Pierre Delval pose son regard de criminologue sur les multiples facettes de la contrefaçon.

Cartouches de tabac achetées à bas prix, vendeurs à la sauvette, trafic de médicaments… La contrefaçon a de multiples visages, dont nous ne voulons souvent apercevoir qu’une infime partie. Pierre Delval, criminologue et spécialiste de la question, entend nous mettre en garde avec cet état des lieux.

La contrefaçon fait bien souvent les délices de l’actualité pour être oubliée le lendemain. Or, loin d’être cantonnée à une seule région du monde, loin d’être innocente ou uniquement nuisible à l’économie, la contrefaçon sévit sur la surface du globe et se révèle surtout comme "un crime structuré dont les premières victimes sont souvent les consommateurs eux-mêmes". L’auteur affirme ainsi son objectif : mettre en garde les consommateurs, en leur demandant de ne pas s’habituer à ce qui choque, et appeler à une action citoyenne. Et il est vrai que cet ouvrage se lit comme une enquête, sur les pas d’un détective averti et pédagogue.

En huit chapitres, nous plongeons dans un univers souvent méconnu jusque là, ou dont nous ignorons du moins les multiples facettes. Après avoir alerté sur les dangers directs de la contrefaçon pour les consommateurs, Pierre Delval propose un récapitulatif des réglementations et sanctions en matière de droit, droit de la propriété intellectuelle et droit pénal étant les deux tenants de ces trafics illicites. Armés de ces explications, nous pouvons alors découvrir leur étendue et les ramifications d’un crime organisé extraordinairement efficace. Les quatre chapitres suivants constituent des analyses de cas très concrètes sur les médicaments, le tabac, les produits alimentaires et enfin les cosmétiques. Mais l’auteur ne cherche pas la dramatisation, comme en témoigne son dernier chapitre qui imagine les suites pour avertir et proposer des solutions adaptées.

Au fil des pages, on est séduit par le sérieux de Pierre Delval et son appel à la responsabilité du lecteur. Sur un sujet aussi exotique pourtant, il eût été facile de dramatiser et de susciter une psychose. Rien de tel ici. L’auteur nous propose une étude rigoureuse, une analyse scientifique appuyée sur des exemples clairs et des cas concrets, d’actualité récente. Si des chiffres sont cités, ils sont immédiatement replacés dans un contexte précis, argumentés et mis en perspective. Des noms de marques, de criminels ou d’hommes politiques sont cités dans un souci de transparence, sans qu’aucune accusation facile ne soit lancée. Les explications sont simples et illustrées, les sources citées. Les procédures de droit elles-mêmes sont aisées à comprendre, même si l’ouvrage n’échappe pas à certaines longueurs, notamment dans le second chapitre très juridique.

Chaque élément est assorti d’une mise en perspective qui pousse à la réflexion et s’efforce d’englober toujours la situation dans son entier sans procéder à des simplifications abusives ou des exagérations faciles. La crise alimentaire qui rend plus vulnérables les pays d’Afrique, le fait que des millions de Chinois vivent légalement de la contrefaçon sont ainsi évoqués. Plus encore, l’analyse est très complète, les causes, les conséquences, les dispositifs nationaux, communautaires ou internationaux sont passés au peigne fin.

Cet ouvrage qui réunit ainsi les qualités d’un ouvrage très documenté et très construit, n’en a pas moins celles d’un discours accessible et - pourquoi pas - ludique. Sont ainsi examinés de près les triades chinoises ou la mafia russe, les bénéfices tirés par les uns ou les autres, la corruption, la difficulté de rapporter des preuves, les marchés potentiels immenses à l’échelle de la planète.

On se croirait dans un feuilleton si ce n’était que tous ces éléments concourent à l’objectif de Pierre Delval : éveiller le lecteur à une approche responsable, critique et lucide de la contrefaçon. Les facteurs psychologiques, appuyés sur le sentiment du danger et non sur un supposé fantasme, s’avèrent essentiels dans la lutte contre ce crime organisé pour encourager les autorités à développer dissuasion et répression. Pour cela, l’auteur n’hésite pas à poser la question d’un consommateur complice ou victime. Accusation qui n’est pas des moindres lorsque, quelques lignes auparavant, il rappelle que 1/5 des personnes mortes du paludisme auraient pu être sauvées si elles avaient eu accès aux bons médicaments, ou bien lorsqu’il évoque les dangers que représentent pour les enfants des jouets contrefaits ou la fraude alimentaire.

Si la situation reste dramatique dans l’hémisphère Sud, elle ne concerne plus seulement les pays en développement mais, au contraire, empire en Europe ou en Amérique, selon une logique de globalisation du crime. Le manque d’intervention des Etats devient presque criminel et leur rôle vital puisqu’il n’est plus seulement question d’intérêts économiques protégés mais de vies sauvées.

C’est donc un ouvrage instructif, d’une actualité brûlante, que l’on prend plaisir à lire et dont on ressort avec le sentiment urgent de la nécessité d’agir. La nature de l’action à notre échelle individuelle reste peut-être difficile à percevoir mais l’un des grands atouts de cette lecture est sans doute qu’elle éveille notre conscience citoyenne, et éventuellement nous rappelle qu’elle existe encore