Une monographie consacré à Jean-Philippe Rameau, théoricien de la musique et compositeur, encore trop peu connu.

La monographie de Christophe Rousset, conformément à la politique de la collection, est un ouvrage de vulgarisation. Le claveciniste et chef français était assurément l’un des mieux placés pour l’écrire : qui mieux que l’un de ses meilleurs interprètes actuels pouvait présenter Rameau au grand public ?

Le livre est élégant, concis, clair. De très nombreuses citations du XVIIIe siècle éclairent la vie et le caractère de Rameau. Rousset, en bon baroqueux, a ici le mérite d’en revenir aux sources ; le chercheur pourra même trouver très pratique de les avoir ainsi quasiment toutes compilées au même endroit. Mais ces sources étant extrêmement peu nombreuses, Rousset est amené à utiliser plusieurs fois certaines d’entre elles et à se répéter.

L’ouvrage a d’autres défauts que certains jugeront rédhibitoires. Il n’agit pas ici de reprocher à Rousset de faire de la vulgarisation – bien au contraire, on ne peut que se féliciter de voir paraître un ouvrage sur Rameau, compositeur trop peu joué et connu, comme le souligne à juste titre l’auteur – d'autant plus que celle-ci ne se fait aucunement aux dépens de l’exactitude   . Le problème est que plutôt que de familiariser le lecteur avec Rameau et son œuvre, Rousset renforce les préjugés communs selon lesquels cette musique est difficile et ennuyeuse – ce qui est assurément contraire à son objectif, comme aux attentes du ramiste fervent que nous sommes.

Le plus ancien et le plus tenace de ces préjugés date du début même de la carrière lyrique de Rameau, dans les années 1730 : parce qu’il a commis l’erreur de devenir "le Descartes de la musique" (d’Alembert, Eléments de musique), Rameau ne serait qu’un froid théoricien égaré dans la composition. On trouve souvent la trace de ce préjugé dans l'ouvrage : "N'oublions pas que Rameau se considère avant tout comme un théoricien et homme de science ; aussi aborde-t-il avant tout le genre lyrique parce qu'il est, plus que les autres formes explorées jusqu'alors, un champ d’expérimentation pour toutes ses théories, exposées dès 1722 dans son Traité de l'harmonie."   Rousset présuppose de manière générale que la théorie précède et domine la pratique. C’est une erreur de perspective : Rameau est bien d’abord un artiste qui réfléchit sur son art, quoi qu’il en dise lui-même, lui qui prétendait effectivement faire œuvre philosophique, et qui, à la fin de sa vie, sombra dans une sorte de "délire théorique", suivant l’expression de Catherine Kintzler. Cette dernière a depuis longtemps fait un sort à l’idée à la mode depuis les romantiques qui veut qu’intellect et art soient incompatibles ; c’est le contraire qui est vrai dans l’esthétique classique, dont Rameau est un parfait représentant.

On trouve plus généralement des références constantes à la "complexité", à la "difficulté" de Rameau ; c’est à notre avis confondre la complexité et l’étrangeté. Oui, Rameau est mal connu, peu joué, le public n’en est donc pas familier ; cela ne veut pas dire qu’une fois passée la barrière du style français classique (d’aucuns disent baroque), il est difficile. C’est bien au contraire une musique extrêmement sensuelle et séduisante que l’on découvre ; Rameau n’est certainement pas un compositeur pour connaisseurs ou spécialistes, comme Wilhelm Friedemann Bach – dont Rousset a fait, justement, un admirable enregistrement ; des œuvres comme Les Indes Galantes (dans une interprétation quelque peu monstrueuse pour le goût d’aujourd’hui) ou Platée ont été les spectacles les plus populaires et les plus rentables de l’Opéra de Paris dans les années 1950 et 1990, respectivement.

Le dernier tiers de l’ouvrage est consacré à une liste des œuvres de Rameau. Pour chacun, Rousset donne un résumé du livret (s’il y a lieu), fournit des éléments contextuels, et indique les bons passages. Ces astérisques pourraient être utiles si elles ne suggéraient pas que tout le reste de ces œuvres devait être marqué d’obélisques infamantes ; hélas, ces cinquante pages donnent à maintes reprises l’impression qu’il est mérité que ces œuvres restent là où elles sont, et qu’il n’y a à en sauver qu’un air par-ci, une gavotte par là, suivant la logique du concert – elle prévaut, il est vrai, dès la fin du XVIIIe siècle.

Enfin, l’éditeur a cru bon de ne fournir comme indications discographiques que les seuls enregistrements de Christophe Rousset. Ils comptent certes parmi les plus beaux qui soient, mais il n’a malheureusement pas tout enregistré, et le profane enthousiaste qui voudrait découvrir Hippolyte et Aricie, Platée ou les Boréades (certains enregistrements de ces œuvres sont pourtant considérés comme historiques par l’auteur dans sa préface) en sera pour ses frais, sans même parler des œuvres moins connues.