De la destruction familiale à la filiation juridique contemporaine.

Et si ma femme était mon père, voilà le titre de l’ouvrage de Christian Flavigny, titre irréaliste et utopique diraient nos ancêtres, titre provocateur, diraient les uns et titre réel et moderne selon la culture anglo-saxonne. L’auteur se situe à l’heure des lois bioéthiques   .

L’ouvrage sur les nouvelles familles gamètes porte un titre globalisant. Il englobe notamment le fait qu’un enfant est conçu par plusieurs personnes adultes à travers une fécondation aidée, donnant ainsi naissance à la notion de la “parentalité artificielle” au lieu d’une parentalité naturelle. Il s’agit, pour la plupart des cas, d’un gamète fourni, d’un utérus prêté, d’un statut de parent intentionnel. Toutes ces questions qui nécessitent une fécondation artificielle constituent un mouvement qui présente plusieurs avantages dont la possibilité d’avoir un enfant pour les couples stériles mais aussi des inconvénients dont notamment la difficulté de déterminer l’origine exacte de l’enfant, une situation de nature à entraîner comme le dit Christian Flavigny, “une tempête sur la famille”   .

L’auteur se pose plus largement la question de savoir si “une mère peut porter l’enfant de sa fille, si un père peut donner son sperme à son gendre infertile pour que sa fille soit enceinte, si une grand-mère peut être mère, si un mort peut procréer, si un enfant peut être conçu dans le but d’être une banque d’organe, de sang pour un frère ou une sœur aînée malade…”. Pour y répondre, l’auteur souligne que la vie sociale interdit l’inceste d’une part et qu’il faut éviter le “rabaissement généralisé de la vie amoureuse”.  

Christian Flavigny parle de l’enjeu affectif du don qui ne détermine plus les parents car la levée de l’anonymat ferait entrer dans la famille le donneur du sperme, la donneuse d’ovocyte ainsi que la gestation pour autrui. L’auteur s’interroge sur les questions actuelles de la filiation. De façon brève, la filiation peut être définie comme un lien juridique de parenté unissant un enfant à ses parents ou à l’un des deux  

L’auteur s’interroge également sur l’accouchement sous X et sur l’homoparentalité   . Le débat actuel tourne autour de nécessités sociologiques liées aux souffrances de ne pas être parent, de ne pas connaître ses origines biologiques et autour des exigences juridiques relatives à la législation sur les bouleversements induits par le développement de la procréation assistée.

L’auteur situe la problématique dans la modernité pour justifier l’existence de plusieurs avis divergents sur ce point. En effet, Et si ma femme était mon père, ce titre imagé et significatif, pose plusieurs questions dont la celle de la conception volontaire des jumeaux, la conception d’un bébé type, de la transmission des gamètes ou des embryons, et même de l’enfant sur mesure. Il y a aussi la question liée à la programmation de l’enfant selon des besoins passés, actuels et futurs des nouveaux parents.

Tenant compte de toutes ces questions, ne faudrait-il pas réintroduire la place des donneurs et des mères porteuses dans l’architecture juridique actuelle ? La définition juridique de la place du donneur ou de la mère porteuse permettrait de hiérarchiser “l’ordre de la filiation” en distinguant l’ordre des donneurs, des mères porteuses et l’ordre des parents. Une telle hiérarchie présenterait l’avantage de lever l’anonymat, de donner un peu de place au donneur et à la mère porteuse   ou tout simplement cette hiérarchie donnerait juridiquement de la valeur aux différentes origines de l’homme.

Cette question se complique lorsqu’elle met en évidence d’autres besoins tels que notamment l’image historique et prospective de l’enfant à venir, les origines géographiques et la personnalité du père ou de la mère avant la conception de l’enfant. La grande question serait alors celle de savoir si une telle hiérarchisation des pères et des mères ne consisterait qu’à mettre en rivalité les mères porteuses et les “parents biologiques”   et les “parents juridiques”   .

Quant à la question des nouveaux gamètes, au centre de nombreux débats en biologie, en droit et en politique depuis plus de trente ans, il est remarquable que plusieurs acteurs, dont Christian Flavigny, pour signaler le bien fondé du statu quo, le font de façon conservatoire et non du point de vue évolutionnaire. Je parle de l’évolution, mais il s’agit aussi de la révolution pour que “les nouvelles familles gamètes” soient juridiquement reconnues en France. Il faudra sans doute comprendre que le don doit être conçu comme un don relationnel qui crée des liens nouveaux entre les parents biologiques, juridiques et les donneurs ainsi que le cas échéant, les mères porteuses.

Cette vision révolutionnaire pour les uns ou cette tendance évolutive de la société et du droit selon les autres, pose alors la question de la théorie de la continuité juridique et bioéthique. Elle soulève également les questions juridico-éthiques de la filiation   .

Dans le premier cas, la filiation de l’enfant né sera légitime, si les parents sont mariés, et naturelle, s’ils ne le sont pas. Dans le second cas, en cas d’insémination artificielle avec le sperme d’un tiers, de fécondation in vitro avec recours à des gamètes extérieurs au couple ou de transfert d’embryon, l’homme infertile marié sera considéré comme le père légitime de l’enfant, la voie du désaveu ou de la contestation lui étant fermée. L’homme infertile concubin sera le père après reconnaissance, et la contestation de reconnaissance sera aussi impossible. Il y a, en conséquence, une impossibilité absolue pour un donneur de sperme de voir sa filiation établie vis-à-vis de l’enfant issu d’une PMA. Il existe cependant des cas où toute filiation est impossible : cas de l’inceste, de l’enfant trouvé ou de l’accouchement sous X.

Il faudra en déduire alors que la parenté n'est pas un état mais une relation, un lien juridique établi à partir de la naissance d'un enfant. Elle est une liberté fondamentale et non un droit qui donnerait lieu à une créance ou qu’on pourrait opposer à une obligation conséquente.

Ainsi, la dimension institutionnelle et la dimension sociale de la modernité médicale qui existent déjà au sein de la société trouveront leur légalité et en conséquence leur application dans le respect de la loi sur la filiation. Autrement dit, sur le plan institutionnel, la modernité médicale doit être accompagnée par la modernisation de la législation.  

Il faut, par ailleurs, déplorer le fait que l’auteur ne parle pas suffisamment de la transmission du don d’embryon alors que le statut d’embryon congelé existe bien dans la société. A cet effet, la décision du tribunal administratif d’Amiens du 9 mars 2004 fait jurisprudence. Ce tribunal s’est prononcé, pour la première fois, sur le statut juridique de l’embryon congelé et la possibilité d’obtenir réparation en cas de destruction accidentelle de celui-ci par un centre hospitalier. Le tribunal a refusé l'indemnisation du préjudice matériel des parents, au nom du principe de non patrimonialité du corps humain, et de leur préjudice d'affection, l'embryon n'étant pas considéré comme une personne. Dans le modèle anglo-saxon, l’aide médicale est une aide à la procréation faisant devenir parents l’homme et la femme, sans la relation d’enfantement, sans la rencontre affective et sexuelle. C’est en quelque sorte une notion de “parenté plurielle”   .

Selon l’article 6 du Code civil français, “on ne peut pas déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs”, il est donc indispensable de repenser les liens de filiation. En effet, il faut redéfinir non seulement la succession et le mariage mais aussi la question d’identité. L’important étant d’en déterminer la limite. La vision qu’un enfant doit se construire avec l’idée qu’il est né de plusieurs personnes (le père, le donneur et la mère) doit être juridiquement viable. Il s’agit là d’une façon d’éviter l’histoire de l’enfant caché avec ses avantages, certes, et ses inconvénients. Il faut également éviter que le statut de donneur ne soit pas uniquement celui de “pire don”, sans droit ni obligation. Il faut en effet, un vrai récit.  

Si le droit comble aujourd’hui une carence au niveau de la filiation et une adaptation de la loi à l’évolution de la société, il faut que le code civil présente un nouveau chapitre sur les conditions modernes de la parentalité et donc de la filiation par rapport aux nouvelles familles gamètes. L’important est bien évidemment d’en déterminer les mécanismes d’application et leurs limites.

L’auteur, sans toutefois mettre en cause la modernité, mais son approche, pose les bases d’une réflexion juridique sur l’équilibre de la famille où le lien de filiation entre parent et enfant ne serait plus le pivot. Il insiste sur le fait que la famille devient une micro-société régie par les lois sociales et régulée par les procès, avec selon l’auteur, “une justice qui ne s’embarrassera pas longtemps de l’encadrement envisagé avec une naïveté peut-être feinte par une commission sénatoriale, vu que le juridisme raisonne sur la forme”   .

Par ailleurs, une origine humaine doit être conçue comme un droit et non comme une culpabilité. En conséquence, il est indispensable d’éviter le modèle de culpabilité du type “l’enfant caché”. L’auteur met au débat le fait que l’anonymat serve à éviter l’enfant otage et protège le conflit de loyauté. Pour lui, l’adoption sans l’anonymat signifie la cession de l’enfant. De même, lever l’anonymat est symbole d’un interdit d’oublier.

Il se pose la question de “l’enfant non connu”   par exemple, vers un modèle de responsabilité et de responsabilisation parentale. Ainsi, le fait de donner le statut juridique à une personne qui a contribué à la naissance de l’enfant n’est rien d’autre qu’une responsabilisation. C’est ce que l’auteur appelle les nouvelles familles gamètes, un courant, actuellement sans droit, qui traverse la filiation juridique actuelle. Il faudra alors créer sa place juridique dans la société.

La réflexion bioéthique doit être considérée avec ses incidences à la fois juridiques et sociales, tenant compte du progrès moderne de la médecine et de la demande sociale pour redéfinir l’architecture moderne de la filiation en droit français.

En définitive, il faudra s’appuyer sur "la théorie de la continuité”   dont l’un des objectifs est de rendre compte des nombreux cas dans lesquels un embryon, une cellule ou un organisme doit être compris selon une perspective de la filiation évolutive pour élargir le débat sur les nouvelles familles gamètes.

Christian Flavigny, en mettant en évidence des effets engendrés par les nouvelles familles gamètes, contribue à une plus large compréhension de la famille contemporaine et surtout, il pose une fois de plus, la problématique de la filiation en France. L’auteur, en s’adressant aux universitaires, aux chercheurs, aux étudiants et aux personnes averties ou non, a également le mérite d’avoir organisé de façon cohérente toute une discipline de “filiation” fortement en mouvement. Cet ouvrage me paraît sur le fond, un outil de modernisation juridique de la filiation.

Enfin, ce livre sur les nouvelles familles gamètes a le mérite de faire une large place aux travaux empiriques chaque fois que cela est nécessaire. L’auteur adopte en plus, une position idéologique claire et précise sur un mouvement sensible et complexe, celui de la filiation engendré par les nouvelles familles gamètes. Ce mouvement, difficile à arrêter, n’est pas juridiquement fondé dans tous les pays. Cependant, les débats et les luttes pour et contre existent dans plusieurs Etats industrialisés et en France en particulier