"Pourquoi 98% des Français ont tort ?" C’est à cette question quelque peu rhétorique qu’entend répondre l’élégant dossier du dernier numéro de Books, à propos des enjeux d’une dépénalisation des drogues dures. Ainsi, si une écrasante majorité des Français juge inacceptable l’idée que des drogues – dures comme douces – soient mises en vente libre, s’ils rechignent d’autre part à l’idée que des législateurs dépénalisent leur consommation, c’est que leurs opinions sont bien souvent fondées sur une "sainte ignorance".

Ignorance, par exemple, d’une expérience réussie au Portugal où, depuis 2001, toutes sanctions pénales pour possession personnelle de drogues (y compris la cocaïne, l’héroïne, et la méthamphétamine) ont été abolies. En pratique, la consommation de drogues n’a pas augmenté mais a plutôt eu tendance à chuter, notamment chez les adolescents, et les conditions sanitaires et psychologiques des consommateurs se sont fortement améliorées, eu égard aux économies d’incarcération.

Ignorance, aussi, des coûts économiques, sociaux et politiques de la prohibition, face à ses maigres bénéfices. Aux Etats-Unis, par exemple, la guerre contre la drogue s’est certes traduite par une légère baisse de la consommation (d’après une estimation), mais aussi par l’incarcération de 300000 à 500000 personnes, soit, précise Jeffrey Miron   , plus que la totalité des incarcérations pour tous types de crime en Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie et Espagne réunies.

Ignorance, finalement, de la logique collectiviste qui a présidé à l’avènement de la prohibition et qui foule aux pieds les libertés humaines fondamentales, selon le très libertarien Cato Institute.

C’est donc à un réexamen de nos penchants moralistes "naturels" que nous engage les six ouvrages traités dans ce dossier. Et après tout, pourquoi ne traiterions-nous pas les législations anti-drogues comme n’importe quelle autre mesure ? Lorsqu’elles sont inefficaces, voire contre-productives, il faut les changer !


* "Faut-il légaliser les drogues dures ?", Books, n°15, sept. 2010