A en croire le discours ambiant, le bilan de l'humanité n'est pas bien brillant: réchauffement climatique, déforestation, dégradation des milieux.... Le tableau semble bien sombre. Coordonné par deux géographes célèbres (pas forcément pour des raisons scientifiques), Le Ciel ne va pas nous tomber sur la tête s'attaque de front à certaines idées définitivement ancrées dans nos sociétés, et relevant parfois de la croyance, quant aux impacts de l'homme sur la nature et leurs conséquences. Les auteurs rassemblés ici invitent les lecteurs à la vigilance, au regard critique face aux discours catastrophistes de tous bords. 

 Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête est le titre évocateur de l'ouvrage dirigé par Sylvie Brunel et Jean-Robert Pitte, paru en Septembre 2010. Ce travail collectif est issu de la contribution de 13 auteurs aux parcours divers, géographes,  économistes,  hommes politiques...  lors d'un colloque tenu à la Société de Géographie. Il entend dédramatiser la fameuse allégation chère aux amis d'Astérix et mettre en question ce que Sylvie Brunel et Jean-Robert Pitte nomment “le nouvel épouvantail des temps modernes”. Il s'agit donc ici de pointer le catastrophisme ambiant  dans le domaine des relations homme-nature, qui serait relayé par des médias, complices autant que coupables de ces informations pessimistes et culpabilisantes: “catastrophisme, fausses assertions, apparition d'une nouvelle religion fondée sur la peur, l'obscurantisme et la culpabilisation, essor de prédicateurs d'autant plus influents qu'ils appartiennent aux plus hautes sphères de la société […] ne sommes-nous pas en train de faire fausse route?”. Selon le collectif d'auteurs, la tendance générale serait à la sanctuarisation de la nature, principe qui reviendrait à donner aux hommes une place de perturbateurs d'un équilibre, d'un climax mythifié.

La première partie de l'ouvrage, “Pas de nature sans humanité”, se pose donc contre cette vision pessimiste de la place de l'homme dans la nature qui prônerait, notamment, la pleine responsabilité des sociétés dans la dégradation de leur environnement. Cette partie décortique ainsi chacune des catastrophes  prophétisées (réchauffement climatique dans une contribution de Martine Tabeaud, montée des océans par Alain Miossec, disparition des forêts par Paul Arnould...) et tend à introduire distance critique appuyée sur des chiffres, analyses comparées de différentes échelles de temps et d'espace, pour y voir plus clair dans ces sujets où se mêlent, derrière un fond de vérité, intérêts politiques, lobbies industriels, amplification médiatique. Les auteurs ont en commun la volonté de questionner les acteurs qui sous-tendent ces logiques et de pointer du doigt les intérêts qui les animent dans la propagation de ces assertions alarmistes. En se demandant “à qui profite le crime”, ils ne nient pas les phénomènes, mais les relativisent au vu des échelles examinées et des laps de temps considérés.

La deuxième partie de l'ouvrage est un pamphlet contre ce qui est ici perçu comme la cause des constats alarmistes remis en question par les auteurs. Selon eux, “sous ces discours se dissimule une idéologie de type malthusien selon laquelle la planète porte trop d'hommes responsables de toutes les dégradations existantes ou supposées”. Cette partie-ci s'intitule donc “Non, nous ne sommes pas trop nombreux”. Les travaux de Gérard-François Dumont, de Sylvie Brunel et de Gilles Fumey viennent dédramatiser le supposé surpeuplement de notre planète et la question de l'alimentation d'une population mondiale toujours plus nombreuse.

Enfin, la troisième partie de l'ouvrage, “Oui, des solutions existent!”, écrite par Frédéric Teulon, Christian Pierret, Phillipe Boulanger et Jean-Robert Pitte,  propose, de façon assez éclectique, des pis-aller à cette morosité ambiante et invite le lecteur à plus d'optimisme dans les domaines de la croissance économique, de l'énergie, des armées...

Les 352 pages de ce livre qui se pose comme un manuel contre les idées toutes faites dans le domaine de l'environnement prônent un rapport de l'homme à la nature fondé sur le principe très actuel du développement durable, dont il est dit que “c'est un concept fondé, une ambition visant à refonder nos modes de fonctionnement et notre relation au monde”. Ils affirment ainsi que “l'environnement, véritable poule aux œufs d'or, est malléable à condition d'être géré selon le principe de durabilité”. Les auteurs clament également haut et fort l'intérêt d'une vision géographique de ce concept très employé jusqu'à être parfois galvaudé, “il doit donc être décliné avec un regard de géographe, qui sache faire la part des choses sans céder, ni à la religion d'une planète sanctifiée, ni à la tentation facile du déni”.

L'ouvrage a le grand mérite de dénoncer l'emballement médiatique et politique dont ce sujet fait l'objet, ainsi que la récupération par certains acteurs qui en découle. Les composantes du débat sont posément décortiquées, étayées de chiffres convaincants, appuyées sur des bibliographies qui analysent souvent le traitement de l'information sur plusieurs décennies. L'intérêt de la contribution du géographe à cette polémique saute alors aux yeux: elle permet ici d'envisager la complexité des sujets abordés par son aptitude à les analyser à différentes échelles (de laquelle parlons-nous quand on évoque le réchauffement climatique? Est-ce la plus pertinente? Peut-on continuer à l'affirmer si l'on fait varier le curseur?). Tous ont en commun  le souci louable de vouloir replacer ces questions épineuses sur un temps plus long que celui du mandat électoral, ou de la vie humaine. Cette mise en perspective, spatiale et temporelle, est éclairante. Cette posture de grande rigueur scientifique est à louer dans un contexte où le développement durable est un concept vendeur qui entraîne la multiplication des propos et des opus alarmants.

Or, c'est justement cette volonté de s'inscrire dans la lignée des ouvrages sur le développement durable qui achoppe. Les auteurs sont unanimes pour dénoncer l'emballement médiatique concernant les rapports entre les hommes et l'environnement. Ils rejettent en bloc ces termes vendeurs qui vident de leur sens des questionnements légitimes tels que la répartition des richesses sur notre planète. Ils se posent contre les lobbies politico-médiatico-industriels qui récupèrent ces débats, les orientent et en font leurs choux gras. Ils s'engouffrent, cependant, eux-mêmes à la suite d'un oxymore terni par son usage systématique, dont on peut encore se demander s'il avait un autre sens que celui d'outil politique évitant les décisions radicales, ménageant la chèvre et le chou, voulant concilier l'inconciliable. A aucun moment les auteurs, si critiques pourtant, et à juste titre, à l'égard du vocabulaire vendeur de ceux qu'ils nomment les “ prophètes de l'Apocalypse”, ne soumettent ce concept à leur plume critique. Leur analyse sémantique s'arrête malheureusement  là où commence la réflexion politique nécessaire à la prise en compte des problèmes soulevés.

Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête  a donc le mérite de se distinguer des autres ouvrages sur ces questions par un positionnement rigoureux, scientifique et, de fait, critique, qui clarifie le débat, sans pour autant élargir cette posture à un concept qui aurait peut-être mérité plus de nuances.