Entre résistance armée et gestion gouvernementale, une analyse et un regard renouvelés sur le Hamas.

Le Hamas ou Mouvement islamique de la résistance   est généralement sommairement réduit à une entité "terroriste" dans l’esprit des opinions publiques occidentales. Or, le Hamas a su, par l’entremise des soubresauts de l’histoire des relations houleuses entre l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat et l’Etat d’Israël, parvenir au sommet du pouvoir palestinien, en particulier dans la bande de Gaza lors des élections législatives de 2006. Naguère focalisé sur l’aide quotidienne aux Palestiniens, le Hamas a ainsi acquis le statut de parti de gouvernement défiant le Fatah, l’historique mouvement nationaliste de la Palestine, ainsi que la "communauté internationale".

Mais comment comprendre l’émergence de cette organisation sur la scène internationale, en dehors des images de conflit que nous livrent les médias entre celle-ci, le Fatah et Israël ? Dans un ouvrage bien documenté et suffisamment impartial pour le rendre sérieux   , Olivier Danino, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS), propose une approche historique de l’émergence du Hamas, émergence également indissociable de ses rapports avec le Fatah de Yasser Arafat puis de Mahmoud Abbas, les deux présidents de l’Autorité palestinienne. Ayant déjà travaillé sur le conflit israélo-palestinien avec le statut particulier de Jérusalem, Olivier Danino n’oublie pas les épreuves de force entre l’organisation islamiste et Israël, en particulier dans la bande de Gaza en décembre 2008. 

 

L’ouvrage s’inscrit dans une situation où le processus de paix entre Palestiniens et Israéliens est au point mort ; les tensions entre Hamas et Fatah ne sont pas non plus apaisées. L’auteur a effectué ses recherches avant la dernière attaque de l’armée israélienne sur la bande de Gaza tenue par le Hamas, réalisant notamment des entretiens sur place avec des interlocuteurs palestiniens et israéliens, quelques mois avant la dernière offensive de grande ampleur de Tsahal contre le Hamas et les diverses factions armées gazaouies. Parallèlement à cet événement violent, l’auteur a suivi l’évolution de la position américaine dans le conflit avec l’élection à la Maison Blanche de Barack Obama en novembre 2008, mais également  avec le retour au pouvoir en Israël du chef du Likoud, Benyamin Netanyahou, en février 2009. Mais au-delà d’une analyse basée sur les seuls rapports entre acteurs du conflit au gré des événements, Olivier Danino propose une approche stimulante sur les idéologies et les représentations sur et autour du Hamas. 

 

De la résistance pacifique à la lutte armée

 

Olivier Danino remonte logiquement aux origines du Mouvement islamique de résistance : créé en 1988, il s’inspire largement de la mouvance des Frères musulmans que l’on retrouve principalement en Egypte. Adoptant l’islam comme un ferment idéologique plus que n’aurait pu le faire le Fatah de Yasser Aarafat   , le Hamas s’inscrit très rapidement comme alternative : alors que le Fatah s’enlise progressivement dans les échecs de pourparlers avec Israël et plus particulièrement dans la corruption généralisée, le Hamas, mené par Cheik Yassine, va étendre son influence auprès des couches populaires palestiniennes par des actions caritatives, notamment pendant les périodes de blocus de la bande de Gaza et les attaques menées par Israël. Cette stratégie de résistance pacifique, empreinte de religiosité, associées aux erreurs du Fatah et aux tensions croissantes avec l’occupant israélien, va permettre au Hamas de concrétiser son objectif premier : surpasser le Fatah et se préparer à affronter Israël.

 

Ce sont les élections législatives du 25 janvier 2006 qui constituent le tournant principal de l’ouvrage    : c’est en effet cette année que choisit le Hamas pour tenter le jeu politique, et défier le Fatah, mais aussi la "communauté internationale"   sur son terrain : la démocratie. En effet, la communauté internationale, Etats-Unis en tête, suspecte le Hamas de pratiquer le terrorisme, déviant son combat nationaliste dans une violence inacceptable au regard des démocraties occidentales. Pourtant, le Hamas va prendre celles-ci à contre-pied en remportant une victoire électorale dans les Territoires palestiniens : avec un scrutin qui s’est déroulé sans heurts, ni fraudes, le Hamas parvient à mettre en minorité le Fatah au sein des instances politiques palestiniennes et à isoler le président Mahmoud Abbas, lui même issu de cette organisation. Deux ans auparavant, le décès de Yasser Arafat avait rompu une unité tacite entre le Hamas et le Fatah face à l’ennemi israélien. La disparition du premier président de l’Autorité palestinienne avait ainsi ouvert la voie aux règlements de compte politiques entre les deux partis palestiniens. Malheureusement, ces règlements de compte tourneront rapidement à l’affrontement armé, et cela pour plusieurs raisons. D’une part, Mahmoud Abbas ne désira en aucun cas laisser le Hamas tenir les leviers du pouvoir dans les Territoires palestiniens. D’autre part, Israël et la communauté internationale, embêtés par un résultat électoral- bien que démocratique- contraire à leurs attentes, mirent en place un blocus militaire, financier et diplomatique des territoires contrôlés par le Hamas   . À ce titre, la bande de Gaza, qui finira par tomber sous l’emprise totale du Hamas, va subir le blocus économique et les violentes offensives de Tsahal contre les organisations armées tirant des roquettes sur le territoire israélien. 

Identité et représentations du Hamas et de ses adversaires

 

L’aspect original de l’analyse d’Olivier Danino est que son approche emprunte au constructivisme   , esquissant l’identité du Hamas à travers non seulement son histoire, mais aussi et surtout à travers ses relations intersubjectives. Au lieu de tomber dans une énumération redondante des dates marquantes dans la fondation du Hamas, l’auteur explore ce qui forge l’identité du plus grand mouvement islamique de Palestine. Outre l’histoire de ses fondateurs et le contexte de sa naissance après la première Intifada, l’analyse de sa charte et de ses emblèmes sont particulièrement intéressants et révélateurs des motifs qui fondent le combat originel du Hamas : la carte de la Palestine sous mandat britannique, le Dôme du Rocher, symbole de la troisième ville sainte de l’islam, des références à Allah et à Mahomet, enfin deux épées croisées et le nom de "Palestine" rappelant la volonté du Hamas de combattre Israël jusqu’à la libération du territoire.   En effet, reconnaître Israël- exigence souvent rappelée par la communauté internationale au Hamas- va à l’encontre des principes de la charte fondatrice du Hamas. Sans rabaisser cet ennemi, la permanence de la lutte contre celui-ci respecte un principe séculaire au djihad et donc à ce qui forge l’identité du Hamas : la pratique de l’authentique djihad, une résistance armée et défensive, contre l’occupation d’un territoire musulman. 

 

Tous ces éléments rappellent une évidence que l’on a tendance à oublier dans ce monde obnubilé par la psychose du "terrorisme" : le Hamas est, qu’on le veuille ou non, une organisation de résistance comme tant d’autres dans l’histoire des nationalismes combattants. Les détails soulevés par l’auteur sur ce qui fonde l’identité du Hamas contribuent à dévoiler une autre vision, plus objective, plus rationnelle, sur ce mouvement classé comme organisation terroriste notamment par les Etats-Unis du fait de son emploi de la violence armée. Et au-delà des analyses rationnelles portant sur des questions de géopolitique, ce sont aussi des inadéquations de représentations à des moments donnés entre Palestiniens et Israéliens qui expliquent l’évolution de leur relations à des périodes de crises.

 

L’un des exemples les plus frappants est celui du désengagement unilatéral de la bande de Gaza par le Premier ministre de l’époque Ariel Sharon : Olivier Danino souligne bien la représentation israélienne d’une désorganisation des Palestiniens et de leur incapacité à leurs yeux à faire régner la paix, conduisant Sharon à décider le retrait militaire de Gaza en 2004, et le début d’une séparation inévitable entre Israéliens et Palestiniens. En résumé, l’un des acteurs, constitué en un Etat, perçoit le peuple d’en face comme incapable de se gérer de façon responsable ou comme le ferait un Etat civilisé   . Face à une "jungle" d’où n’émerge aucun partenaire viable à ses yeux, Israël choisit d’agir sans concertation, optant pour un retrait, qui couvre la sécurisation de ses intérêts aussi bien identitaires que matériels.  

 

L’ouvrage d’Olivier Danino apporte de nombreux éclairages sur le Hamas, et plus globalement sur les deux dernières décennies de relations entre les factions palestiniennes et l’Etat d’Israël. Si l’auteur parvient, dans une approche constructiviste, à rendre objectif son sujet d’études en analysant ce qui constitue sa culture et son identité, il aide également le lecteur intéressé par cette région du monde à mieux saisir les subtilités de la vie politique palestinienne, notamment sur des faits qui auraient pu lui échapper et que les médias occidentaux n'auront pas su, pu ou voulu éclairer. Ajoutons que l’insertion et la traduction de la charte fondatrice du Hamas   , les cartes d’Israël et des Territoires palestiniens dans les années 2000   renforcent le sérieux de l’étude, faisant de l’ouvrage une référence pour toute recherche sur le conflit israélo-palestinien et inter-palestinien

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A lire également : 
- Le dossier "Terrorisme islamiste : état des lieux".  
- Le dossier ''Persistant conflit israélo-palestinien"