Réédition d'un ouvrage de référence sur la science politique qui revient sur les grandes notions de la discipline.

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Ces vingt dernières années, la science politique comme domaine académique et scientifique s’est consolidée dans ses départements universitaires et dans les Instituts d’études politiques en même temps qu’elle a élargi son auditoire étudiant, professionnel et citoyen au-delà de ces points d’ancrage. De nouvelles générations d’enseignants et de chercheurs ont également enrichi et développé la littérature de ce carrefour des sciences sociales. Cela explique l’essor éditorial récent des ouvrages généraux (manuels, dictionnaires, précis) à destination des lecteurs soucieux de disposer de cadres théoriques et de résultats empiriques permettant d’étayer leurs analyses du politique. L’effort de synthèse requis dans ces publications n’est pas aisé car il faut à la fois assurer la mise en perspective par rapport aux travaux pionniers, intégrer les évolutions théoriques et méthodologiques et restituer des résultats de recherche récents pour tenir compte des reconfigurations ou de l’amplification des phénomènes étudiés.

 

Les six auteurs du Dictionnaire de sciences politiques dont Sirey livre la deuxième édition relèvent ce défi en assumant leur complémentarité du fait qu’ils sont chacun et chacune spécialistes de l’un ou l’autre des domaines et sous-domaines de la discipline. Est ainsi couvert l’ensemble des grands objets et enjeux que la science politique peut éclairer. Comme le choix du dictionnaire l’exige, chaque entrée commence par une définition, le plus souvent assez développée et où s’amorcent des pistes de débat. Un encadré sert à lister des auteurs et ouvrages considérés comme essentiels ainsi qu’à indiquer les termes connexes traités ailleurs dans l’ouvrage. Ce jeu de renvoi permet une lecture sous forme de navigation raisonnée pour développer la réflexion. Le cas échéant, la mention d’un site internet élargit la gamme des ressources disponibles. L’ouvrage compte plus d’une centaine d’entrées dont l’ordre alphabétique veut qu’il commence par "abstention" et finisse par "vote" mais qui ne se résume pas au nécessaire approfondissement du thème des élections (comportement électoral, parité). Parmi les thématiques disséminées au fil des entrées, il est possible d’effectuer quelques regroupements qui font prendre la mesure de la tâche accomplie.

 

Se retrouve notamment la perspective la plus traditionnelle, celle des grands concepts travaillés par la philosophie politique et le droit et parfois saisis aussi dans une approche plus sociologique. Il est heureux que cette revue des fondamentaux de l’ordre politique (citoyenneté, contrat social, démocratie, droits de l’Homme, Etat, légitimité, pouvoir, république, souveraineté) privilégie leur discussion plutôt qu’une présentation neutre et formelle. Comme une sorte de prolongement des questionnements appliqués à ces grands concepts, apparaissent des objets marqués par l’enjeu théorique de leur définition aussi bien que par leurs conséquences pratiques sur nos sociétés démocratiques (communautarisme, développement durable, discrimination, laïcité, mondialisation, pauvreté(s), précaution (principe de), régionalisme). Quoique nécessairement limitée, la sélection de ces thèmes manifeste la capacité de la science politique à se saisir des débats contemporains, voire des controverses. Ces entrées aideront probablement l’ouvrage à susciter l’intérêt des observateurs de la vie politique. Leur traitement n’en est pas moins équilibré.

 

Une autre perspective classique à laquelle le Dictionnaire ne manque pas de donner place est celle des doctrines portées par ceux qu’on peut appeler des entrepreneurs d’idéologie. En dépassant les catégories et discours dont ces entrepreneurs font usage, les sciences sociales tâchent de les décrypter et de les conceptualiser pour mieux rendre compte des clivages et controverses qui animent nos sociétés. Le traitement de ces entrées (antimondialisation, cosmopolitisme, extrémismes, intégrisme, nationalisme, populisme, totalitarisme, universalisme) fait intervenir un important effort de définition et de discussion qui s’avère utile à la compréhension de débats d’actualité. Par comparaison avec la couverture assez large de ces catégories doctrinales, le traitement des grands courants de pensée auxquels se rattachent les partis politiques reste sélectif (écologie politique, libéralisme, socialisme). Certes, chacune de ces quelques entrées est relativement approfondie. "Socialisme" est ainsi la notice la plus longue de l’ouvrage pour inclure la présentation des origines et les débats actuels après avoir accordé un traitement spécifique au communisme aussi bien qu’à la social-démocratie. Mais le choix de procéder à un tour d’horizon synthétique en même temps qu’assez élargi à partir d’une seule entrée n’est pas le plus aisé pour le lecteur qui souhaiterait disposer de manière plus intuitive d’un découpage faisant place à chaque grande famille. Finalement, l’ouvrage ne propose pas d’entrée sur des thèmes tels que l’anarchisme, le centrisme ou le gaullisme. Inversement, le lecteur spécifiquement intéressé par les doctrines des partis anglais et américains trouvera des notices sur la "troisième voie" et le  "conservatisme".

Parmi les autres thématiques qu’il est possible d’identifier dans ce dictionnaire, l’action publique est prise en compte de manière assez complète tant à travers ses structures (administration, institution, métropole, régimes politiques, territoire) que ses mécanismes (Etat providence, gouvernance, médiation, New public management, politiques publiques, subsidiarité). Si les forces et organisations politiques en tant que telles ne donnent pas lieu à des entrées, différents types d’acteurs sont traités de manière générique (élites, groupes d’intérêt, intellectuels, organisations, partis politiques, réseaux). Les manières dont ces acteurs sont susceptibles d’agir sont traitées à travers une autre série d’entrées qui composent une grille assez large et détaillée où l’action collective tient une large place (autoritarisme, communication, idéologie, militantisme, mobilisations, nouveaux mouvements sociaux, participation, répertoire d’action, structure d’opportunités, syndicalisme, terrorisme, violence). Une catégorie plus ou moins implicite pourrait également être celle formée par divers phénomènes (corruption, diasporas, massacres, incivilités, représentation, révolution). La thématique des relations internationales, quoique un peu aux marges de l’ouvrage, est bien présente (guerre et paix, impérialisme, puissance, réalisme).

Enfin, dans une approche réflexive, plusieurs entrées sont consacrées au sujet de l’ouvrage et aux notions de sciences sociales qui lui sont liées (choix rationnel, histoire, individualisme et holisme, référentiel, politiques publiques, post-modernisme, relations internationales, science politique, sociologie politique, théorie politique, utilitarisme). Sans doute cela manifeste-t-il que tout universitaire bien constitué ne peut se départir d’un effort d’explicitation de ses méthodes de travail. Un public distrait ou pressé pourrait n’y voir qu’un exercice d’érudition mais le lecteur curieux ou consciencieux y trouvera de quoi mieux se figurer les démarches, théories et outils mobilisés pour produire les connaissances qui font la matière de tout le reste de l’ouvrage.

Quand on a soi-même connu la difficulté à opérer la sélection des entrées susceptibles de composer un tel dictionnaire, on mesure mieux l’effort entrepris par les auteurs. On n’hésitera pas à dire que le produit de leur travail, parfaitement complémentaire d’autres références utiles pour se familiariser avec la science politique, est d’une lecture tout à fait recommandable