Réhabilitation d’un type de construction longtemps méprisé : enfin un beau livre sur la maison préfabriquée !

Si les maisons préfabriquées trouvent leur origine dans le monde anglo-saxon, le reste de l’Europe conservera à l’égard de cette technique constructive une forme d’hésitation. Et cela même après la Seconde Guerre Mondiale où le besoin de logements était pourtant cruel et la préfabrication une solution adaptée.
Prefab Houses, conséquent ouvrage, trilingue comme il est coutume chez Taschen, revient sur la maison préfabriquée, trop souvent laissé-pour-compte de la pensée architecturale (en France particulièrement). Si le livre n’est pas théorique à proprement parler, il retrace néanmoins les grands traits d’une histoire technique et architecturale de ce type de petite construction.

La maison préfabriquée, mode d’emploi

Le texte introductif annonce un certain burlesque, ouvrant la réflexion sur One Week, de Buster Keaton. Dans le film, un couple de jeunes mariés reçoit une maison préfabriquée comme présent pour leurs noces : véritable cadeau empoisonné, la maison devient très vite le principal ressort comique. Dès 1920, le préfabriqué est pour partie perçu comme une construction facilement critiquable et assez peu fiable. Mais une fois cette référence exposée, il ne sera plus question de la réception cinématographique ou artistique de ce type de logement individuel.
Très vite donc, le texte reprend son sérieux en présentant la distinction entre le "vrai" préfabriqué et la construction qui a recours à des éléments préfabriqués. Dans cette partie qui porte sur la définition de ce qu’est une maison préfabriquée, il est question de module, de standardisation, ou encore de travail en usine, le tout malheureusement un peu trop rapidement esquissé.
Les deux auteurs, Arnt Cobbers (historien d’art et critique d’architecture) et Olivier Jahn (aujourd’hui directeur du département d’architecture et de design du magazine AD Architectural Digest) orientent ensuite le propos vers un historique de ce type de construction au travers d’un catalogue de maisons qui constitue la structure de l’ouvrage.

Héritière de l’industrialisation du XIXe siècle et répondant au besoin des colons de s’installer dans de lointaines régions conquises, la maison préfabriquée concilie production rapide et bas coûts. La toute première maison préfabriquée semble être celle conçue par le charpentier anglais Herbert Manning en 1833, à destination des émigrants partants pour l’Australie (dont son fils faisait partie), facilement transportable et pouvant être assemblée dans la journée. La maison, d’une forme assez archétypale, rencontre alors un grand succès probablement de par la rationalisation efficace de sa construction.

Au début du XXe siècle, plusieurs entreprises commencent à commercialiser par correspondance des maisons préfabriquées. Le client peut alors choisir sur catalogue façades et toitures sur mesure ainsi que la domotique, la visserie et les couleurs. Quelques temps après, il réceptionne la maison en kit, livrée, numérotée, et contenant le précieux mode d’emploi, sésame indispensable de la construction.

Un objet du design


Outre l’introduction d’un mode d’emploi pour construire sa maison, à la manière des meubles en kit, la maison préfabriquée s’apparente peut-être davantage au design industriel qu’à toute autre discipline. Même si ce point n’est pas développé explicitement dans l’ouvrage, on peut néanmoins s’interroger ici sur le statut de ce type de petite construction.
Dans le XXe siècle naissant, un nouveau cap technique est franchi avec l’invention de l’automobile et surtout de la chaîne de montage, ouvrant la voie à la fabrication en série. Les coûts de production se trouvent réduits et le nombre d’exemplaires fabriqués augmente considérablement. Il en est alors des maisons comme des voitures, et la maison préfabriquée se trouve rattachée par son histoire comme par son essence à l’industrie bien plus qu’à l’architecture. Souvent revient la comparaison entre la production de ces maisons et la production automobile, on trouve notamment de nombreuses récurrences de cette idée chez Jean Prouvé.
Après le krach de 1929 aux États-Unis et la crise qui s’en est suivie, "l’espoir avait germé de voir la fabrication de maisons préfabriquées remettre à flot l’économie mal en point". On regrette de ne pas voir ici évoquée la dynamique prônée par Raymond Loewy - célèbre designer industriel - qui a considéré la crise de 1929 non pas comme frein à son activité mais comme un catalyseur de sa créativité. Au travers de l’idée que La laideur se vend mal, le designer a cherché à produire des objets ou des visuels incitant à l’achat, et les maisons préfabriquées proposaient probablement l’aspect séduisant d’un nouvel objet dans lequel vivre.

Innovations dans l’habitat individuel


Toujours dans cette période du début du XXe siècle, de jeunes architectes avant-gardistes tels Franck Lloyd Wright et Walter Gropius vont s’intéresser à la préfabrication, en l’associant à de nouveaux modes de vie. L’école du Bauhaus fait partie des pionniers sur la question de la maison préfabriquée, même si aucune véritable production en série ne verra le jour. En France, il faudra attendre Jean Prouvé pour voir s’ébaucher une pensée de la maison préfabriquée (même si un certain nombre de constructeurs, malheureusement non évoqués ici, proposaient déjà des modèles de maisons préfabriquées).
Au début des années trente, Richard Buckminster Fuller, ingénieur, architecte et futurologue, présente ses maisons que d’aucuns perçoivent comme des "offensives à toute conception traditionnelle de l’apparence de la maison individuelle". Ses maisons Dymaxion, entièrement métalliques, présentent des plans circulaires ou hexagonaux qui ont surpris le public. Mises à part quelques commandes de l’armée américaine, les maisons n’ont guère trouvé preneur, perçues par certains comme des "maisons boîtes de conserve". Ainsi, un commentateur du New York Sun déclarait : "Lorsqu’un père de famille veut découper une nouvelle porte dans sa chambre, ce n’est pas une scie qu’il utilise, mais un ouvre-boîte".

La maison préfabriquée va assez vite devenir un terreau d’innovations formelles, notamment dans les années soixante avec l’émergence du plastique dans la construction. "À une période marquée par la navigation spatiale et l’atterrissage sur la lune, dans laquelle les livres pour enfants pronostiquaient déjà des week-ends sur de lointaines galaxies dans les années à venir, on découvrit le procédé de préfabrication comme forme d’expression artistique, voire on le considéra comme un moyen technique de créer des maisons offrant des conditions de vie à de nouvelles formes d’existence des individus, auxquelles on pensait accéder, à cette époque de croyance débridée dans le progrès." Certaines maisons vont alors clairement évoquer la conquête spatiale, telle la maison à six coques de Jean Manneval ou le pavillon Futuro de Matti Suuronen choisi pour illustrer la couverture de l’ouvrage. L’étrange construction en forme d’œuf perforé de trous ovoïdes évoque davantage une soucoupe volante que ce que  l’imaginaire collectif définit comme une maison. Cette capsule pouvait même être transportée par hélicoptère. Encore une fois, la pensée de la maison préfabriquée comme produit industriel de masse, comprenant implicitement l’idée d’un produit de consommation obsolescent, et non plus comme un patrimoine immobilier à transmettre aux générations futures, se lit dans ces projets aux volumétries décomplexées.

Mais très vite les années soixante-dix et le mouvement écologique associé mettent à mal cette euphorie du futur et cette technophilie à tout crin. Des matériaux tels le plastique et l’aluminium sont soudain mal perçus et la préfabrication devient synonyme dans les esprits de construction massive de logements désindividualisés et sans qualités.

Il faudra alors attendre les années quatre-vingt-dix pour que les maisons préfabriquées retrouvent un certain succès. Et c’est par l’intermédiaire des programmes de conception assistés par ordinateur que ces constructions vont retrouver une certaine estime, s’écartant enfin d’une réputation de produit de masse sans qualité. Des solutions créatives voient à nouveau le jour, en Europe, en Asie, en Amérique du Nord et du Sud ainsi qu’en témoignent les nombreux exemples présentés dans l’ouvrage. De la maison Muji au Japon aux divers projets de containers maritimes réemployés (d’ailleurs la solution n’est peut-être pas si économique et écologique qu’on peut le penser, comme l’expliquent les auteurs), en passant par les Micro-Compact Homes proposant des logements étudiants de 7m2, les projets présentés ont toujours un aspect étonnant, pas toujours lisible à l’image mais que le texte met clairement en lumière.

Ainsi ce consistant ouvrage réhabilite la perception de la maison préfabriquée par la qualité de la publication, digne d’un beau livre d’art. Les visuels sont soigneusement choisis, variés et présents en quantité : photographies d’époque et d’aujourd’hui, plans, élévations, coupes et façades, détails, brochures, perspectives, croquis, schémas techniques…
L’historique de ce type de construction est retracé de manière plutôt exhaustive mais on peut regretter que les textes d’Arnt Cobbers et Olivier Jahn  n’envoient jamais le lecteur vers d’autres lectures. À aucun moment ne sont présentés des références qui permettraient de mettre en lumière certains points de réflexion (on pense notamment aux ouvrages de Sigfried Giedion, historien des techniques et critique de l’architecture, cruellement absent).
Ainsi, l’ouvrage réalise une synthèse de l’histoire de la maison préfabriquée suffisamment solide pour constituer un premier socle de connaissance, en attendant d’autres contributeurs..