Pessimisme et espoir se croisent dans ce témoignage d'un enseignant en milieu carcéral, qui pointe du doigt les insuffisances de la prison.

Et là vivent des hommes est un texte sombre. Le lecteur retiendra certes les lumineux moments de bonheur d’un enseignant qui réussit à ouvrir les détenus d’une maison  d’arrêt à la lecture, au calcul, à l’écriture ou tout simplement à l’autre. Mais il constatera surtout le pessimisme profond d’un intervenant pour qui "la prison est bien le pire endroit que l’on puisse imaginer pour envisager une quelconque réinsertion".

Patrick Leterrier, professeur des écoles tout frais émoulu de l’IUFM, a choisi d’enseigner à la maison d’arrêt de Cherbourg. Une seule classe pour tous les niveaux, de l’illettré (20% des détenus) au diplômé du supérieur (plus rare). Son "public" est constitué surtout des jeunes destructurés qui n’ont connu de l’école que les difficultés et la rébellion.

Seuls les détenus volontaires viennent en salle de classe. Quelques uns sont motivés par le désir d’apprendre, tel ce manouche qui souhaite enfin savoir lire et écrire. Mais la plupart ont une motivation plus basique : sortir de la cellule, s’extraire de l’enfermement, rencontrer un intervenant extérieur, échanger, parler, discuter.

Car Et là vivent des hommes est tout autant le récit d’un pédagogue et d’un formateur qu’un témoignage édifiant sur la condition carcérale dans la maison d’arrêt de Cherbourg. Évoquer ces élèves, leurs appréhensions, leurs réactions, leurs préoccupations, c’est évoquer les conditions de vie dégradantes qui sont les leurs et qui rendent vaines tout projet pédagogique un peu construit et durable.

Comment se lever tôt pour aller en classe quand on n’a pas pu dormir de la nuit parce que la télévision est restée allumée ? La vie en prison est à l’inverse de la vie en société : on préfère vivre la nuit et se lever tard, les jours se suivent et se ressemblent dans l’oisiveté et la déresponsabilisation.

Souvent alcooliques et/ou toxicomanes lorsqu’ils sont incarcérés, les détenus ont les plus grandes difficultés à se concentrer. L’enseignant tente au moins de renouer avec un désir d’apprendre et de s’ouvrir sur l’autre. Mais il est seul et doit gérer des situations qui relèveraient davantage de la psychiatrie. Pas de projet professionnel, les ambitions pédagogiques sont réduites au minimum, sans que l’administration, qui incite peu les détenus à aller en classe, constate l’auteur, s’en préoccupe vraiment.

La conclusion est logiquement sévère : "j’ai acquis la conviction que ces conditions de détention sont indignes du respect que l’on doit à tout être humain, qu’elles sont génératrices de conflits, de haine, de violence et vont à l’encontre de ce qu’il conviendrait de faire, à savoir tenter de rendre des individus plus sociables."


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crédit photo : Pictr 30D / flickr.com