Collège de tous, Réussite pour chacun

Éducation - Savoirs et émancipation

Rapporteur : Laurent Besse

Animateur : Patrick Clastres

Dans le cadre du Laboratoire des idées, le groupe de travail sur l’éducation "Savoirs et émancipation" s’est constitué à la fin de l’année 2009. Il livre ici un premier rapport sur le collège.

Ont ainsi participé au groupe de travail aux côtés de :

Patrick Clastres, agrégé d’histoire, professeur de khâgne, chercheur rattaché au Centre d’histoire de Sciences Po, qui animait le groupe et Laurent Besse, maître de conférences à l’IUT de Tours, département "Carrières sociales", qui en était le rapporteur Tatiana Bertrand, professeure des écoles Yves Bodard, travailleur social, longtemps éducateur de rue, auteur de "Banlieues. De l’émeute à l’espoir" (Regain de lecture-2007) Amande Fouqué, professeure certifiée d’histoire, responsable du département des lettres et sciences humaines du CNED de Rennes Marie-Chantal Genemaux, ancien personnel de direction, chargée de mission à la Ligue de l’Enseignement sur les politiques éducatives Anne de Hauteclocque, Laboratoire des idées Gilbert Longhi, chargé d’enseignement à l’université d’Evry, chercheur associé en sciences de l’éducation à l’université de Paris X, ancien proviseur du lycée Jean Lurçat à Paris, auteur notamment de "Pour une déontologie de l’enseignement" (ESF, 1998), " Décrocheurs d’école " (La Martinière, 2003) Thierry Marlière, professeur agrégé en sciences physiques à l’IUFM de Laon Sandrine Miodini, professeure certifiée d’éducation physique et sportive en collège péri-urbain Denis Paget, professeur de lettres au lycée Camille Claudel de Blois, auteur de "Aventure commune et savoirs partagés" (Syllepse, 2006), "Petite histoire des collèges et des lycées" (Le Temps, 2008) et "Collège commun, collège humain" (Le Temps, 2010)

Sommaire

Éducation - Savoirs et émancipation

Introduction

I- Les préalables à toute réforme

1.1 Une véritable formation initiale et continue.

1.2 Un indice de mixité sociale pour reconstruire une vraie carte scolaire.

1.3 Un discours de gauche sur le travail scolaire.

II- Des savoirs créatifs et émancipateurs

2.1 Pour une réhabilitation des savoirs.

2.2 Une nouvelle palette des disciplines scolaires : culture médiatique, vulgarisation scientifique d’excellence, ouverture sur les cultures du monde.

2.4 Au service de la créativité des élèves : les chefs d’œuvre.

III- Un parcours scolaire sécurisant de la 6e à la 3e

3.1 Un encadrement pédagogique complet en 6ème et en 5ème.

3.2 Un système d’unités capitalisables pour les élèves en déshérence scolaire au sortir de la 5e.

3.3 Un accompagnement individualisé en 4ème et 3ème pour favoriser l’autonomie.

3.4 Une évaluation dynamique et formatrice.

3.5 Une meilleure coordination entre acteurs de la communauté pédagogique.

IV- Un nouveau climat de confiance entre élèves, parents enseignants et chefs d’établissement

4.1 Un espace et un temps scolaire humanisé pour les élèves.

4.2 Des conditions favorables au travail collaboratif des enseignants.

4.3 Des rôles clarifiés entre parents et enseignants.

4.4 Une salle collégiale pour les parents et les associations agréées.

4.5 Des enseignants pleinement responsables de 25 % de la DHG.

4.6 Une administration-ressource : un nouveau binôme à la tête des collèges.

Annexe 1 : Nouvelle répartition horaire en 6ème et 5ème.

Annexe 2 : Nouvelle répartition horaire en 4ème et 3ème (enseignements obligatoires).

Annexe 3 : Collège 400 - simulation.

Annexe 4 : Pour une véritable politique de gauche dans l’EAD (enseignement à distance) et la FOAD.

La réflexion du groupe a porté en priorité sur le collège, non pas pour le stigmatiser, mais parce qu’il est le dernier lieu éducatif traversé par l’ensemble d’une classe d’âge, et à ce titre un lieu fortement affecté par la paupérisation de larges pans de la société française. En dépit de leurs efforts depuis vingt ans, beaucoup d’enseignants ont le sentiment que le collège reste un lieu de faible intensité éducative. Et cela ne vaut pas seulement pour les établissements les plus défavorisés. Pour de nombreux élèves et leurs familles, le collège est encore trop souvent vécu comme un lieu d’angoisses et de frustrations, parfois encore comme un domaine élitiste ou, tout au contraire, comme un temps d’abaissement des exigences scientifiques et humanistes.

C’est pourquoi les efforts des familles, des enseignants, des autres personnels, et des partenaires de l’école doivent converger autour d’un seul objectif : accompagner le travail de l’élève dans toutes ses dimensions (travail scolaire, construction de soi, intégration sociale…). Il va sans dire que les transformations du collège n’ont de sens qu’inscrites dans un contexte de réformes plus globales (politiques d’égalité réelle devant le logement, la santé…), mais aussi d’une revisite tant de l’école élémentaire que du lycée, avec lesquels les liens doivent être par ailleurs renforcés.

Pour pleinement favoriser la réussite de chaque collégien de France, une nouvelle dynamique est proposée qui repose sur trois piliers : - une culture scolaire ambitieuse, commune, faite de " savoirs créatifs et émancipateurs ", capable de stimuler les élèves et de favoriser une vraie mise au travail intellectuel, sous toutes ses formes, en valorisant en particulier les arts du faire et du dire, visant à compenser les inégalités culturelles. Les enfants ne sont pas nés élèves. Or de la maternelle au lycée, l’école est souvent vécue comme un milieu anxiogène par les jeunes et leurs parents, mais aussi par les professeurs, les autres personnels et les chefs d’établissement. Sont en cause, ici, la peur du chômage ou la crainte du déclassement social, ainsi que la fièvre évaluatrice qui affole le système éducatif dès les petites classes et participe d’un management à courte vue des professeurs. Ajouté à un processus très ancien de descente de l’université vers le primaire pour ce qui est de la répartition entre disciplines et de la confection des programmes – un tel gage de qualité scientifique doit être conservé et conforté mais repensé à partir des paliers de construction des intelligences -, tout cela aboutit à ne jamais considérer les élèves pour l’âge qu’ils ont. L’injonction de préparer à l’emploi plus qu’à l’avenir est sans cesse répétée à chaque étage du système éducatif, alors même que cet avenir est annoncé comme incertain, alors que les carrières sont déjà faites de métiers différents comme d’allers et retours entre emploi, formation et chômage.

L’impératif d’orientation préoccupe les parents dès le primaire, ce qui se marque dans le choix même de l’école. Piloté par la hiérarchie supposée ou réelle des filières scolaires, c’est-à-dire en fait par la grille des salaires et des métiers, l’impératif d’orientation profite aux marchands d’angoisses (presse qui publie les classements d’établissements, cours privés…). D’où la nécessité de redéfinir les objectifs de chaque niveau d’enseignement en concordance avec les besoins des enfants et les différentes étapes de leur développement jusqu’à l’adolescence. Les familles, la société, et les jeunes eux-mêmes gagneront à ce que les premiers paliers de la vie scolaire soient clairement définis.

Introduction

-un parcours scolaire sécurisant de la 6ème à la 3ème, avec un effort particulier mis sur l’entrée au collège, dont la mesure phare serait un encadrement pédagogique complet en 6ème et en 5ème : pas de devoirs ni de leçons à la maison, mais des leçons apprises et des devoirs effectués au collège en compagnie d’enseignants, et un véritable accompagnement socioculturel proposé en partenariat par des animateurs et des personnels de l’établissement.

- un nouveau climat de confiance entre élèves, parents, enseignants et chefs d’établissement : faire du collège un lieu où les parents seraient les partenaires naturels et mobiliser les équipes éducatives en les associant vraiment à la direction de l’établissement et en luttant contre les dérives managériales.

Deux conditions sont un préalable à toute réforme : la re-création d’une véritable formation initiale, et surtout continue, pour les enseignants, la création d’une vraie mixité sociale par le retour progressif à une carte scolaire équilibrée et négociée. On pourrait en ajouter une troisième : la nécessité d’un discours mobilisateur fort sur l’école, plus précisément encore sur le travail scolaire.

1.1. Une véritable formation initiale et continue

Ce dossier mérite une réflexion approfondie qui dépasse les ambitions de notre groupe de travail. On insistera simplement sur le fait que l’essentiel est de mettre en mouvement les enseignants sans leur renvoyer l’image d’un manque d’innovation pédagogique. Face à des publics nouveaux et hétérogènes depuis au moins deux décennies, les enseignants ont de toute façon fait évoluer leurs pratiques pédagogiques. D’où la nécessité de créer des lieux libres de la controverse professionnelle sans subordination à la hiérarchie, accompagnés d’un portail national de l’innovation pédagogique avec consultation par matière/discipline, par niveau, par concept, par méthode. On valoriserait ainsi les innovations des enseignants, rémunérés pour les pages mises en ligne, et on les mutualiserait gratuitement. L’INRP aurait vocation à tenir à jour cet outil avec les formateurs. Dans ce cadre, le rôle des inspecteurs devrait évoluer pour mieux assumer leur fonction de conseil.

1.2. Un indice de mixité sociale pour reconstruire une vraie carte scolaire

La gauche ne peut que faire le choix de la mixité sociale si elle veut avoir un projet crédible pour l’école. Pour cela, elle doit revenir à une carte scolaire et lutter contre toute idée de désectorisation. Il faut au contraire reconstruire une carte scolaire juste ce qui demandera du temps et de la compétence. Surtout les solutions ne pourront être que locales : conseils généraux, municipalités. Mais après tout, la gauche est à la tête d’un nombre non négligeable de ces collectivités. En cas de conflits à propos de la détermination des secteurs, l’arbitrage doit appartenir à l’Education nationale (Inspection académique). Pour parvenir à créer davantage de mixité sociale, on peut songer à attribuer une part des moyens en fonction d’un indice de mixité sociale – ce qui devrait également s’imposer à l’enseignement privé sous contrat. Enfin, au niveau des collèges, il faut poursuivre la politique de réduction des gros établissements : un format de collège 400 à 600 semble humainement et techniquement viable en termes de gestion des espaces et des services enseignants. Dans certains cas, il ne faut pas hésiter à désaffecter les établissements ghettos pour en construire de plus vivables ailleurs.

1.3. Un discours de gauche sur le travail scolaire

L’école est saturée de discours sur le travail : travail insuffisant ou inadapté des élèves, travail des équipes éducatives, angoisse des parents qui croient parfois que l’école aurait renoncé à mettre les élèves au travail. A contrario cette dimension est étonnamment absente du discours politique de gauche. A une notion étroite, rabougrie du travail scolaire (apprendre ou être en activité sans comprendre), le Parti socialiste doit opposer une conception enrichie de l’école comme lieu où l’élève grandit, s’émancipe et se réalise par et dans le travail scolaire sous toutes ses formes. Ce discours doit viser l’ensemble des acteurs : parents, cadres administratifs, partenaires de l’école, enseignants également. Il s’agit de prendre au sérieux le doute qui s’est instillé dans le monde enseignant, qui ne traduit pas, ou pas seulement, un repli identitaire ou corporatif. Les enseignants apparaissent surtout en attente : en attente d’un projet mobilisateur fort, susceptible de donner du sens aux transformations de leur métier. Le PS ne peut laisser la droite prétendre remettre l’école au travail, ce que proclamait Darcos hier, Chatel aujourd’hui, pendant qu’elle casse comme jamais le système scolaire. Il ne faut pas sous-estimer la force des adversaires de l’école émancipatrice, ni les craintes des parents et des enseignants face à des mesures de rénovation qu’ils peuvent être tentés d’interpréter comme une dérive socioculturelle, pire comme une volonté de transformer l’école en simple lieu de socialisation.

D’ailleurs une partie des mesures prises par la gauche depuis 1981 n’ont-elles pas été victimes de cette crainte ? Aussi, un discours sur le travail des élèves est-il l’antidote à ces craintes. En direction des professeurs, ce discours permettra également de dépasser les déclarations politiques ambiguës qui peuvent laisser penser que les enseignants constituent le principal problème de l’école. Certains discours réformateurs, en fait managériaux, ne sont pas loin de faire de même : les enseignants seraient une variable qu’il conviendrait de neutraliser pour miraculeusement régler les problèmes. A tout cela, il faut répondre par un discours de confiance et de propositions fortes, susceptibles de convaincre la majorité des enseignants que la transformation ambitieuse de l’école, ici du collège, leur permettra de travailler mieux pour réussir tous ensemble : élèves, enseignants, parents, administratifs, partenaires de l’école. La guerre des tranchées, qui agite d’ailleurs plus les colonnes des journaux que les salles des professeurs, entre " pédagogues " et " disciplinaires " ou supposés tels, doit être dépassée. Pour sortir d’une telle aporie, il paraît raisonnable de postuler que " compétences " et " méthodes " ne peuvent être acquises hors de tout cadre disciplinaire. Il relève justement du métier de l’enseignant d’entrelacer en permanence ces deux ambitions. Cela passe par une réhabilitation des savoirs, une nouvelle palette des disciplines scolaires, une promotion de la logique créatrice des chefs d’œuvre.

2.1. Pour une réhabilitation des savoirs

Polysémique, floue, et plus grave, très formelle, la notion de " compétence " a envahi l’univers scolaire jusqu’à la caricature. Vue du côté de l’élève, elle hésite en permanence entre l’obligation de réussir des tâches pragmatiques très simples (" je sais souligner ") et des activités conceptuelles très complexes (" je sais faire une synthèse "). L’effet de tout cela, c’est une inflation des évaluations, de la maternelle au lycée - voir le formalisme des livrets de compétences, du B2I, de la note vie scolaire, de l’ASSR (attestation de sécurité routière qui doit, elle aussi, être évaluée…). Quant aux enseignants, ils passent leur temps à évaluer au lieu d’enseigner, et adoptent deux attitudes :

- soit ils croient en l’évaluation et se tuent à la tâche pour un résultat bien aléatoire

- soit ils rusent avec l’évaluation et se contentent de cocher les cases.

Dans les deux cas, le résultat est pauvre, bien loin des espoirs mis dans " la nouvelle culture de l’évaluation ". Une rénovation des disciplines scolaires s’impose, non comme lieux d’enfermement des intelligences, mais comme formation à la pensée critique etaux savoir-faire transversaux. Réhabiliter les disciplines scolaires entraîne nécessairement des révisions parfois profondes de leurs contenus, de leurs frontières et une réflexion permanente sur la distance qu’elles doivent maintenir ou réduire avec les savoirs savants comme avec les pratiques sociales. D’où la nécessité d’un discours de gauche sur les savoirs, définis comme des savoirs créatifs et émancipateurs, dynamiques et enrichissants, au sens où ils facilitent l’appropriation par les élèves de méthodes et de compétences, et développent leur sociabilité et leur ouverture au monde.

2.2. Une nouvelle palette des disciplines scolaires : culture médiatique, vulgarisation scientifique d’excellence, ouverture sur les cultures du monde

La distance entre la " culture vécue " par nos contemporains et la " culture scolaire " est devenue considérable. Ainsi la hiérarchie des savoirs valorisés dans la vie courante est exactement inverse de celle des savoirs scolaires : elle met au premier rang le numérique, les images, la musique, le cinéma, les pratiques sportives qui n’ont qu’une place très minime à l’école. Il faut contester fermement la hiérarchie scolaire des savoirs, c’est-à-dire en premier lieu revoir l’importance des horaires affectés aux différentes disciplines. L’école doit enfin prendre en compte l’élargissement considérable des formes de lecture qu’exige la prolifération des médias autres que le livre. En effet, la toile et les langages numériques, y compris les mondes virtuels, s’ils présentent des risques de dépendance intellectuelle, constituent une formidable source d’enrichissement et une chance pour l’éducation. L’école doit enseigner la lecture de multiples codes, y compris les codes médiatiques.

II- Des savoirs créatifs et émancipateurs

Ainsi, les jeunes doivent être formés à une maîtrise de la lecture de l’information sur tout support et les différentes situations de lecture doivent être prisesen compte tout au long de la scolarité. Peut être faut-il aller jusqu’à créer dans l’emploi du temps des élèves un horaire de pratique et d’enseignement de " culture médiatique " (codes et symboles, production et consommation des médias, métiers de l’information), que prendraient en charge des enseignants volontaires et formés à cet effet. L’école est confrontée à un nouveau défi : la perte de confiance dans la valeur de la science, y compris chez les élèves des séries scientifiques. Alors que la science et ses enjeux n’ont jamais autant compté, les élèves s’en détournent. Il ne s’agit pas seulement d’une question de débouchés (pénurie de futurs scientifiques) mais d’une question culturelle de fond qui met en cause radicalement le système scolaire qui était fondé sur la valeur éducative de la science. Face à cela, l’école ne doit pas se draper dans sa dignité offensée mais prendre au sérieux sa mission de formation au jugement : l’élève doit travailler sans cesse à prouver, à identifier les différents régimes de vérité. Au lieu de repousser les questions chaudes ou sensibles, l’école doit aider les élèves à s’en emparer et à prendre conscience que le jugement n’est pas l’opinion : l’école doit réapprendre à l’élève à fonder et étayer son jugement. Ainsi, l’éducation scientifique sera tout sauf désincarnée.

Pour rendre la science non seulement accessible mais digne d’intérêt aux élèves, il faut également que la science des programmes soit une science à jour et, qu’à la différence de la physique aujourd’hui enseignée, elle ne s’arrête pas en 1905, avant la relativité restreinte. Par ailleurs, il s’agit de travailler sur une vulgarisation scientifique d’excellence. Il faut séparer l’acquisition d’un esprit scientifique de la nécessité d’être un champion en mathématiques. Il faut développer les moyens didactiques, pédagogiques et éducatifs qui font entrer les élèves dès le plus jeune âge dans la connaissance des grandes découvertes scientifiques modernes, sans qu’aucun outil mathématique ou théorique sophistiqué ne se transforme en obstacle et de facto induise de l’ignorance. Il faut inclure une dimension de culture générale qui mette en exergue l’histoire des sciences, les réponses apportées, qui soit également une histoire des erreurs et des impasses. Il est surprenant par exemple que la compréhension du système solaire ne fasse plus l’objet d’un enseignement. Cette approche de la science par les découvertes anciennes comme les plus récentes est parfaitement complémentaire de l’expérimentation type " la main à la pâte".

L’école doit également s’ouvrir davantage sur les différentes cultures du monde actuel et du monde ancien. Cela passe d’abord par la diversité linguistique qui doit être considérablement renforcée (langues contemporaines, langues passées, langues régionales). Mais cela signifie également que les programmes d’histoire doivent plus systématiquement sortir du cadre national et s’ouvrir aux autres cultures, en particulier celles dont sont originaires les différents élèves qui composent les classes. Lorsque l’école de la République donne droit de cité aux langues et aux cultures des origines elle transforme en objet de connaissance et de réflexion critique des données souvent enfouies dans les croyances et les traditions. L’avancée est évidente contre le communautarisme, contrairement à l’apparence qui peut laisser supposer que l’entrée à l’école des langues et des cultures familiales serait une concession faite à l’obscurantisme et aux archaïsmes. La vision patrimoniale, et trop exclusivement politique, de l’histoire doit être abandonnée au profit d’une histoire plus sociale. Par exemple, la longue histoire des immigrations et des migrations intérieures, aujourd’hui largement constituée sur le plan scientifique, doit enfin trouver droit de cité. Concernant la littérature francophone, elle ne doit pas être un objet spécifique et exotique, mais elle doit occuper une place centrale et alimenter les études littéraires de façon transversale.

2.3. Au service de la créativité des élèves : les chefs d’œuvre

Il faut davantage développer les méthodes inductives, en partant des questions des élèves, sur le modèle de ce qui se fait en partie dans l’enseignement professionnel. L’école doit lutter contre la valorisation du " verbo-conceptuel " et accorder beaucoup plus d’importance aux arts du faire et aux arts du dire (usages poétiques de la langue, débats, langage non verbal). Pour éviter les excès d’abstraction qui marginalisent des masses d’élèves pourtant intelligents, il faut développer des voies pédagogiques qui combinent savoirs théoriques et méthodes actives. L’objectif est d’élargir et d’enrichir les formes de travail de l’élève. Il faut aussi valoriser une logique de " chefs d’œuvre ", en tirant parti des capacités des élèves à créer sur le long terme un objet de fierté qui, comme toute production, pourrait être présenté sous forme de soutenance argumentée au public (professeurs, parents…). Ces chefs d’œuvre pourraient prendre différentes formes : objet fabriqué, écriture d’invention, exposition, pratique théâtrale ou musicale ou cinématographique, expression corporelle, projet social… Les élèves devront alterner des productions individuelles et des chefs d’œuvre réalisés dans un cadre collectif. Il faut également revaloriser la culture technologique, qui doit se fonder sur la démarche de projet, et non, comme aujourd’hui, sur un décalque de la démarche expérimentale. La découverte du projet technique vise à développer un usage plus distancié des nouvelles technologies chez les élèves, ainsi qu’à prendre en compte des dimensions du développement durable.

Quelques pistes :

- mise en place d’une véritable formation à l’information et à la documentation, avec un programme au sens scolaire du terme mais pas nécessairement la création d’une discipline nouvelle pour autant

- intégration de la culture audiovisuelle dans les programmes, peut-être par la création d’une nouvelle matière

- création d’ateliers de pratiques : théâtre, chorale. Le théâtre ne doit pas seulement être lu, il doit être pratiqué dans les collèges (et lycées).

Les expériences sont nombreuses dans tous ces domaines. Il s’agit de les généraliser et de leur donner les moyens d’exister pleinement. L’Education nationale doit pouvoir s’appuyer sur les ressources qui existent en interne, parmi les enseignants, mais tout autant sur des partenariats. Le dispositif présenté ci-après doit pouvoir se substituer efficacement à presque tous les redoublements qui ne seraient alors qu’exceptionnels pour des cas particuliers d’élèves malades ou en situation de détresse. Il s’agit d’intégrer le temps des devoirs et de l’apprentissage des leçons au temps de l’école pour les élèves de 6ème et 5ème, d’offrir une possibilité de capitalisation aux élèves en grande difficulté au sortir de la 5ème, d’accélérer le passage des 4ème et 3ème vers l’autonomie intellectuelle et personnelle, de promouvoir et généraliser un système d’évaluation qui prenne en compte les progrès réalisés par l’élève. Il ne s’agit pas de reconstituer deux cycles à l’intérieur du collège mais d’aider les élèves à mieux se situer dans leur classe d’âge, entre les plus jeunes et les plus âgés. Distinction qui se marque dans les disciplines enseignées, dans les formes d’autonomie, dans les rapports au monde des adultes.

3.1. Un encadrement pédagogique complet en 6ème et en 5ème

L’aide que peuvent recevoir les élèves dans leur famille constitue un puissant facteur d’inégalités. La solution la plus équitable est d’intégrer le temps des devoirs et de l’apprentissage des leçons au temps de l’école, en dégageant des heures pour cela dans le service des enseignants et l’emploi du temps des élèves. Ce dispositif vise à rendre les élèves de 6ème et de 5ème plus autonomes, en renforçant leur maîtrise des savoirs fondamentaux et des méthodes d’apprentissage et de raisonnement. Déchargés de tout souci concernant le travail scolaire, les parents ont la responsabilité d’encadrer l’usage des multimédias, et d’encourager leurs enfants à lire et à fréquenter les bibliothèques sur le hors temps scolaire. L’ouvrage dirigé par Patrick Rayou (Faire ses devoirs. Enjeux sociaux et cognitifs d’une pratique ordinaire, PUR, 2010) montre l’intérêt mais surtout les limites du soutien scolaire bénévole ou peu professionnalisé : la bonne volonté, nécessaire, n’est pas suffisante. Il faut des intervenants compétents formés. On peut se demander si la politique qui, de fait, consiste à externaliser une partie du travail scolaire des missions de l’école n’a pas atteint ses limites. La conclusion qui se dégage est qu’il faudrait créer de vraies heures d’études sur le temps scolaire, et qu’elles soient confiées prioritairement et, si possible, exclusivement à des enseignants. De telles missions, qui nécessitent un réel niveau de qualification professionnelle, pourraient être confiées en binômes aux enseignants en fin de carrière, déchargés pour cela d’une part de leur présence devant les élèves en classe entière, et aux futurs stagiaires de masters. La création de ces études s’inscrirait dans une profonde transformation de la journée scolaire, en particulier pour les 6ème et 5ème. On trouvera en annexes les nouvelles grilles horaires-élèves pour les classes de 6ème et 5ème, ainsi qu’une simulation de ce nouveau dispositif pour un collège 400 élèves. Où l’on constatera que cet encadrement pédagogique complet serait d’un coût minime pour la Nation, de l’ordre de 10 % des moyens actuels destinés aux 6èmes et 5èmes. Une simulation similaire a été effectuée pour un collège 1 000 qui fait apparaître le même différentiel de 10 %. On pourrait aisément le financer en récupérant les moyens libérés par les postes supprimés par l’actuel gouvernement et en puisant dans le réservoir important des heures supplémentaires.

3.2. Un système d’unités capitalisables pour les élèves en déshérence scolaire au sortir de la 5ème

Pour les décrocheurs qui sont trop souvent des " décrochés ", et éventuellement pour les élèves porteurs d’une pathologie, il serait important que les établissements puissent débloquer des heures d’enseignement, plutôt par le biais de personnel spécialisé et non précaire (à la différence des actuels auxiliaires de vie scolaire). Surtout, il est important que les élèves en grande difficulté puissent capitaliser une qualification attestée par des certifications. Le système est aujourd’hui trop rigide, trop irrémédiable. On ne peut envisager de faire recommencer à zéro à chaque fois ces élèves. On pourrait songer à un système s’inspirant de la validation des acquis de l’expérience, en mettant bien entendu en place une série de garde-fous pour ne pas accélérer leur éventuelle déscolarisation. Pour les élèves qui manifestent des troubles du comportement dans les classes, il faut maintenir le plus possible une logique de persévérance scolaire. La médicalisation et la judiciarisation doivent rester le dernier recours. Toutefois, la logique de " l’extraction " peut parfois s’avérer positive pour les élèves ayant atteint un point de rupture, mais il faut une véritable pédagogie alternative avec des " projets individualisés " tout en prêtant une extrême attention aux risques de racialisation et d’ethnicisation des structures dans lesquelles on les accueillera.

Il faut rappeler ici la nécessité du suivi de ces élèves par une véritable équipe pluri-professionnelle : enseignants, personnels de vie scolaire, chef d’établissement, assistante sociale, infirmière, médecin, et psychologue. Ce suivi doit s’exercer sur l’ensemble du cycle, ou même sur toute la scolarité dans l’établissement, car aujourd’hui le système n’a pas de mémoire. On pourrait créer un conseil de l’éducation, du rythme scolaire, de la santé et de l’orientation qui institutionnaliserait ce suivi (qui n’interviendrait pas seulement dans l’urgence). Dans le cadre d’une obligation scolaire qui s’achève à 16 ans, on devrait prévoir de combler les deux années jusqu’à 18 ans par une possibilité de formation. Cette disposition législative se présenterait sous forme de droit opposable, qui n’obligerait en rien les individus, mais le cas échéant, leur garantirait, à leur demande, un accueil automatique gratuit de deux ans, éventuellement rémunéré, dans des centres publics de formation.

3.3. Un accompagnement individualisé en 4ème et 3ème pour favoriser l’autonomie

Pour les 4èmes et 3èmes, un dispositif moins encadrant est envisagé, ouvert sur de nouveaux univers disciplinaires (annexe 2), mieux adapté à l’entrée dans l’adolescence, et propre à favoriser. La création d’ " entretiens " en début d’année, avec le professeur principal, devrait permettre de mieux cerner l’élève dans l’environnement scolaire, d’améliorer le sentiment d’écoute, et de favoriser la réflexion sur la construction de l’orientation. La question est au cœur de la défiance que les adolescents peuvent nourrir à l’encontre de l’institution scolaire. Elle touche à la question de l’injustice des décisions et se fixe le plus souvent autour de quatre grands axes : la fiabilité (relativité) des notes sur lesquelles s’appuie une part des décisions d’orientation ; la hiérarchisation de la satisfaction des vœux des familles en fonction de leur position socioculturelle ; la régulation par l’orientation de l’homogénéité des classes et notamment l’éviction manipulée des élèves défectueux pour maintenir la réputation de son établissement ; enfin, l’effet de système à l’échelon local consistant à " remplir " certaines options, voies, classes... non dans l’intérêt de l’élève orienté, mais d’une gestion tacite des effectifs notamment en vue de maintenir ouvertes certaines sections étiques des lycées professionnels.

Dans le cadre des projets, un accent plus important est mis sur des thématiques nouvelles au choix des élèves (presse et medias, pratique théâtrale, connaissance de l’espace urbain, histoire des sciences, cinéma et analyse de l’image). Poursuivie en 4ème et 3ème, la logique des chefs d’œuvre et des projets en technologie doit permettre la découverte des mondes professionnels sur un mode plus opératoire, et ainsi faciliter la réflexion de l’élève sur son orientation. Pour en faire une orientation davantage choisie que subie.

3.4. Une évaluation dynamique et formatrice

Jugée ringarde par les uns, bureaucratique et injustement sélective pour les autres, la note chiffrée se trouve historiquement au cœur du pacte pédagogique entre l’élève, la famille, et le professeur. Sa remise en cause pose d’autant plus un problème de fond qu’elle représente un symbole fort pour les élèves, qu’elle donne un repère en apparence fiable aux enseignants et surtout aux parents les plus démunis face à l’institution scolaire. On ne perdra pas de vue le fait que la note chiffrée, si elle porte sur un simple travail d’apprentissage par coeur, peut servir de balise efficace pour les élèves mis en difficulté par les injonctions d’éloquence écrite, et favoriser ainsi la remise à niveau scolaire et le rattrapage culturel. Pas davantage que la note chiffrée, l’évaluation par compétence ne saurait être une panacée.

Aussi paraît-il plus judicieux de mieux former les enseignants à combiner les deux types de vérification des savoirs et des méthodes, sans les opposer. La note chiffrée comme l’évaluation sous la forme " acquis, non acquis, en cours d’acquisition " peuvent être fort utiles aussi bien pour apprécier la mémorisation des savoirs positifs et circonscrits (vocabulaire, dates historiques, tables et calcul mental, définitions, verbes irréguliers, localisation géographique…), que pour tester la maîtrise de compétences méthodologiques très précisément définies. Leur utilisation conjointe et assumée relève par nature de l’acte pédagogique de l’enseignant. Surtout, on encouragera et systématisera l’évaluation en deux temps : l’évaluation d’un premier travail, puis de sa reprise à partir des remarques et conseils formulés par l’enseignant. Le résultat lui-même, et aussi la progression par rapport à ce même résultat, pourront donner lieu à une note combinée. Sur la base de ces évaluations, et afin d’éviter les redoublements, des certifications (voir ci‐dessus) seront proposées aux élèves qui sont toujours en difficulté, accompagnées de propositions de remédiation. Réduire davantage encore le nombre des redoublements, ce qui doit rester un objectif du système éducatif, ne doit pas être simplement piloté par des considérations gestionnaires ou budgétaires.

3.5. Une meilleure coordination entre acteurs de la communauté pédagogique

Ce nouveau dispositif ne vise pas à exclure les acteurs extérieurs engagés parfois depuis très longtemps dans l’accompagnement scolaire des élèves en difficulté, même si leurs compétences pédagogiques ne sont ni certifiées, ni contrôlées. Il s’agit de mieux définir les interventions des uns et des autres. Les acteurs extérieurs doivent pouvoir trouver leur place en appui de l’intervention enseignante sur des projets spécifiques (alphabétisation, accompagnement socioculturel, offre de loisir sportif…). Tout cela nécessite une bien meilleure coordination entre les différents acteurs de la communauté pédagogique : enseignants du primaire et du secondaire, animateurs de la ville, assistants pédagogiques, associations de soutien scolaire. Il semble nécessaire de créer un temps de concertation en début d’année scolaire, en piochant dans le volant des heures supplémentaires (HSE) affectées au mois de septembre au travail individualisé. Et pourquoi pas, de créer une instance d’échanges sur la répartition des rôles et sur les bonnes pratiques. Les liens entre les différents éléments du système éducatif doivent être renforcés. Concernant les liens entre l’école élémentaire et le collège, on peut songer à faire désigner un enseignant ou mieux un groupe d’enseignants référents pour assurer le contact avec les écoles du secteur, avec le soutien du chef d’établissement adjoint. De multiples malentendus se sont aujourd’hui institués entre l’école et les familles. Poussé à son paroxysme, le conflit entre l’école et la famille peut être schématisé ainsi :

- école, lieu de toutes les contraintes

- famille, lieu de tous les bonheurs.

Par ailleurs, les relations se sont tendues entre enseignants et chefs d’établissement du fait de la pression managériale et de la crispation identitaire des professeurs, mais aussi du fait de la méconnaissance des fonctions, des contraintes, des difficultés et même des souffrances des uns et des autres. Enfin, les élèves semblent démobilisés, rétifs au travail scolaire, sans interlocuteur bien identifié, tout en restant au fond d’eux-mêmes curieux d’apprendre.

4.1. Un espace et un temps scolaire humanisé pour les élèves

Les nouvelles grilles horaires du dispositif 6ème/5ème entraînent une modification profonde de l’organisation de la journée des élèves. Plus longue, elle permet aussi d’éviter les retours de fin de journée scolaire au domicile familial hors de la présence parentale. Elle doit nécessairement comporter des plages plus longues pour les repas, des moments de simple repos, et un temps de loisirs culturels et sportifs. Afin d’assurer la transition entre la journée de CM2 passée avec un seul maître et celle de 6ème où l’alternance entre disciplines est la règle, nous proposons de regrouper les enseignements fondamentaux par plages de 1h30 ou 2h : l’émiettement de la journée serait ainsi limité. On pourrait également songer à renforcer les échanges de services entre professeurs des écoles qui se pratiquent déjà au cycle

3. La création en 6ème de plages horaires plus longues pourrait également être de nature à favoriser des co-interventions d’enseignants de disciplines différentes pour permettre des approches croisées (et à ce titre élargies aux autres classes du collège). A ces différents temps de la vie scolaire doivent correspondre des lieux appropriés. Comme en antipsychiatrie, une simple amélioration du milieu favorise des attitudes plus positives, et on ne peut que regretter l’impensé de l’architecture scolaire. Des situations d’urgence demeurent : le calvaire des sanitaires (lieux dont il faut repenser la configuration, les facilités d’entretien, et si nécessaire la surveillance, pour une utilisation plus hygiénique et respectueuse), les pauses déjeuner trop pressantes, une restauration scolaire soumise aux " marchands de soupe ". De ce point de vue, les élèves doivent être davantage impliqués dans l’entretien des locaux et dans la chaîne de restauration scolaire depuis la rencontre avec les producteurs locaux (qui doivent être davantage pris en compte) jusqu’au traitement des déchets alimentaires. Sur toutes ces questions d’entretien et de réparation du matériel, de fonctionnalité et d’embellissement des lieux scolaires d’intérieur et d’extérieur (plantation, floraison), d’hygiène et d’alimentation, le rôle pédagogique des agents d’entretien et de restauration doit être particulièrement développé et conforté. Sur tous ces sujets, on n’hésitera pas à leur confier des séances d’initiation à destination des élèves. La présence des adultes doit également être renforcée pour assurer un meilleur accompagnement éducatif des élèves. L’anonymat qui prévaut aux entrées et sorties devrait, en particulier, pouvoir être compensé par la résidence dans chaque établissement d’un nouveau fonctionnaire des collectivités locales : un concierge-éducateur

IV- Un nouveau climat de confiance entre élèves, parents, enseignants et chefs d’établissement formé ad hoc.

On n’oubliera pas que, dans le dispositif proposé, les futurs enseignants, en formation initiale donc, interviennent dans l’accompagnement éducatif : on leur proposera un double rattachement, administratif à leur centre de formation, et pédagogique à leur établissement.

4.2. Des conditions favorables au travail collaboratif des enseignants

La question est régulièrement posée d’un allongement statutaire de la présence des enseignants dans les établissements. Deux types d’arguments sont convoqués : un coût diminué pour le budget de l’Etat, un meilleur encadrement et suivi des élèves. Poser ainsi le problème, c’est oublier que les enseignants ont besoin de travailler hors de l’école pour des raisons d’équilibre psychologique et de ressourcement intellectuel et culturel (travail en bibliothèque, accès aux manifestations culturelles et conférences, documentation et lecture…). C’est aussi oublier que leur temps de présence s’est déjà fortement accru depuis vingt ans par les innombrables tâches et réunions qui se sont empilées avec les réformes successives, mais aussi par l’impérieuse nécessité de renforcer la cohérence et la cohésion éducative en fonction des difficultés rencontrées sur le terrain, notamment les phénomènes d’indiscipline et de violence. Plutôt qu’une modification des services qui trouverait sa parade sous la forme d’une résistance larvée, il paraît plus efficace d’améliorer les conditions de travail des enseignants, de créer des lieux et des moments - une heure de concertation par quinzaine incluse dans les services actuels - pour une meilleure écoute des élèves, pour des échanges améliorés entre collègues, et aussi entre professeurs et autres acteurs de la communauté éducative. Autrement dit, faire confiance au professionnalisme des enseignants tout en les stimulant pour travailler plus collectivement. Ainsi, on pourrait songer au partage d’un bureau entre quatre ou cinq enseignants, à une dotation en ordinateurs (alors qu’il existe des offres pour les élèves), à un véritable lieu de détente, à une amélioration de l’espace de restauration et de l’offre de repas (qui ne saurait être une simple tolérance comme le font régulièrement remarquer les attachés d’intendance). Il faut enfin mieux prendre en compte la pénibilité particulière de l’enseignement en zone difficile (RAR, zones sensibles, ZEP...) en prévoyant des allègements de cours pour les enseignants qui s’y investissent.

4.3. Des rôles clarifiés entre parents et enseignants

Il faut collectivement répondre à ces deux questions : Qu’est-ce que la famille est en droit d’attendre de l’école ? Qu’est-ce que l’école est en droit d’attendre des familles ? Il convient donc de trouver des modalités concrètes qui permettent aux parents de mieux s’approprier l’école, et à leurs enfants de s’y sentir plus à leur aise, tout en traçant des frontières nettes entre les familles et les personnels des collèges. Les enseignants doivent vaincre leurs réticences à entrer dans un domaine qu’ils considèrent comme relevant de la vie privée : ils ne doivent pas hésiter à évoquer avec les parents les questions proprement éducatives. Ainsi, par exemple, pour dire à des parents pourquoi il est préférable de ne pas avoir une télévision, un ordinateur, un jeu vidéo dans une chambre d’enfant (ce n’est pas violer l’intimité que de le faire). Sur ce sujet précis, une prise de parole ministérielle en direction de l’opinion publique serait la bienvenue. Quant aux parents, ils doivent être associés plus systématiquement, en tant qu’acteurs et non comme simples récepteurs, aux manifestations culturelles ou à des séances d’information sur les métiers où leurs expériences professionnelles pourraient trouver à s’exprimer. Mais parvenir à des clarifications dans les rôles respectifs suppose de former les enseignants à conduire des relations avec les familles mais aussi de pouvoir proposer des " formations " aux parents concernés, qui sont plus demandeurs que ce qu’imaginent les enseignants. Il faut également rappeler aux enseignants que les parents, souvent de milieux populaires, ne sont pas à l’évidence démissionnaires lorsqu’ils semblent éloignés de l’institution scolaire. Ils se trouvent bien souvent dans une logique que des sociologues ont appelée la " logique de la remise " : on fait confiance à l’école et donc " on s’en remet " à elle, ce qui suscite beaucoup de malentendus.

4.4. Une salle collégiale pour les parents et les associations agréées

Comment amener les parents à l’école, en dehors des quelques demi-journées (3 fois par an) de rencontre parents-professeurs ou des conseils de classe ? De nos jours, les parents sont surtout invités à l’école pour parler des difficultés scolaires de leurs enfants, d’où une relation peu apaisée avec l’école. Quelques propositions :

1. les sorties scolaires, malgré les nombreuses contraintes de réglementation et la lourdeur des dossiers à monter, sont une occasion de nouer des relations avec les parents ;

2. la création de " journées " : présentation des projets d’élèves, orientation, portes ouvertes ;

3. la classe virtuelle (avec le risque d’" inspection " des parents ?) ou à défaut " l’agenda de classe en ligne ", idée pénible pour les professeurs, mais nécessaire pour le dialogue avec les parents.

4. organisation de conférences mensuelles proposées aux parents par les enseignants ;

5. profiter de l’expérience des parents qui pourraient participer à des actes bénévoles et ponctuels d’enseignement et à des présentations de métiers ou de filières professionnelles : pour éviter la confusion des genres, ces séances auraient lieu au CDI ou dans les salles dédiées aux conférences, plutôt que dans les salles de classe (principe de la coéducation) - veiller toutefois à prendre en compte les inégalités sociales des parents face à ce genre d’activités

6. ouverture des classes aux parents pour un cours par an (" portes ouvertes " de la salle de classe) : trouver une modalité pour que cela n’aboutisse pas à de l’ingérence parentale ;

7. fête d’intégration pour les parents comme pour les enfants, en début d’année scolaire plutôt qu’à la fin. Enfin, un lieu reste à inventer dans les établissements pour l’accueil en journée des parents à titre personnel, de leurs fédérations, mais aussi des associations agréées et intervenantes dans le collège. Stratégiquement, cette salle des parents et des associations gagnerait à être implantée en proximité de la salle des professeurs.

4.5. Des enseignants pleinement responsables de 25 % de la DHG

Une des sources de la réticence des enseignants face aux réformes depuis vingt ans a été leur caractère bureaucratique ou managérial (ou perçu comme tel). De plus, les appels à la prise d’autonomie des équipes sont restées lettre morte, faute de moyens. Aussi proposons-nous de doter l’équipe enseignante d’une part importante de la DHG (dotation horaire globale = les moyens en heures d’un établissement) soit 25 %. Cette proposition n’a de sens que si les horaires obligatoires des deux dispositifs 6ème /5ème et 4ème/3ème sont fixés par arrêtés, et cela afin d’éviter de faire gérer par les enseignants la pénurie des postes et des moyens. Dans le même esprit, des missions pourraient être confiées à des enseignants : ainsi les stages, les voyages scolaires, la question de l’ouverture culturelle, les relations avec les parents ou les autres partenaires d’un établissement. On pourrait songer à une désignation suite à des élections et sous la forme des décharges sur le temps de service. En aucun cas, il ne s’agit de développer un nouveau corps de professeurs-relais de la hiérarchie.

4.6. Une administration-ressource : un nouveau binôme à la tête des collèges

Avec les années 2000 et la mise en place de la LOLF, le bon chef établissement désormais est celui qui économise. En échange, il peut obtenir quelques consolations, maigres palliatifs (quelques assistants d’éducation aujourd’hui par exemple). Les temps sarkozystes se caractérisent par une amplification du phénomène et le passage de l’obéissance simplette et servile à l’osmose : le chef ne doit plus seulement exécuter, il doit si possible devancer les attentes de sa hiérarchie. Le caporalisme devient la règle. C’est dans ce contexte qu’il faut analyser l’état actuel du projet d’établissement. Sans doute a-t-il été le plus souvent une coquille vide, depuis sa mise en place. Malgré tout, il avait permis une forme de réflexion. Aujourd’hui, il se réduit à un planning des injonctions que donne le rectorat. La culture du chiffre qui prévaut désormais dans l’Education nationale y atteint son point caricatural. Il est imaginé un nouveau binôme à la tête des établissements : un chef d’établissement recruté selon le système actuel et un poste d’adjoint tournant confié à un enseignant désigné par l’équipe éducative sur une liste départementale de postulants, pour un mandat de 3 ans par exemple, non renouvelable. Sa mission serait par exemple de gérer la question ultrasensible des emplois du temps. Plusieurs avantages à ce dispositif : l’adjoint " tournant " exercerait une influence stimulante sur le principal de collège, l’adjoint faciliterait l’expérimentation et enfin, les enseignants qui auraient exercé ces fonctions pourraient constituer une pépinière de futurs chefs d’établissement. Ajoutons que ces formes de responsabilisation des enseignants seraient de nature à réduire le clivage très fort dans le second degré entre la hiérarchie (" l’Administration ") et les enseignants qui critiquent la hiérarchie mais n’ont au fond aucune envie de se confronter aux questions d’intendance. Inversement, il serait bienvenu d’imposer aux chefs d’établissement, et aux inspecteurs, de conserver un service d’enseignant dans leur discipline d’origine sur quelques heures par semaine.

Annexe 1 

 

Nouvelle répartition horaire en 6ème et 5ème

 

Cette organisation vise à faire réaliser par les élèves de 6ème et de 5ème l’ensemble du travail scolaire dans l’établissement, sous la conduite et l’encadrement des professeurs et/ou des étudiants se destinant au concours d’enseignement. Elle a pour finalité une prise en charge autonome du travail scolaire par l’élève. 

 

 

 

 

Cours classe entière

Travail Personnel

Activités dirigées

 

Français

3h

(2h)

1h

Mathématiques

3h

(2h)

1h

LV1

2h

(2h)

1h

Histoire-géo, Education civique

3h

(1h)

1h à partager avec

sciences et techno.

Technologie

0,5h

(2h)

 

Arts plastiques

0,5h

(2h)

 

Education musicale

1h

(1h)

 

Education physique

3h

(1h)

 

Total obligatoire

17h

(15h)

 

 

 

 

 

 

 Les horaires entre parenthèses sont en groupe à effectif restreint

 
 

Le total de l’horaire obligatoire est de 32 h ; ce total constitue à la fois le temps de présence en établissement et inclut la totalité du travail personnel d’exercice, de recherche et d’appropriation. Son volume n’est acceptable qu’à la condition que l’élève sorte du collège sans avoir à se remettre au travail à la maison. 

C’est une condition essentielle. 

Une telle organisation entraîne nécessairement d’importantes modifications pédagogiques allant dans le sens d’un travail plus impliquant et intensif des élèves et d’un suivi plus attentif de ce travail. L’heure commune d’aide à l’histoire-géographie, aux sciences et à la technologie doit être discutée en conseil de classe après discussion avec l’élève. 

Cette organisation suppose une dotation de 17 h d’enseignement par sixième et cinquième pour les heures de cours là où l’on accorde aujourd’hui 25 h, mais une dotation d’une trentaine d’heures pour toutes les activités de travail personnel et dirigé actuellement partiellement financées par l’accompagnement éducatif officiel. Une telle organisation supposerait de programmer de nouveaux recrutements d’enseignants, car une grande partie relève du travail direct avec le professeur. Le reste (une dizaine d’heures pour la deuxième colonne) peut être assuré par des professeurs en formation, par des assistants pédagogiques et par des assistants étrangers de langue. 

La dotation est de 3h pour l’aide au travail personnel (aujourd’hui 2 h). Il faudrait donc passer d’une dotation de 28h auxquelles s’ajoutent aujourd’hui 4 à 5 h d’études, d’accompagnement éducatif et de Projet Personnalisé de Réussite éducative (PPRE), soit environ 33 h, à une dotation de 43,5 h. C’est donc une bonne dizaine d’heures d’enseignement à financer en plus, sachant que les 33 h actuelles ne sont pas toutes financées en emploi, loin de là. Le coût peut paraître important, mais les élèves auraient tout à gagner à bénéficier d’un système plus efficace par l’abandon des dispositifs actuels, coûteux et fragmentés et leur intégration dans un ensemble cohérent assuré par des personnels bien formés. Mieux pris en charge, ils redoubleraient moins ou plus du tout ; et c’est donc aussi un gain au plan de l’utilisation des moyens. L’intégration du travail personnel et son suivi attentif ferait gagner en égalité.

Annexe 2

 

>Nouvelle répartition horaire en 4 ème et en 3ème (enseignements obligatoires)

 

 

 

Cours en classe entière

 

Travaux pratiques ou de groupes (1)

 

Heures projet (2)

Travail personnel

encadré (3)

 

Français

3h

1h

2h presse et

medias

ou pratique

théâtrale

ou connaissance de

l’espace urbain

4h à répartir entre

ces disciplines en

fonction du travail

demandé

 

Mathématiques

3h

1h

Langue 1

1h

2h

Langue 2

1h

2h

Hist-geo-ed.civ

2h

1h

Sciences de Vet T

 

1,5h

2h histoire des

sciences

 

Physique - Ch.

 

1,5h

Technologie

 

1,5h

 

 

Arts plastiques

 

1h

2h cinéma et

analyse image

 

 

Education mus.

 

1h

2h

 

Education phy.

4h

 

 

 

Total (4)

13/14

11,5

2

 

 

(1) demi classe

(2) trois projets annuels en 4ème à choisir parmi les champs désignés ; 2 projets semestriels en 3ème à choisir sur les mêmes champs ou sur d’autres.

(3) une planification des devoirs devrait permettre de fixer de façon prévisionnelle l’encadrement.

(4) nous ne faisons pas apparaître ici certains enseignements aujourd’hui optionnels comme le latin.

 

Tout est évidemment discutable dans une telle réorganisation des enseignements. C’est son esprit qu’il faut pour l’instant retenir. On tente de concilier l’objectif d’un renforcement des disciplines actuellement à faible horaire, le souci de privilégier le travail personnel des élèves, l’ouverture sur de nouveaux champs (théâtre, cinéma, histoire des sciences, urbanisme, média...), et l’amélioration des conditions d’enseignement dans toutes les disciplines. L’horaire reste chargé, mais c’est acceptable si le temps de travail à la maison est réduit.

La découverte de la vie professionnelle ne doit pas faire l’objet d’un enseignement particulier mais doit être beaucoup mieux intégrée aux différents champs disciplinaires. Les heures de projet sont aussi l’occasion de découvrir l’usage des savoirs. Il ne faut pas cacher qu’un tel projet a un coût très important et nécessiterait une programmation de long terme et des recrutements d’enseignants. Il faut cependant remarquer qu’un tel projet aurait pu trouver un début de mise en oeuvre avec les 45 000 emplois d’enseignants supprimés dans le second degré depuis 2003.

 

Annexe 3

 

Collège 400 – simulation

 
 

Simulation pour une structure simple (sans Segpa) de type 4-4-4-3 (4 classes de 6ème…) sur une base mixte : 6ème/5ème avec encadrement pédagogique complet et système actuellement en vigueur 4ème/3ème.

 

MATIERES

DIVISIONS

H CL ENTIERE

TP… AP

TOTAL DGH

FR

4 cl 6è + 4 cl 5è

3

2               1

48

MATHS

4 cl 6è + 4 cl 5è

3

2               1

48

LV1

4 cl 6è + 4 cl 5è

2

2               1

40

HG

4 cl 6è + 4 cl 5è

3

1               1

40

SVT

4 cl 6è + 4 cl 5è

1

2

24

TECHNO

4 cl 6è + 4 cl 5è

0.5

2

20

AP

4 cl 6è + 4 cl 5è

0.5

2

20

MUS

4 cl 6è + 4 cl 5è

1

1

16

EPS

4 cl 6è + 4 cl 5è

3

1

32

TOTAL

8 DIV

17

15               4

288

 

Si on y ajoute la DGH du système actuel pour les 4ème/3ème (env. 220 h), le total serait donc d’environ 508 h. La comparaison avec la DHG actuelle (env. 460 h) laisse apparaître un différentiel de 50 h, soit environ 10 %. Mais, en convertissant en heures postes les HSE données pour l’accompagnement éducatif (900 HSE = 25 HSA), le différentiel se réduit nettement. Le coût de l’encadrement pédagogique complet en 6ème/5ème est donc minime pour la Nation.

 
Annexe 4
 

Pour une véritable politique de gauche dans l’EAD (enseignement à distance) et la FOAD

 
L’axe essentiel repose sur une mission exclusivement de service public, ce qui implique :

- l’abandon des secteurs commercial et concurrentiel ; - la gratuité ou la modicité des formations proposées. Il devrait s’articuler autour de deux axes, un axe renvoyant aux missions historiques du Cned (Axe 1) et un autre axe plus prospectif (Axe 2).

 

Axe 1 : Assurer la mission scolaire traditionnelle de l’EAD (enseignement à distance)

 

a) Proposer un enseignement initial destiné aux élèves « empêchés », du primaire au supérieur, dispensé en priorité par des enseignants affectés sur des postes adaptés, requérant la mise en place de dispositifs spécialement dédiés à ces différents publics (itinérants, malades, incarcérés…) ; b) Développer « l’accompagnement personnalisé », pivot des réformes menées dans l’enseignement secondaire, notamment au lycée, par la production de dispositifs de remédiation pédagogique permettant de personnaliser chaque parcours scolaire selon deux formules, en autonomie ou avec tutorat (cf. par exemple l’offre Atoutcned consultable sur http://www.atoutcned.fr). Cette offre aurait le double avantage d’éviter aux familles le recours à des officines privées n’offrant pas de garanties didactiques clairement établies et de rendre sans objet la politique de défiscalisation actuelle socialement inégalitaire) c) Fournir des ressources numériques aux élèves et à leur famille dans le cadre de la nouvelle académie en ligne AEL (cf. www.academie-en-ligne.fr) ainsi que des compléments d’enseignement en cas de force majeure mais jamais au détriment de l’enseignement présentiel en établissement qui doit demeurer le lieu essentiel de socialisation des élèves. d) Assurer la formation ouverte à distance (FOAD), initiale et continue, des agents des fonctions publiques d’État, territoriale, hospitalière ou du ministère de la Défense en mettant fin à l’externalisation de ces formations vers le marché concurrentiel d’entreprises privées, dont la mise en concurrence avec le Cned, par le biais d’appels d’offre, nuit à l’efficacité voire à la rentabilité de l’utilisation des crédits publics.

 

Axe 2 : Élaborer une véritable intégration des missions d’EAD et de FOAD du Cned au sein de celles du ministère de l’Éducation nationale

a) Pour travailler en concertation avec les EPLE : - en concevant un cartable numérique initié par l’Éducation nationale et destiné à être distribué dans tous les EPLE - en les aidant dans la mise en oeuvre de « l’accompagnement personnalisé » - en proposant un programme de contenus pédagogiques dans les établissements scolaires, qui serait dévolu à des éducateurs spécialisés pour la prise en charge de la violence scolaire, idéalement dans le cadre d’un enseignement vicariant (préceptorat).

b) Pour travailler en complémentarité avec les autres organismes publics (l’INRP, l’ONISEP, le CNDP, l’INA) de façon à mutualiser ressources et moyens existants en recherche, orientation, documentation et pratiques pédagogiques afin d’éviter la dilution des analyses et de leurs résultats qui restent trop souvent juxtaposés, voire mis en opposition faute d’interactions entre ces organismes publics

 

Pour aller plus loin: le site du Laboratoire des idées