Peut-on faire l’histoire de la joie, de la colère, de l’ennui ? La réponse positive, mais contestable, des médiévistes réunis dans cet ouvrage.

En octobre 2010 se tiendra à Paris un colloque international sur « les usages sociaux de la honte » au Moyen Âge et au début de l’époque moderne ; il y a quelques mois, la Société internationale pour l’histoire culturelle organisait, en Finlande, une session consacrée aux « émotions » de l’historien et aux « émotions dans l’histoire ».
Les historiens n’en sont pas à leur première tentative d’ériger les émotions en légitimes objets d’étude. En 1941, Lucien Febvre, inspiré par les théories psychologiques de son temps, les avait presque intégrées au programme de l’école des Annales, en prêchant l’avènement d’une histoire des sensibilités   . Georges Lefebvre s’était montré pionnier avec son histoire de la Grande Peur de 1789    ; quant à Jean Delumeau, il en avait été le digne successeur en élargissant l’étude de cette émotion à l’Occident de la fin du Moyen Âge   . En dépit de ces premiers essais incarnant le tournant des mentalités pris par les Annales dans les années 1950-1970, l’histoire s’est ensuite trouvée à la traîne de l’anthropologie et de la philosophie, qui ont très tôt assimilé, mais aussi critiqué, les apports des sciences cognitives et des neurosciences en la matière. Dans les années 1980, les premières se sont en effet emparées de l’objet « émotion », jusqu’alors largement construit par les secondes.


Mais voilà une dizaine d’années qu’une vague d’émotions venue des États-Unis   , submerge l’historiographie française, tout particulièrement l’histoire du Moyen Âge, sous la férule de Damien Boquet et Piroska Nagy, organisateurs de séminaires et de colloques   ), coordinateurs d’ouvrages importants sur le sujet, dont Le sujet des émotions au Moyen Âge, paru il y a maintenant un an. Ce livre, magnifiquement édité, est l’occasion d’un retour approfondi sur les raisons d’être et l’impact de ce courant historiographique. Non seulement parce que la rhétorique du manifeste le caractérise, mais aussi parce que celles et ceux qui n’y participent pas de près ou de loin se sont peu prononcés à son sujet. Dans le cadre de cette recension, nous n’interrogerons pas les raisons institutionnelles d’un tel engouement, mais nous contenterons de retracer quelques-uns des axes de ce programme d’études.

Les émotions : entre théorie et historiographie

La partie introductive de l’ouvrage, constituée de l’article de Nagy et Boquet, « Pour une histoire des émotions. L’historien face aux questions contemporaines », ainsi que de l’étude de psychologie cognitive d’Annie Piolat et Rachid Banmour, reviennent sur les distinctions opérées par la philosophie, la psychanalyse, puis les sciences cognitives, entre émotions, affects, passions et sentiments. En effet, ces différents termes ne définissent ni ne décrivent la même réalité psychique et corporelle. Plus encore, la diversité des langues brouille les pistes : l’Affekt allemand, par exemple, ne correspond ni à l’emotion anglaise ni à l’émotion française. L’introduction magistrale signée par Boquet et Nagy nous éclaire donc sur la polysémie contextuelle de chacun de ces concepts, ainsi que sur les différentes théories modernes des émotions.
Développée depuis le XVIe siècle, la théorie organique repose sur l’idée selon laquelle l’émotion est localisée dans le corps. Au XIXe siècle, l’un de ses représentants les plus fameux, Darwin, considère que les émotions permettent à l’organisme de réagir par des comportements appropriés face aux dangers de l’environnement. Quant au philosophe William James, il réduit l’émotion aux sensations et aux changements corporels en réaction à un stimulus.

Mais dans les années 1950-1960, la psychologie insiste au contraire sur l’enracinement psychique des émotions. Les neurosciences et les approches biochimiques actuelles établissent elles aussi un lien entre l’émotion exprimée physiquement et ses prolongements cognitifs   . Pour les philosophes issus de la tradition analytique tels que Ronald de Sousa ou Jon Elster, les émotions font partie d’une « topographie » de l’esprit et doivent être étroitement articulées à l’étude d'autres activités telles que la perception, l’imagination ou encore la croyance. Dans certaines études, les émotions sont même caractérisées comme des formes de jugement et d’évaluation des situations à part entière   .


Enfin, Boquet et Nagy dégagent une théorie constructiviste insistant sur la construction sociale des normes émotionnelles   . Cette idée est aussi bien défendue par des anthropologues   que par des philosophes. Amélie Rorty considère ainsi que le « répertoire émotionnel » d’une personne ou d’une société est structuré par les arrangements politiques et économiques, qu’ils renforcent à leur tour. Elle assigne en effet aux émotions un rôle moteur dans la conduite de la vie individuelle et collective   . En histoire, cette position constructiviste a pu faire douter de la traductibilité des émotions du passé en un langage moderne.
Cependant, la dite discipline a longtemps été floue dans les emplois divers qu’elle pouvait faire du terme même d’« émotion » (dans son article de 1941, Febvre confond ainsi sensibilités et émotions). Surtout, elle a longtemps posé l’émotion en antithèse parfaite de la raison, plaçant ainsi les sociétés émotives du côté de la déraison, pour ne pas dire de l’irrationalité. Dans les années 1920, Huizinga, un géant de la médiévistique internationale, ne manque pas de dépeindre un Moyen Âge à la fois violent, cruel et infantile   . Le travail fondateur de Norbert Elias sur le processus occidental de civilisation se situe lui-même dans le prolongement de ce vocable imprécis et maladroit propre aux grandes fresques. Sa thèse, selon laquelle la culture de cour de l’État absolutiste se serait progressivement et verticalement diffusée dans les différentes strates de la société, marque durablement l’historiographie, jusqu’à la fin des années 1970, et repose en partie sur la représentation fantasmée d’un Moyen Âge tout en brutalité   .


Le couple antinomique raison-émotion a dominé l’histoire aussi bien sociale que des mentalités. Même dans le cadre de l’« émotionologie » fondée en 1985 par un couple d’historiens américains, les émotions semblent faire face à un mur de normes, de règles et de contraintes qui les canalisent ou les digèrent. Cette nouvelle discipline tente en effet de décrire « les normes qu’une société ou un groupe identifiable de la société maintiennent face aux émotions basiques et leur expression appropriée, et les manières dont les institutions reflètent et encouragent ces attitudes dans le comportement humain »   . Or, l’un des apports majeurs de l’ouvrage collectif Le sujet des émotions au Moyen Âge, comme des parutions qui l’ont précédé   , est de prendre acte de l’archaïque distinction entre raison et émotion, pour les fondre en une seule et même activité cognitive. L’histoire des émotions pose donc désormais la question de la possibilité d’une histoire sociale de la cognition.
En 2002, Barbara Rosenwein distinguait deux grands chantiers au sein desquels l’étude des émotions prenait place, du moins aux Etats-Unis : l’histoire de la famille, et celle des sociétés fondées sur l’honneur. Depuis, les travaux se sont multipliés, y compris en France. Il suffit de penser aux recherches de Sophie Wahnich, qui s’intéresse notamment à la façon dont l’activité politique des révolutionnaires de 1792-1793 s’appuie sur, se légitime par, et traduit les émotions collectives du peuple souverain (effroi, vengeance, terreur)   . L’une des failles de son travail réside cependant dans le flou conceptuel qui entoure les termes qu’elle utilise pour décrire ces émotions   . Un grief, au contraire, que l’on ne saurait faire au Sujet des émotions au Moyen Âge.

La catégorie d’émotion

Les coordinateurs de l’ouvrage se donnent en effet une définition, idéal-typique pourrait-on dire, des émotions. Selon l’historien de la philosophie Thomas Dixon, c’est aux XVIIe-XVIIIe siècles que l’émotion a été conçue comme un ensemble de sensations affectives involontaires, non cognitives, corporelles et moralement désengagées   . Partant de là, Boquet et Nagy entendent donc par « émotions »  « le territoire des phénomènes affectifs transitoires de plaisir-déplaisir, de désir-répulsion, dans l’infinie diversité de leurs configurations, qui sont associés par le sujet à l’évaluation de la situation vécue »   . Impliquant une évaluation, l’émotion n’est pas la sensation ; et relativement fugace (du moins selon les deux auteurs), elle n’est pas non plus le sentiment plus stable dans le temps.
Les deux auteurs s’interrogent ensuite sur la manière dont, au Moyen Âge, ces phénomènes affectifs se disaient (d’autant que le terme d’esmotion n’apparaît qu’en 1534 dans la langue vulgaire). Rosenwein, qui a déjà consacré plusieurs études à cette question   , rappelle que la première étape du travail de l’historien des émotions est lexicologique : il convient de relever et quantifier les occurrences des termes qui désignent les émotions médiévales. L’historienne explore donc les émotions du passé à travers les mots que les gens de l’époque employaient. Elle conclut que Cicéron a fixé une majeure partie du vocabulaire des émotions du Haut Moyen Âge. Boquet, quant à lui, fait l’histoire du vocabulaire philosophique de l’affect autour du XIIe siècle   .


Cette approche est toutefois problématique, à plus d’un égard. D’abord, elle semble partir du présupposé théorique selon lequel nous disposerions des mêmes « ressources » ou de la même « complexion » émotionnelles que les gens d’il y a quinze ou vingt siècles. La seule variation résidant alors dans la façon de nommer ce substrat naturel. Ensuite, le travail lexicologique, aussi nécessaire soit-il, ne peut suffire. Un mot « désigne »-t-il, « connote »-t-il, « signifie »-t-il une émotion ? Cette question d’ordre sémantique n’est pas soulevée dans la contribution de Rosenwein. Il conviendrait pourtant de s'interroger sur la manière dont les significations des énoncés se construisent et fonctionnent, à défaut de se donner une théorie globale sur la question. Enfin, rien ne garantit jamais la justesse d’une traduction, toujours approximative – comme Rosenwein ne manque pas de le souligner. D’un point de vue plus radical, nous pouvons même douter que les catégories « indigènes » des auteurs du VIe siècle coïncident jamais avec nos catégories « savantes » : « ... quelle communauté de pensée pouvons-nous donc avoir au début du XXIe siècle avec des textes rédigés il y a des siècles, voire des millénaires ? »   . Ce qui, pour nous, relève du champ, linguistique et pratique, des émotions, ne l’est pas nécessairement pour les médiévaux, et inversement. On discerne là quelques-unes des difficultés méthodologiques auxquelles sont confrontés les auteurs du Sujet des émotions au Moyen Âge.


C’est donc au travers de cette question première du lexique, que celle de l’historicité des émotions ou des sentiments se pose. Selon Freud, l’Affekt, conçu comme trouble potentiel de la raison, serait universel ; seule la représentation que l’on pourrait s’en faire varierait. Des recherches plus récentes en psychologie et en sciences cognitives ont même cherché à isoler des émotions « élémentaires » transculturelles, comme la joie, la colère, la peur ou le dégoût, émotions dites « secondaires » culturellement construites, comme l’amour ou la nostalgie   . Les auteurs du Sujet des émotions, quant à eux, ne tranchent pas cette épineuse question. Mais en ne rejetant pas le parti pris naturaliste, ils hésitent à affirmer l’historicité radicale des émotions : « On pourrait dire que si les potentialités humaines peuvent être décrites en termes universels, leurs manifestations en revanche ne s’expriment que dans des formes concrètes, des configurations culturellement construites. »   . L’idée qu’un collectif donné puisse ne pas être tissé d’émotions, du moins puisse ne pas les exprimer ni les nommer, est ici exclue   , l’émotion n’étant pas considérée comme un trouble psycho-corporel purement culturel.
En admettant que les traces scripturaires ou iconographiques des sociétés passées attestent l’existence d’une vie sensible, les contributeurs de cet ouvrage en viennent bien entendu à se poser la question du traitement et de l’analyse de ces sources.



L’individu et son authenticité

Parce que nous associons communément les émotions à l’intimité, l’intériorité, l’incommunicabilité ou à l’équivocité, il est légitime de se demander quelles sont les traces du passé qui permettent à l’historien d’accéder aux émotions individuelles. Le livre ici discuté donne des éléments de réponse. Pour la période médiévale, il va de soi que nous ne pouvons observer les émotions des anciens, et que « nous n’en avons que des traces ténues et déjà codées »   . De l’aveu même des auteurs, « il faut bien dire que l’histoire des émotions, qui en est encore dans sa prime jeunesse, a bien trop à faire avec les textes qui disent, théorisent l’émotion ou bien avec les images qui la montrent ostensiblement »   . C’est là l’une des limites de cet ouvrage comme des numéros de revues qui l’ont précédé : si le corpus est vaste, les sources n’en restent pas moins majoritairement littéraires (hagiographiques pour beaucoup), philosophiques, et parfois iconographiques. Or, la dimension très codifiée ainsi que la signification institutionnelle et rituelle de ces sources ne sont souvent qu’effleurées. Pour le dire plus simplement, l’expression et la représentation des sentiments et des émotions sont prises comme allant de soi   .


Comme un excellent article de Gerd Althoff, paru dans un numéro d’Écrire l’histoire consacré aux émotions, le démontre   , le médiéviste ne dispose pas directement des modes d’expression des émotions, mais au mieux d’une représentation construite pour les appréhender. Or, les règles des gens du Moyen Âge central (Xe-XIIIe siècles) pour figurer, écrire, et signifier les émotions ne sont absolument pas fondées sur un régime de véracité et d’authenticité. La vérité de l’émotion vécue nous restant inintelligible, il faut s’en tenir au décryptage du code qui la met en scène et à l’analyse serrée des usages symboliques et fonctionnels de l’émotion dépeinte. Par exemple, lorsque l’empereur Otton Ier a déposé le pape Benoît V en 964, le chroniqueur Liutprand de Crémone rapporte qu’il a pleuré. Mais ses larmes ne découlent pas  d’un mouvement spontané du cœur ! En réalité, elles ne font que suivre la prescription d’un rituel   . Au même titre que les opinions personnelles, les émotions doivent donc faire l’objet d’une analyse institutionnaliste, qui les ramène au rang d’objets inestimables en termes d’authenticité ou de vérité des sentiments.


Leur corpus étant majoritairement hagiographique et théologique, les auteurs s’attachent d’avantage aux conceptions et aux théories des émotions qu’aux émotions vécues et aux pratiques, religieuses, politiques, esthétiques etc., auxquelles ces conceptions donnent lieu. Il s’agit en somme d’une histoire des représentations qui ne dit pas toujours son nom. On ne sait rien, par exemple, de la façon dont ces théories ont pu déteindre sur l’exercice du pouvoir ou sur les négociations marchandes. Dans leur article « Les théories des passions dans la culture médiévale », Carla Casagrande et Silvana Vecchio évoquent rapidement la dimension « morale et pragmatique » des théories qu’elles recensent, mais ne donnent finalement aucun exemple d’une pratique qui serait orientée par les discours tenus autour des émotions. Comme l’écrivait Gerhard Sauder en 1983, « une histoire des émotions, à distinguer d’une histoire de la théorie des émotions, reste à écrire », si tant est qu'elle soit réalisable et puisse surmonter certaines apories méthodologiques   .



Fausse révolution et sirènes de la compassion

Les émotions sont ainsi prises dans un tissu symbolique et institutionnel qu’il faut tenter de restituer. Isolée de ce tissu, l’émotion est une chimère, un concept qui n’est ni vraiment descriptif – on pense à l’article de Piroska Nagy qui, sous couvert d’évoquer les « émotions » d’une sainte de la fin du XIIIe siècle, rend plutôt compte des « sensations » de l’ascète, en particulier des souffrances physiques telles que son hagiographe les rapporte   –, ni réellement explicatif – puisque figées dans les textes philosophiques et littéraires, les émotions ne nous apparaissent guère motrices de la vie de l’époque.
Cet intérêt pour les émotions peut en revanche générer une nouvelle manière d’écrire l’histoire. Que l’on pense ici à la démarche empathique prônée par Ramsay McMullen qui souhaite faire sentir à son lecteur la force des émotions passées   , ou à la proposition faite par Wahnich d’une histoire « sensible » consistant à revaloriser l’intuition, en faisant un usage contrôlé de l’anachronisme, et en pratiquant le « présentisme » (compris comme l’interpellation du présent donnant sens à l’investigation du passé). Mais ce chantier stylistique et méthodologique est encore en cours.


Peu révolutionnaire, puisque situé au croisement d’une histoire des mentalités et d’une histoire des idées qui ne disent pas toujours leur nom, l’« emotional turn » réussit surtout à prouver empiriquement que le clivage rationalité/émotivité n’a plus de raisons d’être. Les sciences sociales se sont construites en jugeant l’homme à l’aune de ses progrès dans le sens d’une plus grande rationalisation de ses activités, de ses pensées, ou de son comportement social. Avec cette historiographie des émotions, se dessine un nouveau paradigme qui tâche de fournir une vision du sujet qui ne soit pas héritée des Lumières. Aussi la médiévistique en est-elle un bastion avancé. Le modèle éliasien, fondé sur une conception des émotions surgissant en nous contre notre gré et sans le contrôle de la raison   , est enfin balayé par cette série d’études, et, avec lui, le cliché d’un Moyen Âge puéril et violent.


Mais cette réhabilitation de l’individu sensible, aussi souhaitable soit-elle d’un point de vue théorique, ne se fait-elle pas au détriment d’une compréhension plus fine des déterminations collectives ? En substituant aux constructions institutionnelles et aux rapports de force sociaux la figure d’un sujet dont les actions, les décisions et les justifications sont empreintes d’émotionalité, on prend à la fois le risque de l’anachronisme et de la mésinterprétation. C’était d’ailleurs là le défaut du livre paru il y a quelques années sur la « consommation de la justice » à la fin du Moyen Âge   . Devenu tout puissant, l’acteur ne semblait motivé que par sa haine, son honneur, sa vengeance, lesquels sentiments venaient détrôner les statuts, les codes et les procédures expliquant pourtant en large partie ce qu’il était et ce qu’il faisait. Plus encore, assimilé à un consommateur défini par des « besoins », le justiciable se caractérisait par son envie de publiciser des émotions trop longtemps contenues. La fama publica devenait l’exutoire judiciaire d’émotions collectives, voyant ainsi  sa fonction procédurale quelque peu occultée (elle correspond à la collecte, par le juge, de différents témoignages dans le cadre d’un procès). Etait ainsi dépeinte une société essentiellement gouvernée et régie par le sens partagé de l’honneur, et fort peu par des règles institutionnelles et des rapports de pouvoir fixés par le droit.


Dans un ouvrage paru en 2008, Christophe Prochasson mettait en garde contre le « nouvel âge compassionel » qui, aujourd’hui, se met en place politiquement mais aussi épistémologiquement, atteignant ainsi la discipline historique devenue pour partie le prolongement du tout-émotionnel qui nous envahit, du culte de l’intime, et de la sacralisation d’une sphère privée rendue publique sous la forme de récits toujours plus pathétiques    . Sans vouloir faire de l’émotion un objet illégitime pour les historiens, il faut au contraire en réévaluer sans cesse la portée heuristique, et veiller à ne pas surinterpréter l’émotivité ou la sensibilité du sujet moderne dont le destin serait de souffrir intimement, au risque sinon de perdre de vue les formes de domination classiques, toujours bien présentes.