Ni procès ni apologie du prix unique, cet ouvrage a le mérite de remettre en cause un certain nombre d'idées reçues, condition essentielle pour avancer dans le débat sur le prix unique du livre remis en cause avec l'apparition des nouvelles technologies.

 Depuis 1981, le livre bénéficie de la loi sur le prix unique : c'est l'éditeur qui fixe le prix de vente au détail de chaque ouvrage, qui doit être respecté par les détaillants à plus ou moins 5 %. Le principal objectif de cette mesure est de limiter la concurrence entre les détaillants, notamment entre les grandes surfaces culturelles de type Fnac ou Virgin et les librairies traditionnelles. Selon le texte de la loi sur le prix unique du livre, cette limitation de la concurrence aurait pour effet de préserver à la fois la " qualité " et la " diversité " de l'offre : deux notions assez floues fortement imprégnées de subjectivité. Le but de cette étude est de s'interroger sur l'efficacité de cette loi, définie comme une " véritable colonne vertébrale définissant les rapports entre les différents acteurs " (p. 12), à remplir ces objectifs en portant un regard sur l'évolution du marché du livre durant les trois dernières décennies, mais aussi de se demander si le prix unique a toujours une raison d'être à l'heure de l'émergence des nouvelles technologies numériques. Mathieu Perona et Jérôme Pouyet présentent brièvement le fonctionnement du secteur du livre et de ses différents acteurs avant de se focaliser sur les principes et les modalités du prix unique. L'étude se concentre ensuite sur les conséquences qu'a eu cette loi jusqu'à présent sur le marché du livre, puis l'envisage sous l'angle des mutations actuelles en interrogeant son rôle dans l'avenir : ses principes et ses objectifs ne sont-ils pas obsolètes ? Quelles mesures pour le remplacer ? 

Malgré la brièveté de l'ouvrage, les auteurs prennent le temps de bien définir leur objet d'étude en rappelant de façon précise en quoi consiste la loi sur le prix unique et l'arrière-plan historique qui a conduit à son instauration. À cette occasion, le rôle primordial et central du libraire est expliqué. C'est son rôle traditionnel de conseil, de prescription et de mise en avant des ouvrages qui est en effet au centre du dispositif puisque c'est ce type de services qui permet d'atteindre un des buts premiers de la loi sur le prix unique : l'accès à une offre éditoriale diversifiée et de qualité, qui passe nécessairement par l'accès du lecteur à de l'information sur les ouvrages disponibles. Ainsi, librairies traditionnelles et grandes surfaces culturelles ne sont plus amenées à se faire concurrence au niveau des prix, mais au niveau du service proposé. En outre, le libraire ayant fourni ce service de conseil auprès du lecteur/acheteur bénéficiera directement de son effort de mise en avant de l'offre puisque ne pouvant pas trouver le livre désiré moins cher ailleurs, le client se fournira chez le commerçant lui ayant conseillé l'ouvrage. 

Cette question de fixer des règles spécifiques liées au prix du livre n'est ni limitée à la France, ni daté de seulement trois décennies. L'idée de fixation d'un prix unique a vu le jour bien avant 1981, ce que nous rappellent les auteurs en évoquant le concept de " prix conseillé ", apparu dès la fin du XVIIIe siècle, remis en question dans les années 1960 car perçu comme une entrave à la concurrence. Pourtant, à partir des années 1970, l'apparition de la Fnac et de sa politique de prix au rabais menaçant la survie des librairies conduit à un débat public qui prend à l'époque une grande importance, jusqu'à aboutir à la " Loi Lang " dont il est question dans notre ouvrage. D'un point de vue géographique, un tableau intitulé " Prix unique et taxation des livres dans le monde " (p. 38-39) nous montre que, même si le débat français est particulièrement intense, " le livre fait dans la plupart des pays l'objet l'objet d'un traitement réglementaire de faveur, illustré [...] par l'imposition quasi générale d'un taux de TVA réduit. " (p. 37).

Le livre est généralement considéré comme un bien à part, pour trois principales raisons : " bien d'expérience ", son succès commercial est par essence imprévisible, et les outils destinés à évaluer celui-ci en amont sont peu efficaces. De plus, la brièveté de son cycle de vie, combinée au nombre considérable de titres existants, a pour effet une concentration des ventes sur un nombre restreint d'ouvrages, rendant primordiale la question de l'accès du consommateur à des sources d'information sur les titres disponibles. Un tel marché mérite donc d'être appréhendé et traité de manière adaptée : c'est à cette préoccupation que répond la loi sur le prix unique.

" [...] Le prix unique n'a mérité ni l'excès d'honneur ni l'indignité dont le débat publique l'a chargé " (p. 13), est-il affirmé dans l'introduction. C'est ce que démontre l'analyse dès la première partie, où l'observation des statistiques du marché du livre des années 1960 à aujourd'hui mène à une remise en cause du caractère inflationniste du prix unique, qui ne serait pas le principal responsable de la relative augmentation du prix du livre. Au fil de leur démonstration, les auteurs poussent plus loin les comparaisons de notre système avec ceux mis en place par les autres pays européens, montrant que contrairement aux idées reçues, le prix unique ne semble pas avoir de conséquences majeures sur le niveau des prix de vente des livres, mais plutôt un effet " redistributif " (baisse des prix des best-sellers, augmentation du prix des titres à faibles ventes) favorisant la concentration des ventes sur une petite quantité de titres. Une autre idée reçue remise en cause, notamment à travers une comparaison avec la situation du Royaume-Uni et des pays nordiques, est l'idée selon laquelle le prix unique du livre serait la condition sine qua non de la préservation des librairies de détails. Si le réseau de librairies en France est resté stable depuis 1981, cette activité reste peu rentable, et selon les auteurs, le prix unique " a probablement permis le maintien d'un certain nombre de petites librairies indépendantes, mais gêné le déploiement de grands réseaux de librairies à même d'offrir des assortiments plus larges et plus profonds " (p. 57). 

Quand l'analyse se penche sur un autre des buts fondamentaux du prix unique, la préservation d'une offre diversifiée et de qualité, le même constat mitigé est fait quant à son efficacité : la diversité (en termes de quantité) de l'offre éditoriale est aujourd'hui une caractéristique du marché, qui est présente indépendamment du prix du livre. En effet, l'augmentation du nombre de titres est constante, en raison de la tendance des éditeurs à publier le plus de titres possible afin d'augmenter leurs chances de produire un best-seller dont le succès palliera la faible rentabilité d'autres titres. Quant à la notion de " qualité ", elle est si floue et subjective qu'il est très difficile de l'évaluer. 

De plus, il est important de ne pas perdre de vue l'évolution considérable du marché du livre depuis 1981, notamment en raison de l'apparition et du développement des nouvelles technologies, évolutions qui pourraient rendre caduques certains aspects du débat sur le prix unique. La structure du marché organisé en duopole, la diminution du coût de la production, les nouveaux moyens de gestion des stocks, font que le marché du livre a connu des changements profonds qui mériteraient une législation plus adaptée. Mais globalement, les pratiques des acteurs de la chaîne du livre semblent en retard sur ces évolutions : chez les libraires, notamment, les nouvelles technologies permettant une meilleure gestion des stocks restent sous-employées, ce qui a un impact sur la rentabilité de leur activité. Cela serait en partie lié aux effets du prix unique qui ne constituerait pas une incitation à la modernisation : en empêchant les détaillants de jouer sur les prix de vente et donc sur la concurrence, cette mesure freinerait les possibilités de rentabiliser l'acquisition d'un matériel coûteux. Un autre aspect de l'évolution technologique est l'apparition des librairies en ligne qui modifient en profondeur la question de l'égalité dans l'accès au livre pour tous, sur l'ensemble du territoire, qui est un des principes ayant conduit à la mise en place de la Loi Lang. La question qui est aujourd'hui cruciale n'est donc plus celle de l'accès, mais celle de l'information : "  Dans le contexte de la société de l'information, l'apport spécifique du libraire ne réside donc plus dans la mise à disposition d'un fonds, [...] mais dans sa connaissance de l'offre éditoriale, [...] et surtout dans sa capacité à mettre cette offre en correspondance avec les goûts, les attentes et les besoins du lecteur " (p. 74). Partant de cette idée, les auteurs proposent un nouveau système de contrats entre éditeurs et libraires permettant de mieux récompenser les libraires pour leurs efforts de promotion grâce à une modulation des marges qui les avantagerait, tout en réduisant les bénéfices des détaillants se contentant de proposer les titres à succès et ne prenant aucun risque.

Face à ces constats, l'étude présentée dans cet ouvrage débouche naturellement sur l'affirmation de la nécessité d'un assouplissement du prix unique du livre : celui-ci aurait notamment " contribué à ralentir la modernisation de la vente au détail dans son ensemble " et " empêché les libraires de se repositionner sur ce qui est désormais leur rôle central [...] " (p. 84). Les idées reçues sur le caractère indispensable du prix unique ont donc été analysées et remises en cause de façon pertinente et les propositions des auteurs pour moderniser la législation et les relations contractuelles entre les différents acteurs de la chaîne du livre sont une porte ouverte à la réflexion et méritent d'être prises en considération et approfondies.