Le 'guitar hero' se raconte sans détours, avec une modestie et une maturité déconcertantes. Touchant.

C’est Clapton et rien d’autre. Son enfance, la naissance de son talent, l’apprentissage de sa vie de musicien professionnel, ses albums, ses tournées, ses excès, ses drames. Il ne livre aucune opinion. Ni sur la musique de son époque, ni sur le monde dans lequel il vit. Ni même sur lui. Il se commente peu, s’analyse à peine. La biographie d’Eric Clapton, c’est son histoire brute, ses faits, ses vies.
 

Noyé dans la boisson

Ce qui frappe dans ce livre, c’est la sincérité. Clapton ne s’embellit pas, ne se glorifie pas. On ignore en le lisant que partout dans le monde, c’est une icône. Son rapport avec le public et les médias n’est jamais évoqué. Il se voit comme un type qui fait de la musique sans prétention. Comme s’il n’avait pas voulu être célèbre. Après tout, n’a-t-il pas tardé à se mettre au chant quand tant de collaborateurs le pressaient de se lancer en solo ? "L’important pour moi, c’était de boire et d’échapper à mes responsabilités de leader de groupe, de pouvoir trainer et jouer pour le plaisir." Il se voit aussi comme un type longtemps à la dérive. La période de dépendance à l’héroïne, qu’il nomme "les années perdues" (trois ans "à ne pratiquement rien faire, à moitié endormi sur un canapé devant la télé") en a précédé une autre, bien plus longue. En 1974, l’immense succès de 461 Ocean boulevard le précipite dans l’enfer de l’alcool. Il a vingt-neuf ans et cela en durera treize. "Je buvais du matin au soir, et peu m’importait qu’il y ait un concert ou non ce soir-là, parce que j’étais toujours convaincu que je pouvais tenir le coup. Souvent, bien sûr, j’en étais incapable et je quittais la scène." Clapton se sait pathétique. Mais pas en marge du monde dans lequel il évolue. Le rock’n’roll et la sphère musicale des années 1970 en général sont tout entier noyés dans la poudre et la boisson. Les Beatles, les Rolling Stones, Jimi Hendrix, autant de superstars qui flirtent allègrement avec les drogues. Cependant, chez Clapton, ces dépendances sonnent comme l’expression d’un profond désespoir.


La musique comme guide

Elevé par ses grands-parents, qu’il croit être ses parents jusqu’à un âge avancé, le gamin de Ripley, petite ville près de Londres, n’a jamais bien su quelle direction prendrait sa vie. Alors elle en a pris plein. Instable, Clapton a sombré et s’est passionné. Amoureux à s’en rendre malade de Pattie Boyd, la femme de Georges Harrison, qu’il rencontre en 1967, il écrira pour elle le célèbre Layla, un prénom suggéré par un livre persan, The story of Leïla and Majnun du poète Nizami, qui raconte l'amour passionné d'un homme pour une femme mariée. Pattie Boyd ne quittera son Beatle de mari qu’en 1974. Mais leur couple enfin formé ne rendra pas Clapton plus serein, lui qui avoue avoir souvent rejeté ce qu’il a longtemps désiré.

Ce qui le guide : la musique, qui lui a sans doute sauvé la vie à plusieurs reprises. De formations musicales (les Yardbirds, Cream, Blind Faith, Derek and the Dominos…) en collaborations (Bob Dylan, Phil Collins…), Eric Clapton se forge le destin d’une star. En guise de rare analyse, il confie : "Soit j’étais Clapton, le virtuose de la guitare, soit j’étais une loque, parce que sans ma guitare et ma carrière musicale, je n’étais plus rien. J’avais une peur phénoménale de perdre mon identité."

Un déclic se produit. En 1986, son fils Conor voit le jour. Ne pouvant pas supporter l’image d’alcoolique que son fils se ferait de lui, Clapton arrête définitivement de boire et, même lorsque l’enfant, âgé de quatre ans, meurt tragiquement défenestré, il résiste, compose. Le bijou Tears in heaven raconte la douleur de cette perte. Paradoxalement, c’est dans cette épreuve qu’il mûrit. Et se construit.

"A l’heure où j’écris, j’ai soixante-deux ans, je suis sobre depuis vingt années. (…) Je suis un grincheux invétéré et j’en suis fier. Je sais qui je suis à présent." Clapton est heureux. C’est la fin du livre. On le referme soulagé qu’il y soit parvenu. Mais pas si surpris : l’étonnant recul avec lequel Clapton écrit ne pouvait que signifier qu’il était parvenu à une forme de sérénité.


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Crédit photo : He gave is life for YOU / Flickr