality by Design : Cracking the Bell Curve Myth.  

Après le tapis volant d’études innombrables qui prouveraient tel ou tel trait chez l’homme ou chez la femme, Gouillou consacre les deux dernières parties du livre à ce qu’on pourrait appeler “des recettes de réussite” et à ce qu’il nomme ensuite “Les sujets qui fâchent” (l’homosexualité, la dépression, les perversions sexuelles). Dans “Règles de la trahison”, on découvre comment optimiser sa programmation génétique, par exemple comment avoir recours à une formule mathématique pour choisir son partenaire, comment éduquer ses enfants, ou encore la réponse à la question “pourquoi les femmes aiment les salauds”. Allez, je ne vais pas vous laisser dans une attente pénible, je vais vous dire pourquoi selon Gouillou. Plusieurs raisons dont les deux plus importantes sont tout d’abord la certitude qui habite chaque femme d’être unique ; par conséquent, elle aimerait les salauds car étant unique elle est persuadée qu’elle pourrait le changer en gentil tant qu’il aura de l’estime pour elle par rapport aux autres femmes. La deuxième explication du pourquoi les femmes aiment les salauds réside dans la recherche de l’homme dominant que fait la femme : “or, existe-t-il une meilleure preuve de la force et de la dominance de l’autre que d’accepter qu’il soit salaud avec soi”. Ceci n’est pas une blague, c’est écrit noir sur blanc à la page 168.

Dans “Les sujets qui fâchent”, le lecteur est invité à “penser la stratégie homosexuelle” (différente pour les hommes et les femmes, bien entendu !) qui évolue au tréfonds d’un paradigme soit “parasite” soit d’ “influence prénatale”, de peser le pour et le contre de la dépression, et de se rassurer enfin qu’il/elle n’est pas un pervers sexuel. En conclusion, Gouillou écrit : “On pourrait caricaturer le comportement humain en disant que la femme va rechercher un homme gentil avec des ressources qui s’occupera d’elle et de ses enfants, qu’elle fera tout pour garder, tout en essayant de le tromper pour obtenir les gènes d’hommes moins gentils mais plus virils ou plus intelligents, tandis que l’homme essayera de déjouer cette tromperie, en se cherchant une madone fidèle pour s’occuper de lui et de ses enfants, tout en essayant de la tromper avec le maximum d’autres femmes, sans se faire prendre. Il s’agit bien d’une guerre de tromperies, de mensonges, et d’infidélités” (p. 183).

La caricature n’a pas de place dans un ouvrage se voulant “scientifique”, même s’agissant d’un travail de vulgarisation. Gouillou ne fait que trimbaler d’un bout à l’autre de son texte tous les clichés imaginables sur les hommes et les femmes dans un concentré de “psycho-babble”   qui, franchement, fait peur à lire dix ans après le lancement du 21ème siècle